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La chronique des arts et de la curiosité — 1907

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Nr. 37 (30 Novembre)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19764#0358
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LA CHRONIQUE DES ARTS

3'. 8

scolastique et sophiste à la fois. Par endroits au-
dessous du pire, il est au-dessus du talent pour
les vertus qui lui sont propres. C’est un fanatique
de l’affirmation. On croirait parfois que la façon
d’imposer le préoccupe beaucoup plus que ce qu’il
impose. Aussi Monet, en face de cet ours mal léché,
prend-il des allures d’homme du monde, discret,
aimable, ingénieux. Ses Mauves argentines — et
qu’il faudrait vernir — ses élégants Chrysanthè-
mes, si japonais, sont, un éclaboussement de pé-
tales de la grâce la plus rare. Peut-être ses Galettes
sont elles surtout un prodige d’habileté, ce qui
leur nuit en présence du fruste Cézanne. Toutefois
vieillissent-elles de bonne manière, s’éteignant à
l’unisson, comme les Huîtres et Citrons de Manet,
de beaucoup préférables, soit dit en passant, à sa
Brioche et à ses notations, toutes d’épiderme.
Gauguin figure là sans éclat avec des arrangements
décoratifs, d’inspiration kakémonesque et do réa-
lisation mince. A côté de lui, Sisley brave Cézanne
en opposant à sa rusticité une somme équivalente
de raffinement. On ne peut pas être plus « distin-
gué » qu’il ne l’est dans ses Pommes et Raisins.
Les gris du tapis sont un enchantement et les
pommes, pour être’ si délicates, n’en sont pas
moins de chair consistante. L’atmosphère perlée
des Monet qui la cantonnent est, d’autre part, pré-
judiciable à l’ample et précieuse toile du même
Sisley: Pie, Geai, Héron. La luminosité de Monet
plombe par contre-coup cette subtile symphonie
de noirs et de gris, en regard de quoi les beaux
Soleils, les Roses et les Iris de van Gogh ne peu-
vent prétendre qu’au rôle d’imagerie. MM. Bon-
nard, Roussel et Vuillard se classent dans ce
milieu parmi les plus charmants. Chacun d’eux a
son charme spécial. M. Bonnard est doux, cares-
sant, de lecture moins facile que M. Roussel, qui
voit large et communique son recueillement senti-
mental aux bouquets qu’il interprète. Quant à
M. Vuillard, le plus citadin des trois, il est le plus
inquiet, le plus compliqué, le plus fébrile. Ses
délicieux Tapis sont un brillant tour de force qui
n’elface pas le modeste Coin de table, petit poème
adorable, écrit à demi-mot, confidence sincère et
réservée. Corot mettait moins de sérieux à peindre
des Poses en juin 1874, etBertheMoriso.t fouettait ses
Reines-marguerites comme une crème délicieuse.

Les natures mortes autérieures à l’influence de
Cézanne participent d’ailleurs d’un tout autre ordre
d’idées. Les Œufs et la Côtelette du robuste Ribot,
de même que le ragoût des Roses deMonticelli sont
réellement d’un autre temps. M. van Rysselberghe
seul les explique parce qu’il est décorateur et reste
à la surface des choses. Ricard, il est vrai, a donné
de l’âme à sa Bouillotte, mais pouvait-il n’en pas
donner à tout ce qu’il touchait? Renoir, intermé-
diaire, est un peu neutre. On ne saurait faire cas
de ses Bananes et Ananas. Pour ses Roses mous-
seuses, ses Fleurs et ses luxueux Géraniums, il
faudrait en écarter le terrible Cézanne, qui les inti-
mide et rend leurs voix chevrotantes. Pissarro che-
vrote aussi, représenté du reste par des œuvres de
sa vieillesse. Odilon Redon se sauve par l’étran-
gclé de son genre qui déjoue les comparaisons, ses
fantaisies ne se passant nulle part. M. Dufrénoy,
lui, hostile à l’austérité cézannienne, apprend en
Italie la pompeuse rhétorique, tandis que M. René
Piot, dans une jolie aquarelle, tient la main de
Delacroix. Approuvons leur évasion, car les agrestes
à la Guillaumin, que la leçon d’Aix laisse insen-

