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Les plus grandes œuvres ressemblent à une vengeance de
l'esprit et du cœur martyrisés par l'habitude universelle et
s'offrent aux yeux des foules comme un paradoxe complet.
Je sais bien que cette allure paradoxale disparaît peu à peu
avec l'accoutumance qu'on prend d'elles, mais elle reparaît
éclatante dès qu'on jette la sonde, aux temps où elles na-
quirent, dans les passions, les coutumes, les lois qui consti-
tuaient leur support apparent. Et elle s'accentue d'autant
plus que l'époque est plus individuée, la religion plus dis-
cutée, la morale et la loi moins respectées et suivies, et que
l'homme puissant se dresse, face à la foule à la fois anar-
chique et moutonnière pour affirmer, contre elle, la persis-
tance de l'esprit. L'individu ne peut se définir qu'en adop-
tant la même échelle que les autres, en se plaçant sous la
même toise que les autres, en mettant constamment en paral-
lèle avec celles des autres ses idées et ses actions. Les
démocraties, par exemple, autorisent, et même imposent les
comparaisons. Il est donc naturel qu'un examen, même
superficiel, révèle, à peu près toujours quand elles règnent,
entre le milieu et l'artiste, un antagonisme bruyant. Mais aux
époques les plus cohérentes, les plus hiérarchisées, les plus
hiératiques même, si l'on veut prendre la peine d'étudier le
sens intérieur des grandes œuvres collectives où la foule elle-
même exprime, selon un rythme unanime, ses tendances les
plus hautes selon ses plus vivants moyens, on y découvre un
contraste voilé, et voilé par elle, avec ses passions et ses
mœurs. La vie entière, au fond, est, à quelque minute qu'on
l'isole dans son ruissellement, un vaste système esthétique
qui maintient un équilibre précaire entre ses tendances diver-
gentes, et que la tâche de l'esprit est de découvrir et d'accuser.
C'est parce que l'œuvre d'art n'a pas d'autre fonction que
d'établir cet équilibre, qu'elle constitue sa plus émouvante,
sinon sa plus parfaite image, et qu'elle est seule à être, pour
l'homme, utile comme le pain.
Ce n'est pas le langage plastique seul qui se porte ainsi
d'un élan à notre pôle spirituel pour entraîner notre pôle
animal dans sa direction. L'acrobate symbolise à merveille la
position de l'homme vis-à-vis de l'univers à ordonner. Il

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