cheveux sombres, ils piquent ce corsage d'une tache san-
glante, ils empourprent cette bouche dans ce visage fardé.
Le ciel et la mer de Venise pénètrent les marbres, les chairs,
les satins de Véronèse. La nacre des eaux de la Marne pal-
pite dans cette jupe où Watteau (i) mêle aussi l'ardeur des
bois de Nogent en automne, comme il y surprend leurs
rosées printanières et le pollen qui poudre l'aile de leurs
papillons. Les harengs du marché, ses ferrailles rouillées,
ses loques, l'incarnat des tulipes et la rousse lueur des taudis
d'Amsterdam saturent tel visage d'homme, tel berceau où
dort l'enfant-dieu, telle poitrine de femme peints par le
vieux pauvre Rembrandt. Je vois bien la distance énorme
qui sépare Rembrandt de Potter par exemple, et même
l'espèce d'antagonisme qu'on peut surprendre entre celui-ci,
qui reflète paisiblement et fidèlement son milieu et celui-là
qui en joue, pour refléter Rembrandt, comme des mille
instruments d'un orchestre (2). Mais j'affirme que si Rem-
brandt, né ailleurs qu'en Hollande, eût peut-être été un
homme de la qualité de Rembrandt, en admettant l'action
sur lui de circonstances historiques et d'atavismes analogues,
il se fût exprimé au moyen d'une peinture différente de la
sienne, ou peut-être au moyen de la sculpture, ou peut-être
au moyen de la musique, ou peut-être au moyen du mot.
Voici, sous la brume et la pluie, une plaine verdoyante.
Voici une étendue rocheuse que calcine le soleil. Il n'est pas
surprenant que l'homme, ici et là, ne parle pas la même
langue, et je montrerai, après Taine, pour quelles raisons
très simples celle-ci sera précise, celle-là flottante et noyée.
Cependant, ici comme là, le soleil surgit chaque matin du
même point de l'horizon, disparaît chaque soir au même
point de l'horizon, parcourant, entre ces points extrêmes,
la même courbe dans le ciel. Ici comme là, à de rigoureux
intervalles, le jour et la nuit, les saisons alternent. Ici comme
là, le ciel entier paraît tourner autour d'un pivot invisible.
Ici comme là se succèdent l'époque des semailles et l'époque
(1) Fig. 36.
(2) Fig. 37 et 90.
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glante, ils empourprent cette bouche dans ce visage fardé.
Le ciel et la mer de Venise pénètrent les marbres, les chairs,
les satins de Véronèse. La nacre des eaux de la Marne pal-
pite dans cette jupe où Watteau (i) mêle aussi l'ardeur des
bois de Nogent en automne, comme il y surprend leurs
rosées printanières et le pollen qui poudre l'aile de leurs
papillons. Les harengs du marché, ses ferrailles rouillées,
ses loques, l'incarnat des tulipes et la rousse lueur des taudis
d'Amsterdam saturent tel visage d'homme, tel berceau où
dort l'enfant-dieu, telle poitrine de femme peints par le
vieux pauvre Rembrandt. Je vois bien la distance énorme
qui sépare Rembrandt de Potter par exemple, et même
l'espèce d'antagonisme qu'on peut surprendre entre celui-ci,
qui reflète paisiblement et fidèlement son milieu et celui-là
qui en joue, pour refléter Rembrandt, comme des mille
instruments d'un orchestre (2). Mais j'affirme que si Rem-
brandt, né ailleurs qu'en Hollande, eût peut-être été un
homme de la qualité de Rembrandt, en admettant l'action
sur lui de circonstances historiques et d'atavismes analogues,
il se fût exprimé au moyen d'une peinture différente de la
sienne, ou peut-être au moyen de la sculpture, ou peut-être
au moyen de la musique, ou peut-être au moyen du mot.
Voici, sous la brume et la pluie, une plaine verdoyante.
Voici une étendue rocheuse que calcine le soleil. Il n'est pas
surprenant que l'homme, ici et là, ne parle pas la même
langue, et je montrerai, après Taine, pour quelles raisons
très simples celle-ci sera précise, celle-là flottante et noyée.
Cependant, ici comme là, le soleil surgit chaque matin du
même point de l'horizon, disparaît chaque soir au même
point de l'horizon, parcourant, entre ces points extrêmes,
la même courbe dans le ciel. Ici comme là, à de rigoureux
intervalles, le jour et la nuit, les saisons alternent. Ici comme
là, le ciel entier paraît tourner autour d'un pivot invisible.
Ici comme là se succèdent l'époque des semailles et l'époque
(1) Fig. 36.
(2) Fig. 37 et 90.
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