sibles et qui n’ont pas d’autre soutien, reculent à
grands pas dans l’ordinaire. Les Roses et Lauriers
de M. Laprade, pris sur la palette et dépourvus de
saveur inventive, sentent le « chiqué ». Les To
mates et les Pivoines de Mrae Lucie Cousturier
manquent de contrastes. L’égalité des rouges y est
excessivement désagréable et fatigante. M. Henri
Matisse expédie son travail le plus vite possible,
grisé qu’il est par le succès. Fantin-Latour était
plus soigneux. Ajoutons équitablement qu’il a fait
mieux que Dahlias et Fruits et Pommes et Poires,
ces deux chromos de curé de campagne. Notons
Courbet pour mémoire, Courbet noirâtre et ron-
douillard, Courbet modelant comme à l’École, mais
serein,' honnête et puissant, frère en somme de
Cézanne qui, grâce à lui et à Ribot, retrouva la
filière de Chardin.

EXPOSITION PISSARRO
(Galerie Durand-Ruel)

L’œuvre gravé de Pissarro documente sur ses
défauts plutôt qu’elle ne révèle en lui des qualités
inaperçues. Laborieux est le synthétisme des Fa-
neuses d'Eragny et des paysannes travaillant aux
choux et aux haricots. Sa gaucherie n’est guère par-
lante. Entre le lyrisme à la Millet et le symbolisme
décoratif à la Gauguin.première manière, ces eaux-
fortes rustiques tiennent, tant historiquement qu’es-
thétiquement, une place insignifiante. La médio-
crité delà forme y gêne plus que dans le très curieux
Marché à la volaille à Gisors, d’effet et de carac-
tère moins veules que de coutume. Pissarro se
rattrape en outre par le « bien vu » de ses petits
paysages, comme dans VEffet de pluie avec meules
et la Maison Rondest à Vlîermitage, où il s’atteste
héritier de nos maîtres. Mais partout sa mollesse
et sa confusion indisposent l’œil pour peu qu’il
analyse, d’autant qu’aucun prestige particulier
d’aquafortiste n’empêche de songer aux lacunes.

EXPOSITION PIERRE CALMETTES
(Galerie des Artistes modernes)

L’américanisme, l’anglomanie et la bactériopho-
biè ne nous recommandant plus que l’habitation
des salles de bar, les intimistes du luxe auxquels
ne suffisent pas les intérieurs de la vieille bour-
geoisie, se rejettent sur les appartements des
nausées ou les recoins des églises. Privilégié,
M. Pierre Calmettes a eu la bonne fortune d’ètre
accueilli chez M. Anatole France, dont la maison,
meublée d’une collection d’objets d’art aussi im-
portante que choisie, lui offrit une cinquantaine de
motifs également séduisants. C’est avec une pieuse
familiarité d’ami qu’il s’y attacha tour à tour et son
exposition constitue une monographie descriptive
que ne consulteront pas sans profit les fureteurs
et les psychologues. L’inconvénient que ne put
éluder M. Calmettes, c’est celui qui menace les
artistes toujours rivés au même modèle : l’unifor-
mité visuelle. L’œil de M. Calmettes eût gagné à
se renouveler, afin de trouver pour chaque toile un
autre tremplin émotionnel. Les deux vues de La
Chambre, aux pourpres dominantes, font regret
ter qu’un souci pictural analogue ne préside pas
régulièrement au long des quatre murs occupés
par les œuvres de M. Calmettes. Quelques études
au pastel, plus lumineuses que le reste, tendraient
à prouver que M. Calmettes est desservi par le
 
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