L’ART.
tous, écrivains de la presse spéciale, la France, qui a si longtemps, trop longtemps somnolé
sur ses lauriers, commence enfin à se préoccuper du mouvement de l’art en Angleterre. Nos
amateurs, nos artistes et aussi les hommes qui ont le souci de notre pédagogie artistique, et
bien plus encore les chefs de nos industries de luxe tournent maintenant des regards inquiets de
l’autre côté du canal. Rien de ce qui vient de cette direction ne nous trouve plus indifférents.
Disons donc ce que fut ce mouvement parti du Genn, et qui du ce Préraphaélisme » d’autrefois
aboutit à 1’ « Esthétisme » d’aujourd’hui, c'est-à-dire d’un excès à un excès, dans lequel les
théories valent mieux souvent que les œuvres, mais dans lequel aussi il y a beaucoup à prendre
et à garder. Il est d’ailleurs, sauf de nom, très inconnu en France et imparfaitement connu en
Angleterre, même de ceux qui, pour y avoir joué un rôle actif, pourraient être le mieux informés.
Ayant vérifié, minutieusement contrôlé toutes les pièces de ce curieux chapitre d’histoire, les
ayant sous les yeux, nous sommes en mesure de l’écrire avec une exactitude absolue.
Après avoir, en l’œuvre de ses premiers maîtres vraiment nationaux, — Reynolds, Gainsborough
et même Lawrence, issus des grands Flamands, de Rubens et de Van Dyck, •— après avoir jeté
des feux d’aurore d’une réelle splendeur, la peinture anglaise, à l’exception du paysage et du
genre anecdotique, était tombée dans la pire des décadences, dans l’effroyable obscurité des
misérables pasticheurs du noble style italien de la Renaissance, des imitateurs incapables même
de s’élever, comme notre Ingres, à l’humble niveau d’un plagiat intelligent. Elle avait traversé
la nuit et le néant du gigantesque et piteux Barry, du présomptueux Benjamin West — qui ne
soutient même pas la comparaison avec les moindres élèves de Louis David, avec un Debret ou
un Meynier; — elle s’était éprise de Northcote, l’universel universellement médiocre Northcote.
Dans les cauchemars de l’Anglo-Suisse Fuseli, elle avait contemplé l’image de ses rêves d'estomacs
chargés de grosses viandes et de bières lourdes; finalement, de chute en chute, elle avait touché
le tuf avec l’acrimonieux et laborieux Haydon, avec le consciencieux et banal Hilton, et se traînait
dans les dernières vanités triomphantes de l’art académique le plus bas, le plus grotesque. Le
demi-siècle touchait à son terme, l’école anglaise, si jeune pourtant, était condamnée à périr,
au moins dans les grandes manifestations plastiques de l’être humain. Que dis-je « condamnée ! »
Elle était bien morte, archi-trépassée et enterrée au point de vue de l’art. Lin simulacre de vie
lui restait, celui des fonctions, des titres, des positions officielles jalousement gardées.
Le sol de l’art était-il donc .pauvre à ce point en ce pays d’Angleterre que sa fécondité pour
un si mince effort en demeurât épuisée à jamais? On devait le croire. Cependant il n’en était
rien. L’art anglais, encore sans tradition nationale et sans génie propre, à qui néanmoins il fallait
bien, comme à tout art, une éducation, se trompait seulement sur le choix de ses éducateurs.
11 allait demander à l'Italie de la Renaissance, — renouvelant à trois siècles de distance l’erreur
des « italianisants » hollandais les Heemskerck, les Goltzius, les Cornelis van Harlem, — ce que
celle-ci était bien incapable de lui donner. Et, en effet, qu’est-ce que les grands Italiens de cette
date si pompeux, décorateurs magnifiques, si sensuellement épris de la beauté plastique, adorateurs
de l’animal humain, terriblement passionnés, sans doute, mais athéniens, cultivés, idolâtres, légers
et joyeux jusque dans le drame, pouvaient enseigner à un peuple sensuel aussi, mais de sensualité
grossière, — de chair et de gin, -—■ à un peuple iconoclaste, qui n’a jamais compris la beauté et
ne la comprend pas encore aujourd’hui, à un peuple bien plus soucieux du fait en soi, de l'idée
du fait et de son expression morale que de sa manifestation plastique? Tous allaient pourtant à
ces sources d'Italie comme aux fontaines sacrées, y buvaient à longs traits et en revenaient
empoisonnés. N’est-ce pas le cas même de Wilkie, ce joli maître si aimable dans les scènes de
genre, d’intérieur, de mœurs populaires, si bien inspiré jusque-là par les peintres de sa parenté,
les petits Flamands et les petits Hollandais, et que perdit à jamais le voyage d’Espagne et
tous, écrivains de la presse spéciale, la France, qui a si longtemps, trop longtemps somnolé
sur ses lauriers, commence enfin à se préoccuper du mouvement de l’art en Angleterre. Nos
amateurs, nos artistes et aussi les hommes qui ont le souci de notre pédagogie artistique, et
bien plus encore les chefs de nos industries de luxe tournent maintenant des regards inquiets de
l’autre côté du canal. Rien de ce qui vient de cette direction ne nous trouve plus indifférents.
