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La chronique des arts et de la curiosité — 1896

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Nr. 1 (4 Janvier)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19744#0015
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ET DE LA CURIOSITÉ

5

Disons-le de suite, et très franchement, c'est à
M. Goquard que doit revenir la plus large part
d'honneur artistique dans cette collaboration pos-
thume d'où est résultée la Jacquerie. Le pre-
mier acte, entièrement écrit par Lalo, est en effet
le plus faible des quatre, et ce n'est sûrement pas
le souvenir du Roi d'Ys qui le fait paraître meil-
leur, au contraire. Il est vrai que cet acte, en le-
quel l'action s'engage à peine, donnait peu de
prise à l'inspiration du compositeur et qu'on ne
peut supposer ce que Lalo aurait écrit par la
suite. Quoi qu'il en soit, c'est un bonheur pour
M. Goquard d'avoir commencé la composition de
son ouvrage par le second acte, infiniment plus
propice à l'expression musicale, et d'avoir évité
ainsi de courir les risques d'un froid début,
andis que le nom seul de Lalo assurait au pre-
mier acte de la Jacquerie un public sinon enthou-
siaste, du moins respectueux et sympathiquement
attentif.

Le sujet de la Jacquerie est assez mélodrama-
tique et sombre ; pourtant, les situations bien
amenées n'y font pas défaut, et si elles ne brillent
pas par leur nouveauté, si elles se rapprochent
beaucoup, par leurs fondements principaux, des
échantillons les plus typiques du répertoire d'opéra
de Scribe, que les librettistes semblent avoir pris
pour modèle, du moins on n'en peut contester
l'habile mise en œuvre. Gomme, dans tous les
opéras possibles, il ne s'agit en somme que d'une
aventure d'amour encadrée par une action histo-
rique : l'action historique change suivant les pré-
férences, tandis que l'aventure d'amour demeure
au fond l'affaire principale. Celle dont il s'agit
dans la Jacquerie ne nous semble pas sortir de
l'ordinaire : le paysan Robert aime la fille de l'or-
gueilleux comte Gautier de Sainte-Croix et, natu-
rellement, la fille de l'orgueilleux comte de
Sainte-Croix, Blanche, aime le paysan Robert
qu'elle a soigné alors que, blessé dans une rixe
d'étudiants, il s'était réfugié dans le couvent où
elle était élevée à Paris. Robert revenu auprès
de sa mère, dans le domaine du comte dont il est
le vassal, trouve le pays en révolte et les serfs
prêts à marcher contre leur seigneur. Embras-
sant la cause des opprimés, il se met à leur tête,
malgré les supplications de sa mère, Jeanne,
qu'il finit paj convaincre de la sainteté de sa mis-
ston. Mais lorsque la cohorte des « Jacques » en-
vahit le palais du comte de Sainte-Cruix, Robert
se trouve face à face avec Blanche, qui, le recon-
naissant, pousse un cri d'horreur et s'évanouit
tandis que la bande furieuse saccage le palais et
s empare du comte, qui est mis à mort. Blanche,
emmenée par Jeanne dans un couvent, y est re-
trouvée par Robert au moment où les « Jacques»,
vaincus, s'enfuient de tous côtés ; l'un d'eux,
Guillaume, trouvant réunis son chef et la fille
du seigneur, les dénonce à ses compagnons qui,
se croyant trahis par Robert, s'apprêtent à le
pendre. L'entrée des troupes féodales fait surseoir
à l'exécution de ce dessein et Blanche, qui vient
d'avouer son amour à Robert, est sauvée. Mais
Robert, frappé par le couteau vengeur de Guil-
laume, tombe à la fois victime de sa passion de
justice et delà fidélité de son cœur.

Nous l'avons dit, le premier acte, composé par
Lalo, ne contient pas grand'chose d'intéressant:
c'est tout au plus si on en peut retenir deux frag-
ments : l'air, rudement rythmé, de Gu-llaume,

et la romance, un peu longue, mais jolie quand
même, que chante Blanche en apercevant Robert.
Le reste est très terne et musicalement insigni-
fiant. De plus, l'orchestre se déchaîne par mo-
ments, en cet acte, avec une brutalité qui nous
apparaît comme l'outrance d'un procédé, déjà em-
ployé par Lalo dans le Roid'Ys, et non des meil-
leurs. Il est vrai que l'instrumentation de la Jac-
querie semble indiquer que la partition était des-
tinée à une vaste salle, mais, de toute façon, ces
éclats intempestifs ont pour premier inconvé-
nient de couvrir presque absolument la voix.

Le second acte, le meilleur du poème, a permis
à M. Coquard d'affirmer d'une manière éclatante
son tempérament de musicien dramatique : la
scène de la révolte, les exhortations de Guillaume
et de Robert à la foule, l'intervention de Jeanne,
dont la supplication maternelle vient faire un
puissant contraste avecles sentiments précédents,
toutes ces situations servaient admirablement le
musicien, qui en a tiré un parti excellent. Assu-
rément, la musique de M. Goquard est, pour la
langue et la forme, toute traditionnelle : on n'y
relève point d'audaces syntaxiques ni de néolo-
gismes osés ; mais, pour prudente que soit cette
langue, il la manie avec facilité, voire avec élo-
quence, et en domine toutes les expressions en
vue d'un effet dramatique très juste. Aussi, son
second acte a-t-il, presque à lui seul, décidé du
sort de l'ouvrage, tant est grande la force de l'as-
sociation d'une pensée musicale sincèrement
exprimée, qui s'abandonne au drame et d'une
situation susceptible de motiver cet abandon et cette
sincérité. Le troisième acte débute par un chœur
dansé « Vive le Mai! » qui a de la fraîcheur et
une certaine grâce populaire. Il renferme aussi
une scène largement traitée, celle des « Jacques »
et de leur seigneur ; mais il est loin de valoir le
précédent et ne tient pas ce qu'il semblait tout
d'abord promettre.

L'intérêt se relève dans l'acte qui suit et qui
forme la conclusion de la pièce. Nous n'en aimons
guère, à vrai dire, l'introduction très développée
et très pompeuse. Mais la scène entre Jeanne et
Blanche a de l'émotion et celle entre Blanche et
Robert de l'élan et de la force. On y souhaiterait
toutefois un peu plus de brièveté. Le dénouement,
depuis l'arrivée de Guillaume jusqu'à la fin, est
d'une venue musicale semblable à celle du second
acte et se distingue surtout par la chaleur et l'éclat
non moins que par la recherche de l'expres-
sion juste. Somme toute, le travail de M. Coquart
est plus qu'honorable et l'achèvement de la Jac-
querie fait heureusement augurer des aptitudes
de compositeur dramatique qu'il a su si claire-
ment affirmer.

L'interprétation de la Jacquerie laisse peu à
désirer. M"0 Dslna dans le rôle de Jeanne est, à
son ordinaire, convaincue et pleine d'autorité ;
toutefois, on ne peut que blâmer cette tendance à
« charger » la physionomie de son personnage,
qui lui fait parfois dépasser absolument le but
et gâle ses beaux dons naturels. M11" Kerlord a
une jolie voix et s'en sert avec goût. MM. Jérôme
et Bouvet chantent et jouent fort adroitement et
MM. Devriès et Belhomme complètent à souhait
un ensemble que l'orchestre de M. Danbé sou-
tient avec souplesse et précision.

P. D.
 
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