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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 11.1885 (Teil 2)

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Turgenev, Ivan Sergeevič: Assez!, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19704#0141

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ASSEZ!'

(suite)

XII

Je me suis laissé aller pour la dernière fois à ces souvenirs, et je leur dis adieu pour toujours.
Ainsi un avare, ayant contemplé une fois encore tout son bien, son or précieux, son trésor
étincelant, l'enfouit dans la terre humide et grise ; ainsi la mèche d'une lampe épuisée flamboie
d'une flamme nouvelle avant de se couvrir de cendres froides.

L'animal chétif admire pour la dernière fois, de son trou, l'herbe de velours, le doux soleil
les eaux bleues et caressantes, avant de se tapir tout au fond, de tourner en rond sur lui-même
et de s'endormir... Verra-t-il dans ses rêves le soleil, l'herbe verte, et les eaux bleues et cares-
santes ?................................

XIII

La destinée mène chacun de nous durement et avec indifférence ; ce n'est qu'au début de la
vie que préoccupés de toutes sortes d'événements futiles, de choses insensées et de nous-mêmes,
nous ne sentons pas le poids de sa main lourde.

Tant que nos illusions subsistent, tant que nous ne connaissons pas la vérité, nous pouvons
vivre et nous n'avons pas honte d'espérer. La vérité !... la vérité même incomplète — nous ne
pouvons jamais prétendre à la vérité absolue — mais même cette parcelle de vérité qui nous est
accessible, dès que nous la possédons, nous ferme la bouche, nous lie les mains, et nous mène à
la négation.

Alors, il ne reste à l'homme qu'un moyen de se maintenir debout, de ne pas tomber en
poussière, de ne pas enfoncer dans la fange de l'oubli de soi-même... du mépris de soi-même :
c'est de se détourner de tout et de dire : —■ Assez ! — et croisant ses bras impuissants sur sa
poitrine vide, conserver la seule, l'unique chose qui lui soit accessible : la dignité, la dignité qui
est la conscience de sa propre nullité. C'est à cette dignité que pensait Pascal, lorsque appelant
l'homme un roseau pensant il dit que lors même que l'univers l'écraserait, lui, ce roseau, serait
encore plus grand que l'univers, parce qu'il sait que la nature l'écrase, et elle ne le sait pas.

O dignité impuissante! triste consolation!... Tu auras beau te donner toutes les peines pour
t'en pénétrer, pour croire en elle, ô toi ! qui que tu sois, mon malheureux confrère ! tu n'échap-
peras pas à la vérité terrible révélée par le poète :

« La vie ! Ah ! c'est une ombre errante dans l'espace,
Un pauvre acteur qui sue et s'agite à grands frais
Une heure sur la scène, et qu'on oublie après!
C'est un rêve conté par un homme en délire,
'^T^" Emphatique et sonore, et qui ne veut rien dire ! 2 »

i. Voir l'Art, ir année, tome II, page 81.
■i. Macbeth, acte V, scène v, traduction de M. Jules Lacroix.

Encadrement de F. Magnini, tiré de l'ouvrage intitulé : « l'Augusta ducale Basilica dell' Evangelista San Marco...

in Venezia, MDCCLXI. Presso Antonio Zatta. »
Tome XXXIX. ig
 
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