Disons donc ce que fut ce mouvement parti du Genn, et qui du ce Préraphaélisme » d’autrefois
aboutit à 1’ « Esthétisme » d’aujourd’hui, c'est-à-dire d’un excès à un excès, dans lequel les
théories valent mieux souvent que les œuvres, mais dans lequel aussi il y a beaucoup à prendre
et à garder. Il est d’ailleurs, sauf de nom, très inconnu en France et imparfaitement connu en
Angleterre, même de ceux qui, pour y avoir joué un rôle actif, pourraient être le mieux informés.
Ayant vérifié, minutieusement contrôlé toutes les pièces de ce curieux chapitre d’histoire, les
ayant sous les yeux, nous sommes en mesure de l’écrire avec une exactitude absolue.
Après avoir, en l’œuvre de ses premiers maîtres vraiment nationaux, — Reynolds, Gainsborough
et même Lawrence, issus des grands Flamands, de Rubens et de Van Dyck, •— après avoir jeté
des feux d’aurore d’une réelle splendeur, la peinture anglaise, à l’exception du paysage et du
genre anecdotique, était tombée dans la pire des décadences, dans l’effroyable obscurité des
misérables pasticheurs du noble style italien de la Renaissance, des imitateurs incapables même
de s’élever, comme notre Ingres, à l’humble niveau d’un plagiat intelligent. Elle avait traversé
la nuit et le néant du gigantesque et piteux Barry, du présomptueux Benjamin West — qui ne
soutient même pas la comparaison avec les moindres élèves de Louis David, avec un Debret ou
un Meynier; — elle s’était éprise de Northcote, l’universel universellement médiocre Northcote.
Dans les cauchemars de l’Anglo-Suisse Fuseli, elle avait contemplé l’image de ses rêves d'estomacs
chargés de grosses viandes et de bières lourdes; finalement, de chute en chute, elle avait touché
le tuf avec l’acrimonieux et laborieux Haydon, avec le consciencieux et banal Hilton, et se traînait
dans les dernières vanités triomphantes de l’art académique le plus bas, le plus grotesque. Le
demi-siècle touchait à son terme, l’école anglaise, si jeune pourtant, était condamnée à périr,
au moins dans les grandes manifestations plastiques de l’être humain. Que dis-je « condamnée ! »
Elle était bien morte, archi-trépassée et enterrée au point de vue de l’art. Lin simulacre de vie
lui restait, celui des fonctions, des titres, des positions officielles jalousement gardées.
Le sol de l’art était-il donc .pauvre à ce point en ce pays d’Angleterre que sa fécondité pour
un si mince effort en demeurât épuisée à jamais? On devait le croire. Cependant il n’en était
rien. L’art anglais, encore sans tradition nationale et sans génie propre, à qui néanmoins il fallait
bien, comme à tout art, une éducation, se trompait seulement sur le choix de ses éducateurs.
11 allait demander à l'Italie de la Renaissance, — renouvelant à trois siècles de distance l’erreur
des « italianisants » hollandais les Heemskerck, les Goltzius, les Cornelis van Harlem, — ce que
celle-ci était bien incapable de lui donner. Et, en effet, qu’est-ce que les grands Italiens de cette
date si pompeux, décorateurs magnifiques, si sensuellement épris de la beauté plastique, adorateurs
de l’animal humain, terriblement passionnés, sans doute, mais athéniens, cultivés, idolâtres, légers
et joyeux jusque dans le drame, pouvaient enseigner à un peuple sensuel aussi, mais de sensualité
grossière, — de chair et de gin, -—■ à un peuple iconoclaste, qui n’a jamais compris la beauté et
ne la comprend pas encore aujourd’hui, à un peuple bien plus soucieux du fait en soi, de l'idée
du fait et de son expression morale que de sa manifestation plastique? Tous allaient pourtant à
ces sources d'Italie comme aux fontaines sacrées, y buvaient à longs traits et en revenaient
empoisonnés. N’est-ce pas le cas même de Wilkie, ce joli maître si aimable dans les scènes de
genre, d’intérieur, de mœurs populaires, si bien inspiré jusque-là par les peintres de sa parenté,
les petits Flamands et les petits Hollandais, et que perdit à jamais le voyage d’Espagne et