JOURNAL DU VOYAGE DU CAVALIER BERNIN EN FRANGE. 73
dire au Roi : « C'est que Sa Majesté ayant voulu conserver le Louvre l'avait
détruit. » Comme l'on n'a rien répondu, il m'a demandé-si j'entendais sa pen-
sée; j'ai répondu qu'oui, que c'était qu'il lui donnait un habit, qui empêcherait
qu'on ne vît plus rien de sa forme ancienne. M. le commandeur l'a assuré
que dès ce soir même il dirait cela au Roi. Après dîner, le Cavalier a été à
Meudon, où l'on a trouvé M. le Nonce; il lui a fait remarquer que de dessus
cette hauteur, où l'on était, l'on ne voyait à Paris qu'un amas de cheminées,
et que cela paraissait comme un peigne à carder. Il a ajouté que Rome a
bien une autre apparence, qu'on y voit Saint-Pierre en un endroit, le Campi-
doglio1 en un autre, Farnèse ailleurs, Monticaval2, le palais de Saint-Marc, le
Colisée, la Chancellerie, le palais des Colonne, et nombre d'autres semés çà
et là qui avaient de la grandeur et une apparence fort magnifique et superbe.
Je repartis que ces palais étaient grands à la vérité pour ce qu'ils avaient de
grands espaces qui leur servaient comme de champs, qu'il n'en était pas de
même à Paris, où les maisons étant, quelque belles qu'elles fussent, pressées
les unes des autres, ne se peuvent pas bien distinguer; que les espaces y
étaient chers et les places petites, ce qui faisait que bon nombre des bâtiments
s'entr'offusquaient les uns des autres, et de loin n'étaient d'aucune apparence.
En voyant l'escalier du château, il a dit qu'on n'en voudrait pas un pareil dans
une hôtellerie d'Italie, et puis en riant s'est mis à dire que la couverture du
dôme me plaisait sans doute beaucoup. Nous eu revenant, il a fait arrêter le
carrosse devant la terrasse des Capucins de Meudon, y ayant aperçu M. le car-
dinal Antoine. S. E. lui a dit qu'elle avait su qu'il avait été à Saint-Cloud.
Il lui a répondu qu'il avait trouvé la situation, le jardin et les eaux fort belles.
S. E. lui ayant demandé ce qu'il lui avait semblé de la cascade, et si elle
ne lui avait point paru trop belle, il lui a dit que c'en était le défaut; qu'il faut
cacher l'art davantage et chercher de donner aux choses une apparence plus
naturelle, mais qu'en France généralement en tout on fait le contraire. Le
Cavalier arrivé à l'hôtel de Frontenac nous a priés, mon frère et moi, de lui
trouver quelqu'un intelligent en lunettes et qui connût quand les verres en
sont taillés régulièrement. Il nous a dit qu'à Rome, après avoir mis à part les
lunettes qui conviennent à son âge, un certain seigneur Stefano lui choisit celles
qui sont bien taillées et font voir les objets justes et sans altérations, ce qui
n'est pas si nécessaire pour ceux qui ne demandent des lunettes que pour lire.
Le troisième, je l'ai trouvé travaillant à son buste et le signor Mathie à
prendre l'alignement de la porte principale du Louvre. Le Cavalier m'a dit
qu'il avait fait faire une belle opération pour cela, et qu'il a trouvé que l'ali-
gnement, qui a été pris à la façade commencée, ne cadrait pas, ce qui le
mettait en peine ayant peur de s'être trompé lui-même; qu'il eût souhaité
que j'y eusse été, mais qu'il a été du grand matin sur le lieu à cause de la
foule qui s'y trouve d'ordinaire; qu'il en avait fait une preuve qui lui avait
réussi, mais qu'il ne s'en tiendrait pas à cela et y retravaillerait encore. Le
soir, il m'a demandé si je trouvais que son travail de la journée parût à son
buste, je lui ai dit qu'oui. Il a poursuivi et dit qu'il espérait, me montrant
t. Le Capitole- — 2. Monte-Gavallo.
xvii. — période.
