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La chronique des arts et de la curiosité — 1896

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Nr. 12 (21 Mars)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19744#0121
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ET DE LA

la reprise d'Orphée, au théâtre, après un silence
de trente-sept ans, a pu paraître à beaucoup
comme la manifestation d'un art nouveau. Il y a
si longtemps qu'on n'avait entendu d'ouvrage ins-
piré de cette grande tradition à laquelle Gluck at-
tacha son nom et qu'il fonda par cinq chefs-
d'œuvre ! Puis le génie, par ce qu'il contient d'es-,
sentiel, étant éternellement jeune, en dépit des
inévitables transformations de style et du perfec-
tionnement des procédés techniques, ne devra-t-il
pas enfermer dans un cercle d'attraction toujours
plus vaste ceux qui, plus éloignés de lui, peuvent
mieux mesurer sa grandeur?

Par rapport à son temps, Gluck fut un artiste
prodigieux et complet. Nous le jugeons mieux
encore aujourd'hui, que la suite des événements
et le développement des diverses branches de
l'art musical nous fournissent de plus nombreux
points de comparaison. Et si son œuvre porte, en
certaines parties l'empreinte de son époque, si
c'est par là qu'elle se présente à nous comme frap-
pée de caducité, nous devons d'autant plus admi-
rer la puissance de l'essor par lequel il s'élève
au-dessus de ses contemporains.

Dirons-nous, à propos d'Orphée, ce que fut, au
juste la réforme de Gluck, comment il maîtrisa la
tyrannie des chanteurs da son temps dont les axi-
gences et les habitudes de style paralysaient toute
tentative dramatique sérieuse, comment il com-
prit la relation étroite qui doit exister entre la
musique et la situation du drame, comment il
exagéra même, en théorie, les conséquences de
ses idées jusqu'à vouloir, parfois, sacrifierl'inno-
vation musicale à la vérité seénique ? Tout cela
pourrait nous entraîner fort loin, et, d'ailleurs, ces
faits ont été si souvent exposés, qu'on les peut,
aujourd'hui, supposer connus de chacun.

Orphée, comme Alceste, fut d'abord composé
en italien et représenté hors de France. Ce ne fut
que lorque Gluck eut décidément choisi Paris pour
y faire triompher ses idées novatrices, qu'il rema-
nia ces deux parlitions et les adapta à la scène
française. Les transformations qu'il leur fit subir
portaient non seulement sur l'appropriation des
parties vocales aux exigences prosodiques de no-
tre langue, mais elles avaient encore pour objet la
refonte de certains détails de mise en œuvre et,
parfois, portaient sur l'économie générale des
morceaux. Certains fragments des deux ouvrages
furent ajoulés, supprimés ou refaits pour Paris,
et rien n'est plus instructif que de comparer les
différentes versions d'Orphée et d'Alceste. Mal-
heureusement les partitions italiennes de ces opé-
ras sont fort rares.

Le poème de Calzabigi que Gluck mit en mu-
sique et dont Molines fit les paroles françaises
n'est pas, sans doute, un chef-d'œuvre littéraire;
mais, à défaut de largeur d'interprétation my-
thique et d'entente symbolique du sujet, il con-
tient des scènes suffisamment lyriques et favora-
bles au développement delà symphonie. Le second
acte n'a pu être conçu que par un homme ayant
le sentiment musical dans le sens le plus étendu
du mot, et si l'on condamne justement la conclu-
sion de l'ouvrage ainsi que le rôle malencontreux
de l'Amour, il faut ajouter, à la décharge du li-
brettiste, que ces dénouements heureux des péri-
péties les plus tiagiques étaient, en quelque sorte,
imposés par le public de l'Opéra, habitué à voir
le spectacle se terminer par un ballet.

CURIOSITÉ 111

Que dire de l'admirable musique de Gluck ?
Si l'on en voulait détailler toutes^ les beautés, c'est
la partition entière qu'il faudrait citer, à quelques
rares morceaux près. Les faiblesses qu'on y re-
marque correspondent étroitement aux faiblesses
du livret. Dès que la situation cesse d'être pa-
thétique, vraie ou intéressante, le musicien faiblit
et touche terre. C'est ainsi que le rôle postiche
de l'Amour et la fausseté de la scène entre Eu-
rydice et Orphée n'ont réussij à lui inspirer
rien de comparable aux autres morceaux de
l'ouvrage. Mais comme ces taches légères dispa-
raissent dans la lumière de ceux-ci 1 Et de
quelle merveilleuse pureté, de quelle unité sans
pareille demeure, malgré tout, l'impression d'en-
semble ! Le second acte, d'un bout à l'autre, est
une création impérissable autant par ce qu'il con-
tient de beauté musicale que par la hardiesse de
la conception poétique : écrire un acte entier sans
autre moyen que ceux employés par le vieux
maître, un acte qui ne se compose que de deux
scènes presque immobiles et nous donner cette
sensation de plénitude harmonieuse, cette satis-
faction esthétique absolue, voilà qui bouleverse
toutes les lois de l'intérêt théâtral comme on le
comprend d'ordinaire : c'est ce que Gluck a su
faire et c'est par cela que nous prenons la plus
haute idée de son génie.

M. Carvalho vient de nous rendre une seconde
fois Orphée. C'est lui qui avait pris l'initiative de
la reprise de 1859. Cette seconde résurrection
ne lui aura pas moins réussi que la première. Il
n'a plus, il est vrai, M»0 Viardot pour le secon-
der, mais il nous a présenté un Orphée fort inté-
ressant en la personne de MlloDelna. Cette jeune
artiste si richement clouée et dont le talent d'assi-
milation lient du prodige, a compris son person-
nage à sa façon et a su le composer d'une ma-
nière originale. Mais le style parfois fait défaut
à M'u Delna, à qui, décidément, on a trop fait
jouer de mélodrames. C'est dans le troisième acte
surtout que ce défaut nous a paru le plus sensi-
ble. Dans les deux premiers, dans le premier
surtout, elle s'était montrée tout à fait supérieure
comme tragédienne et comme cantatrice. Dès le
premier jour, MIle Delna savaii tout ce qui ne
s'apprend point. Que tarde-t-elle à acquérir le
reste? Et pourquoi faut-il, tout en reconnaissant
qu'elle est la seule peut-être capable et digne de
jouer Orphée, que nous ayons à regretter la pos-
sibilité d'une interprétation plus belle encore
qu'elle aurait pu nous donner?

Les rôles d'Eurydice et de l'Amour sont conve-
nablement tenus, à l'Opéra-Comiquo, par MUe*
Marignan et Leclerc. La partie chorale est à coup
sûr la plus soignée de l'exécution, et le jeu
de l'orchestre nous a beaucoup moins satis-
fait sous le rapport de la netteté, de la vigueur et
surtout du style qui, par moments, est franchement
vieillot, sous prétexte d'ancienneté. Les décors et
costumes sont acceptables, et la mise en scène du
second acte est ingénieusement réglée. L< tableau
des Champs-Elysées serait parfait, sans les sau-
tilleries malencontreuses du ballet.

P. D.
 
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