Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

DOI issue:
Nr. 6
DOI article:
Lostalot, Alfred de: Revue musicale
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.24592#0546

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
REVUE MUSICALE.

525

une belle page de musique, digne en tous points d’être comparée au duo de
l’alouette de Roméo et Juliette. Ajoutons que Massé ne doit rien à Gounod,
bien que tous deux se soient inspirés d’une scène identique : « C’est le jour...
— Non, ce n’est pas le jour... » On retrouve enfin le musicien des anciens
jours dans une gracieuse cantilène chantée par le contralto : les Heureux
accusent la vie. Ce n’est qu’une romance, je le veux bien, mais le sentiment
en est juste et pénétrant; et puis, il ne faut pas médire de la romance; s’il
est très facile d’en faire une mauvaise, il n’est pas donné à tout le monde
d’en trouver une bonne. On peut être un compositeur de première force et
perdre son temps à courir après la pensée lumineuse, émotion d’une seconde,
qui peut se traduire en une romance impressionnante. L’idée venue, il s’agit
de l’exposer dans la forme la plus propre à la mettre en relief ; en général,
c’est la plus simple qui convient à la romance; or, rien n’est difficile en art,
comme défaire simple; il faut être naïf ou très savant. De nos jours, les
compositeurs manquent de naïveté, et ils ne sont pas assez savants pour la
simuler : impossible de les voir sans leur bagage scientifique; ils le portent
collé à la peau, comme Hercule la robe de Nessus.

J’aurais peut-être dû dire que le beau duo à’Une nuit de Cleopâtre est en
sol b majeur ; mes confrères de la presse musicale n’y ont pas manqué, mais
je crois que ce genre d’indication ne change rien à l'affaire. A noter cepen-
dant que Victor Massé affectionne cette tonalité; on la retrouve dans plu-
sieurs morceaux de son opéra1. Les amateurs ne lui en sauront probablement
aucun gré; on n’aime pas, dans le monde, les morceaux de musique qui se
présentent avec six bémols à la clef.

M. Darcel a parlé de la mise en scène dans notre Chronique (n° du 9 mai);
La pièce est bien faite, quoiqu’elle ne porte pas en soi un bien grand intérêt.
M. J. Barbier a pris son livret dans une nouvelle de Th. Gautier et
naturellement il a dû convertir la prose merveilleuse du maître en style
d’opéra-comique. C’est l’histoire un peu leste des ennuis de Cléopâtre
pendant une absence de Marc-Antoine; le pêcheur Manassès follement épris
de l’enchanteresse au point d’abandonner sa mère, sa fiancée Charmion et
ses filets, s’introduit dans le palais et surprend Cléopâtre au bain. Son audace
le condamne à mourir; qu’importe la mort, d’ailleurs, puisqu’il a vu de
près « son étoile » ! Mais la reine, charmée de sa bonne tournure, veut bien
surseoir à l’exécution jusqu’au lendemain. Entre temps, on lui octroie tous
les privilèges de la royauté; à l’Opéra-Comique, ces privilèges consistent en
un banquet agrémenté de danses et de chansons, et terminé, â l’aube,
par un duo d’amour. L’heure sonnée, Manassès appelle la mort à grands
cris; Cléopâtre voudrait faire grâce, mais tout à coup des fanfares annon-
cent le retour du mari; le pêcheur n’hésite plus, il épuise d’une lèvre avide
la coupe empoisonnée que lui tend la jalouse Charmion, et tombe foudroyé.

Nous avons dit que le rôle de Manassès était fait à souhait pour la voix
de M. Talazac; Victor Massé, en écrivant, pensait à ce ténor exceptionnel-
lement doué; c’est peut-être pour cela que les mélodies qu’il lui prête n’ont
pas leur franchise habituelle; le musicien s’est trop préoccupé de faire

-1. La partition, piano et chant, a paru chez M. Léon Gras, éditeur, place Saint-
Augustin.
 
Annotationen