enchaîne ainsi à une vision optimiste des choses où nous
cherchons à prolonger la vie réelle en vue d'un perfection-
nement déterminé qui nous interdit l'ivresse lyrique. Les
grandes divisions — idéalisme, réali me — qu'on a infligées
à l'art occidental entier, et auxquelles l'art oriental échappe
à peu près complètement, se ramènent, en somme, à cet
unique souci de perfection descriptive qui lui a été si sou-
vent funeste, s'il a déterminé l'émergence de quelques
grands individus. Déterminé, je le dis bien. On s'explique-
rait mal Rembrandt et Michel-Ange, par exemple, si le
besoin de vérité de l'Occident ne pesait sur eux depuis plus
de vingt siècles — que dis-je? depuis les vingt mille ans qui
les séparent des chasseurs de rennes sans doute — et n'in-
fligeait à la conquête incessante de leur équilibre moral cette
allure pathétique d'une âme qui veut briser sa gangue tout
en se modelant sur la forme de cette gangue, ici avec fureur
et là avec humilité.
Chacune de ces divisions répond, il est vrai, à quelque
chose d'exact. Elles sont les expressions complémentaires
l'une de l'autre du naturalisme européen. Elles n'ont pas
cessé de se pénétrer l'une l'autre, comme chez Rubens et les
romantiques français, de s'engendrer l'une par l'autre quand
l'École bolonaise se greffe sur Rome et Venise par exemple,
ou quand Praxitèle et Lysippe succèdent à Phidias, d'alterner
l'une avec l'autre, comme en France si l'on passe des Clouet
à Poussin, de Poussin à Chardin, de Chardin à David, de
David à Corot, de Corot à Courbet, ou même de coexister,
si l'on veut bien confronter dans le même pays et à la même
époque les Clouet avec Jean Goujon, les frères Le Nain
avec Le Brun, Ghirlandajo avec Botticelli (i), Carpaccio
avec Giorgione, Tiepolo avec Guardi. Cependant, les deux
courants qui les poussent sont faciles à déceler si l'on veut
bien, ici encore, se pénétrer des mœurs du pays et de la race,
de leur histoire spirituelle, de leurs réactions spéciales vis-
à-vis des événements. Le naturalisme européen mènera
presque à coup sûr à 1'« idéalisme » plastique ses peuples
(i) Fig. 99 et IOO.
— 240 —-
cherchons à prolonger la vie réelle en vue d'un perfection-
nement déterminé qui nous interdit l'ivresse lyrique. Les
grandes divisions — idéalisme, réali me — qu'on a infligées
à l'art occidental entier, et auxquelles l'art oriental échappe
à peu près complètement, se ramènent, en somme, à cet
unique souci de perfection descriptive qui lui a été si sou-
vent funeste, s'il a déterminé l'émergence de quelques
grands individus. Déterminé, je le dis bien. On s'explique-
rait mal Rembrandt et Michel-Ange, par exemple, si le
besoin de vérité de l'Occident ne pesait sur eux depuis plus
de vingt siècles — que dis-je? depuis les vingt mille ans qui
les séparent des chasseurs de rennes sans doute — et n'in-
fligeait à la conquête incessante de leur équilibre moral cette
allure pathétique d'une âme qui veut briser sa gangue tout
en se modelant sur la forme de cette gangue, ici avec fureur
et là avec humilité.
Chacune de ces divisions répond, il est vrai, à quelque
chose d'exact. Elles sont les expressions complémentaires
l'une de l'autre du naturalisme européen. Elles n'ont pas
cessé de se pénétrer l'une l'autre, comme chez Rubens et les
romantiques français, de s'engendrer l'une par l'autre quand
l'École bolonaise se greffe sur Rome et Venise par exemple,
ou quand Praxitèle et Lysippe succèdent à Phidias, d'alterner
l'une avec l'autre, comme en France si l'on passe des Clouet
à Poussin, de Poussin à Chardin, de Chardin à David, de
David à Corot, de Corot à Courbet, ou même de coexister,
si l'on veut bien confronter dans le même pays et à la même
époque les Clouet avec Jean Goujon, les frères Le Nain
avec Le Brun, Ghirlandajo avec Botticelli (i), Carpaccio
avec Giorgione, Tiepolo avec Guardi. Cependant, les deux
courants qui les poussent sont faciles à déceler si l'on veut
bien, ici encore, se pénétrer des mœurs du pays et de la race,
de leur histoire spirituelle, de leurs réactions spéciales vis-
à-vis des événements. Le naturalisme européen mènera
presque à coup sûr à 1'« idéalisme » plastique ses peuples
(i) Fig. 99 et IOO.
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