Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 11.1885 (Teil 2)

DOI article:
Véron, Eugène: Salon de 1885, [4]
DOI Page / Citation link: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19704#0029

DWork-Logo
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
L'étude de la forme muette, immobile, le dessin machinal de la photographie. Et avec cela la
composition? Mais qu'est-ce que la composition réduite à quelques règles banales de balancement,
d'équilibre, d'arabesque? La composition entendue au sens élevé du mot consiste à disposer
chaque partie en vue de donner à l'ensemble son maximum d'expression, à tout ordonner pour
faire éclater la pensée dominante, pour rendre aussi contagieuse que possible l'émotion personnelle
de l'artiste. Mais est-ce qu'à l'Ecole on s'inquiète de pensée et d'émotion? Est-ce qu'on peut
demander à des jeunes gens, qui ignorent tout de l'histoire, de penser et de s'émouvoir à propos
de personnages grecs, juifs ou latins, dont souvent ils entendent pour la première fois le nom, le
jour même où on leur dicte le sujet du concours? Non, la personnalité n'entre pas dans les
programmes de l'Ecole, la poésie est étrangère à son esthétique. Les maîtres qui s'en passent
apprennent à leurs élèves à s'en passer également. Et pourtant, quand on a enlevé de l'art
l'émotion, la personnalité, la poésie, que reste-t-il ?

■ Il reste la facture, le métier? Ici il ne reste pas même cela, car à supposer que la facture
puisse réellement se séparer du sentiment qu'elle exprime, quelle est à ce point de vue
spécial la supériorité des professeurs de l'Ecole? On cite quelques peintres qui sont les virtuoses
de la palette. Est-ce que les professeurs de peinture de notre Ecole nationale s'appellent Ribot,
Vollon, Henner?

C'est-à-dire que le soin d'enseigner l'art à nos jeunes artistes est remis à des hommes qui ne
font autorité ni par leur esthétique ni par leur métier. Et cependant que peut-on bien enseigner,
si ce n'est ni la théorie ni la pratique?

La vérité, c'est que le choix des maîtres est remis au hasard des influences les plus étran-
gères à l'art, que ce qu'on consulte surtout, c'est le goût d'un certain public qui ne voit dans
l'art qu'un amusement pour sa frivolité. Il suffit qu'un industriel du pinceau ait des succès auprès
d'un certain monde pour qu'on le juge digne d'enseigner quoi? Ce qu'il sait, naturellement, l'art
frivole, l'art mondain, et surtout l'art lucratif.

Et c'est par là que cet enseignement est corrupteur. C'est lui qui détourne de l'art vrai des
jeunes gens, parfois heureusement doués, mais faciles à influencer, comme on l'est presque toujours
à cet âge; il les entraîne à l'art faux par lequel ils voient si bien réussir ceux qu'on leur donne
comme maîtres et par conséquent comme modèles.

C'est pour cela aussi que l'art est chez nous si bas, et que chaque jour il déchoit. Nos
sculpteurs seuls continuent à le défendre, parce que le high life n'a pas encore adopté la statue
trop encombrante pour ses appartements et trop froide pour ses goûts. Par là, ils échappent aux
tentations qui font de la peinture une industrie et de nos Salons annuels une sorte de foire aux
tableaux. Mais, s'il est vrai que l'exemple soit toujours plus efficace que le précepte, comment
voulez-vous que nos jeunes peintres se sauvënt du virus de l'art commercial, quand ils voient les
gouvernements se liguer avec les académies pour leur en imposer la contagion ?

Eugène Vkron.
 
Annotationen