est dominée et conditionnée par ce drame, — par l'impérissable
désir de retenir la vie universelle qui nous échappe à tout instant,
dans l'image capable de la définir pour toujours. Si l'on ne
conçoit pas cela, aucune forme d'art n'est intelligible en dehors
du naturalisme le plus étroit. Si l'on conçoit cela, les formes
les plus éloignées des apparences de la vie, — l'art aztèque, par
exemple, qui est à peu près illisible au premier coup d'œil et
réunit, dans ses équilibres de masses, les objets et les organes les
plus hétéroclites et souvent les moins définis, — deviennent immé-
diatement et pleinement intelligibles. Elles conquièrent cette
vertu de viabilité surnaturelle où communient les plus hautes
expressions du lyrisme, ivresse de la vie montante prenant cons-
cience de son ascension. Le modeleur de dieux, au fond, c'est
l'univers spirituel courant sans cesse à la poursuite de son centre
de gravité qui s'offre et se dérobe tour à tour à son étreinte. Il
n'est que l'humble et merveilleuse image de l'ordre cosmique
lui-même, cet état d'équilibre provisoire entre deux chaos. Ceux
qui nient que l'art soit utile voudront bien se représenter ce
qu'il adviendrait de l'homme, si la force qui maintient les pla-
nètes dans leur orbite cessait tout d'un coup d'agir.
Ce sont là de bien grands mots peut-être, si l'on songe à telle
fable de La Fontaine, à telle figurine béotienne, à telle enlu-
minure persane, à telle folle jeune femme de Fragonard offrant
entre deux doigts la fraise de son sein. Cependant pourrions-
nous saisir la grâce la plus furtive, goûter l'accord discret des
tons les plus délicats, pénétrer l'angoisse ou la douceur de ces
yeux qui nous regardent, si des antennes subtiles, parties des
centres secrets de notre sensibilité, ne l'unissaient infaillible-
ment à leurs attractions mystérieuses, si impondérables soient-
elles, par des lignes de force assurant la solidarité physique,
et biologique, et spirituelle de leur structure et de la nôtre, et
affirmant la présence, en elles comme en nous, de deux besoins
d'harmonie analogues que leur accord inattendu enivre de sécu-
rité? Il n'y a rien d'incompatible entre cette certitude mathé-
matique que nous cherchons confusément dans l'œuvre d'art et
sa vie toujours fuyante et toujours attirante que nous ne pou-
vons y surprendre que par éclairs. Nous goûtons, bien au con-
traire, dans cette fuite perpétuelle, une obscure consolation, sitôt
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désir de retenir la vie universelle qui nous échappe à tout instant,
dans l'image capable de la définir pour toujours. Si l'on ne
conçoit pas cela, aucune forme d'art n'est intelligible en dehors
du naturalisme le plus étroit. Si l'on conçoit cela, les formes
les plus éloignées des apparences de la vie, — l'art aztèque, par
exemple, qui est à peu près illisible au premier coup d'œil et
réunit, dans ses équilibres de masses, les objets et les organes les
plus hétéroclites et souvent les moins définis, — deviennent immé-
diatement et pleinement intelligibles. Elles conquièrent cette
vertu de viabilité surnaturelle où communient les plus hautes
expressions du lyrisme, ivresse de la vie montante prenant cons-
cience de son ascension. Le modeleur de dieux, au fond, c'est
l'univers spirituel courant sans cesse à la poursuite de son centre
de gravité qui s'offre et se dérobe tour à tour à son étreinte. Il
n'est que l'humble et merveilleuse image de l'ordre cosmique
lui-même, cet état d'équilibre provisoire entre deux chaos. Ceux
qui nient que l'art soit utile voudront bien se représenter ce
qu'il adviendrait de l'homme, si la force qui maintient les pla-
nètes dans leur orbite cessait tout d'un coup d'agir.
Ce sont là de bien grands mots peut-être, si l'on songe à telle
fable de La Fontaine, à telle figurine béotienne, à telle enlu-
minure persane, à telle folle jeune femme de Fragonard offrant
entre deux doigts la fraise de son sein. Cependant pourrions-
nous saisir la grâce la plus furtive, goûter l'accord discret des
tons les plus délicats, pénétrer l'angoisse ou la douceur de ces
yeux qui nous regardent, si des antennes subtiles, parties des
centres secrets de notre sensibilité, ne l'unissaient infaillible-
ment à leurs attractions mystérieuses, si impondérables soient-
elles, par des lignes de force assurant la solidarité physique,
et biologique, et spirituelle de leur structure et de la nôtre, et
affirmant la présence, en elles comme en nous, de deux besoins
d'harmonie analogues que leur accord inattendu enivre de sécu-
rité? Il n'y a rien d'incompatible entre cette certitude mathé-
matique que nous cherchons confusément dans l'œuvre d'art et
sa vie toujours fuyante et toujours attirante que nous ne pou-
vons y surprendre que par éclairs. Nous goûtons, bien au con-
traire, dans cette fuite perpétuelle, une obscure consolation, sitôt
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