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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

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Nr. 6
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Lostalot, Alfred de: Revue musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24592#0546

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REVUE MUSICALE.

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une belle page de musique, digne en tous points d’être comparée au duo de
l’alouette de Roméo et Juliette. Ajoutons que Massé ne doit rien à Gounod,
bien que tous deux se soient inspirés d’une scène identique : « C’est le jour...
— Non, ce n’est pas le jour... » On retrouve enfin le musicien des anciens
jours dans une gracieuse cantilène chantée par le contralto : les Heureux
accusent la vie. Ce n’est qu’une romance, je le veux bien, mais le sentiment
en est juste et pénétrant; et puis, il ne faut pas médire de la romance; s’il
est très facile d’en faire une mauvaise, il n’est pas donné à tout le monde
d’en trouver une bonne. On peut être un compositeur de première force et
perdre son temps à courir après la pensée lumineuse, émotion d’une seconde,
qui peut se traduire en une romance impressionnante. L’idée venue, il s’agit
de l’exposer dans la forme la plus propre à la mettre en relief ; en général,
c’est la plus simple qui convient à la romance; or, rien n’est difficile en art,
comme défaire simple; il faut être naïf ou très savant. De nos jours, les
compositeurs manquent de naïveté, et ils ne sont pas assez savants pour la
simuler : impossible de les voir sans leur bagage scientifique; ils le portent
collé à la peau, comme Hercule la robe de Nessus.

J’aurais peut-être dû dire que le beau duo à’Une nuit de Cleopâtre est en
sol b majeur ; mes confrères de la presse musicale n’y ont pas manqué, mais
je crois que ce genre d’indication ne change rien à l'affaire. A noter cepen-
dant que Victor Massé affectionne cette tonalité; on la retrouve dans plu-
sieurs morceaux de son opéra1. Les amateurs ne lui en sauront probablement
aucun gré; on n’aime pas, dans le monde, les morceaux de musique qui se
présentent avec six bémols à la clef.

M. Darcel a parlé de la mise en scène dans notre Chronique (n° du 9 mai);
La pièce est bien faite, quoiqu’elle ne porte pas en soi un bien grand intérêt.
M. J. Barbier a pris son livret dans une nouvelle de Th. Gautier et
naturellement il a dû convertir la prose merveilleuse du maître en style
d’opéra-comique. C’est l’histoire un peu leste des ennuis de Cléopâtre
pendant une absence de Marc-Antoine; le pêcheur Manassès follement épris
de l’enchanteresse au point d’abandonner sa mère, sa fiancée Charmion et
ses filets, s’introduit dans le palais et surprend Cléopâtre au bain. Son audace
le condamne à mourir; qu’importe la mort, d’ailleurs, puisqu’il a vu de
près « son étoile » ! Mais la reine, charmée de sa bonne tournure, veut bien
surseoir à l’exécution jusqu’au lendemain. Entre temps, on lui octroie tous
les privilèges de la royauté; à l’Opéra-Comique, ces privilèges consistent en
un banquet agrémenté de danses et de chansons, et terminé, â l’aube,
par un duo d’amour. L’heure sonnée, Manassès appelle la mort à grands
cris; Cléopâtre voudrait faire grâce, mais tout à coup des fanfares annon-
cent le retour du mari; le pêcheur n’hésite plus, il épuise d’une lèvre avide
la coupe empoisonnée que lui tend la jalouse Charmion, et tombe foudroyé.

Nous avons dit que le rôle de Manassès était fait à souhait pour la voix
de M. Talazac; Victor Massé, en écrivant, pensait à ce ténor exceptionnel-
lement doué; c’est peut-être pour cela que les mélodies qu’il lui prête n’ont
pas leur franchise habituelle; le musicien s’est trop préoccupé de faire

-1. La partition, piano et chant, a paru chez M. Léon Gras, éditeur, place Saint-
Augustin.
 
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