il le parle, et aussi, prenons-y bien garde, selon l'homme qui
l'entend. Mais Taine, qui savait cela, entendait-il bien ce
langage? Retrouvait-il, dans ses accents divers, les parentés
spirituelles secrètes qui expriment l'homme intérieur sous
l'écorce des apparences? Il semble qu'il ait confondu avec
l'esprit qu'ils véhiculent les sonorités, les nuances, les
inflexions, les tics coutumiers et jusqu'à l'orthographe qui
accusent ces accents-là. Il ne voit guère l'œuvre d'art que
sous son angle pittoresque. Il saisit avec force, mais presque
exclusivement, ses rapports extérieurs avec l'aspect général
des milieux géographiques, l'histoire, les passions, les mœurs
qu'elle exprime ici ou là, ce qui la fait ici violente ou même
cruelle, là bourgeoise et anecdotique, ailleurs idéaliste et
généralisatrice, et aussi, dans ce canton, portée à se traduire
par la forme, dans cet autre par la couleur. Et certes, ces
rapports ne peuvent pas être niés. Si je ne crois ni évident
ni nécessaire que l'homme aspire uniquement à refléter les
aspects immédiats des êtres et des objets, je crois qu'il ne
peut s'exprimer lui-même qu'en empruntant à ces aspects
tous leurs éléments expressifs, parce qu'il n'en dispose pas
d'autres. Ou que du moins, s'il en dispose d'autres, rapportés
soit de ses voyages, soit des paysages intérieurs que l'atavisme
déroule en lui obscurément, ce sont ceux-là qui l'ont frappé
d'abord, qui le modèlent encore, et qui touchent presque
uniquement ceux auxquels les circonstances l'obligent à
s'adresser.
Seulement, l'équivoque est là. C'est le grand créateur de
formes qui sait le mieux obéir. Mais c'est aussi chez lui que
la transposition joue avec le plus de constance, et d'incon-
science d'ailleurs. Les gris de cendre et de perle et d'argent
qui tremblent sur les pentes du Guadarrama, les nuages
roses ou mauves qui en frôlent les sommets, les oranges du
marché dont on retrouve le ton, au crépuscule, dans l'at-
mosphère de Castille, les roses de la rose ou les rouges de
l'œillet, Vélasquez et Goya ne nous les redonnent jamais
à l'endroit où ils les ont vus, dans l'ordre où ils les ont sur-
pris : ils grelottent dans ce bijou, dans le ruban de cet ordre,
dans ce bras duveteux ganté de blanc, ils brillent dans ces
— 78 —
l'entend. Mais Taine, qui savait cela, entendait-il bien ce
langage? Retrouvait-il, dans ses accents divers, les parentés
spirituelles secrètes qui expriment l'homme intérieur sous
l'écorce des apparences? Il semble qu'il ait confondu avec
l'esprit qu'ils véhiculent les sonorités, les nuances, les
inflexions, les tics coutumiers et jusqu'à l'orthographe qui
accusent ces accents-là. Il ne voit guère l'œuvre d'art que
sous son angle pittoresque. Il saisit avec force, mais presque
exclusivement, ses rapports extérieurs avec l'aspect général
des milieux géographiques, l'histoire, les passions, les mœurs
qu'elle exprime ici ou là, ce qui la fait ici violente ou même
cruelle, là bourgeoise et anecdotique, ailleurs idéaliste et
généralisatrice, et aussi, dans ce canton, portée à se traduire
par la forme, dans cet autre par la couleur. Et certes, ces
rapports ne peuvent pas être niés. Si je ne crois ni évident
ni nécessaire que l'homme aspire uniquement à refléter les
aspects immédiats des êtres et des objets, je crois qu'il ne
peut s'exprimer lui-même qu'en empruntant à ces aspects
tous leurs éléments expressifs, parce qu'il n'en dispose pas
d'autres. Ou que du moins, s'il en dispose d'autres, rapportés
soit de ses voyages, soit des paysages intérieurs que l'atavisme
déroule en lui obscurément, ce sont ceux-là qui l'ont frappé
d'abord, qui le modèlent encore, et qui touchent presque
uniquement ceux auxquels les circonstances l'obligent à
s'adresser.
Seulement, l'équivoque est là. C'est le grand créateur de
formes qui sait le mieux obéir. Mais c'est aussi chez lui que
la transposition joue avec le plus de constance, et d'incon-
science d'ailleurs. Les gris de cendre et de perle et d'argent
qui tremblent sur les pentes du Guadarrama, les nuages
roses ou mauves qui en frôlent les sommets, les oranges du
marché dont on retrouve le ton, au crépuscule, dans l'at-
mosphère de Castille, les roses de la rose ou les rouges de
l'œillet, Vélasquez et Goya ne nous les redonnent jamais
à l'endroit où ils les ont vus, dans l'ordre où ils les ont sur-
pris : ils grelottent dans ce bijou, dans le ruban de cet ordre,
dans ce bras duveteux ganté de blanc, ils brillent dans ces
— 78 —