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dire au Roi : « C'est que Sa Majesté ayant voulu conserver le Louvre l'avait
détruit. » Comme l'on n'a rien répondu, il m'a demandé-si j'entendais sa pen-
sée; j'ai répondu qu'oui, que c'était qu'il lui donnait un habit, qui empêcherait
qu'on ne vît plus rien de sa forme ancienne. M. le commandeur l'a assuré
que dès ce soir même il dirait cela au Roi. Après dîner, le Cavalier a été à
Meudon, où l'on a trouvé M. le Nonce; il lui a fait remarquer que de dessus
cette hauteur, où l'on était, l'on ne voyait à Paris qu'un amas de cheminées,
et que cela paraissait comme un peigne à carder. Il a ajouté que Rome a
bien une autre apparence, qu'on y voit Saint-Pierre en un endroit, le Campi-
doglio1 en un autre, Farnèse ailleurs, Monticaval2, le palais de Saint-Marc, le
Colisée, la Chancellerie, le palais des Colonne, et nombre d'autres semés çà
et là qui avaient de la grandeur et une apparence fort magnifique et superbe.
Je repartis que ces palais étaient grands à la vérité pour ce qu'ils avaient de
grands espaces qui leur servaient comme de champs, qu'il n'en était pas de
même à Paris, où les maisons étant, quelque belles qu'elles fussent, pressées
les unes des autres, ne se peuvent pas bien distinguer; que les espaces y
étaient chers et les places petites, ce qui faisait que bon nombre des bâtiments
s'entr'offusquaient les uns des autres, et de loin n'étaient d'aucune apparence.
En voyant l'escalier du château, il a dit qu'on n'en voudrait pas un pareil dans
une hôtellerie d'Italie, et puis en riant s'est mis à dire que la couverture du
dôme me plaisait sans doute beaucoup. Nous eu revenant, il a fait arrêter le
carrosse devant la terrasse des Capucins de Meudon, y ayant aperçu M. le car-
dinal Antoine. S. E. lui a dit qu'elle avait su qu'il avait été à Saint-Cloud.
Il lui a répondu qu'il avait trouvé la situation, le jardin et les eaux fort belles.
S. E. lui ayant demandé ce qu'il lui avait semblé de la cascade, et si elle
ne lui avait point paru trop belle, il lui a dit que c'en était le défaut; qu'il faut
cacher l'art davantage et chercher de donner aux choses une apparence plus
naturelle, mais qu'en France généralement en tout on fait le contraire. Le
Cavalier arrivé à l'hôtel de Frontenac nous a priés, mon frère et moi, de lui
trouver quelqu'un intelligent en lunettes et qui connût quand les verres en
sont taillés régulièrement. Il nous a dit qu'à Rome, après avoir mis à part les
lunettes qui conviennent à son âge, un certain seigneur Stefano lui choisit celles
qui sont bien taillées et font voir les objets justes et sans altérations, ce qui
n'est pas si nécessaire pour ceux qui ne demandent des lunettes que pour lire.
Le troisième, je l'ai trouvé travaillant à son buste et le signor Mathie à
prendre l'alignement de la porte principale du Louvre. Le Cavalier m'a dit
qu'il avait fait faire une belle opération pour cela, et qu'il a trouvé que l'ali-
gnement, qui a été pris à la façade commencée, ne cadrait pas, ce qui le
mettait en peine ayant peur de s'être trompé lui-même; qu'il eût souhaité
que j'y eusse été, mais qu'il a été du grand matin sur le lieu à cause de la
foule qui s'y trouve d'ordinaire; qu'il en avait fait une preuve qui lui avait
réussi, mais qu'il ne s'en tiendrait pas à cela et y retravaillerait encore. Le
soir, il m'a demandé si je trouvais que son travail de la journée parût à son
buste, je lui ai dit qu'oui. Il a poursuivi et dit qu'il espérait, me montrant
t. Le Capitole- — 2. Monte-Gavallo.
xvii. — période.
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