14 L'ART.
aux peintres d'histoire. Ce sujet-là ne vaut-il point la mort de César, ou Caton déchirant ses
entrailles?
A travers tout, fiers et sauvages, esclaves frémissant sous le joug ou hommes libres
bondissant dans les sentiers de leurs montagnes et sur leurs plages, les Cantabres chantaient
toujours. Leur littérature écrite, qui n'a été longtemps que transmise d'une mémoire à l'autre et
ne s'est conservée que sur les lèvres des rhapsodes, comme l'Iliade d'Homère ou les Poèmes
d'Orphée, est peu considérable. En dehors des Proverbes recueillis par Oihenart au xvnc siècle
et quelques traductions d'ouvrages de piétés nous ne trouvons, ou peu s'en faut, en langue
basque, que des chansons, et encore, dans ces chansons, ce ne sont pas les notes chevaleresques
et guerrières, présentes pourtant, qui dominent, mais bien, parmi des improvisations naïves et
familières (paroles et musique), la note mélancolique et tendre. La vie du soldat n'est qu'une
aventure : il est rare qu'on ait à guerroyer jusqu'à la fin. Les laboureurs et les pâtres
demeurent, et aussi les marins, dont l'âme se serre ou se brise à l'adieu, les marins qui
n'oublieront jamais la fumée du toit paternel, la femme qui prie, les sœurs qui filent le chanvre,
les enfants qui pleurent au berceau. Voilà ce qui est l'essence même de bien des compositions
mélodieuses et douces.
Un Basque de Mauléon, homme de fine érudition et d'esprit, M. Sallaberry a fait et noué,
dans cette moisson opulente, toute une gerbe des plus curieux et des meilleurs échantillons. Ici,
c'est l'amoureux qui se lamente et s'écrie :
Maitia, nun zira?
Nik etzutut ikhusten,
Ez berrizik jakiten,
Nurat galdu zira?...
« Ma bien-aimée, où êtes-vous? — Je ne vous vois pas. — Je n'apprends pas de vos
nouvelles. — Où vous êtes-vous perdue?... »
Là, c'est la délaissée, qui soupire, pleure et travaille, et ne veut point être consolée :
Iruten ari nuzu, khilua gerrian,
Ardura dudalarik nigarra begian.
Yendek erraiten dure ezkondu, ezkondu :
Nik ezdut ezkon-minik, gezurra diotc.
« Je suis occupée à filer, la quenouille à la ceinture, — pendant que souvent j'ai les larmes
aux yeux. — On me dit : Mariez-vous, mariez-vous! ■— Je n'ai pas le mal du mariage. Ils
mentent en le disant. »
Et puis ce cri d'alerte contre les Hollandais rivaux, qui disputent aux Basques la pêche de
la baleine et de la morue. Le chant est assurément fort ancien :
Jeiki, Jeiki etchenkuak, argia da zabala
Itchasoti mintzazen da zilharrezko trumpeta
Bai eta're ikharatzen Olandresen ibarra.
« Debout, debout, gens de la maison ! il fait grand jour. — Sur la mer résonne la trompette
d'argent —■ et aussi tremble la rive hollandaise. »
On nous assure que Rossini aurait emprunté aux chants populaires basques les plus beaux
motifs de la Prière de Moïse et que Flotow, dans Martha, leur doit la jolie romance de la
Dernière Rose, attribuée aussi aux Irlandais.
En s'éloignant de Saint-Jean-de-Luz, du côté de la frontière d'Espagne, Hendaye est la
dernière station française. C'est un petit bourg, élégant, svelte et coquet, situé sur la rive droite
de la Bidassoa, près de son embouchure avec l'Océan, et qui, regardant en face Fontarabie, la
vieille ville espagnole, étage ses rues et range ses maisons sur le flanc de la colline. La Bidassoa
baigne ses pieds et, quand le vent s'apaise, quand le ciel est clair, Hendaye y profile ses
ombres comme dans une glace tout appropriée à sa coquetterie.
Les principaux monuments des Basques sont leurs églises. Elles ont toujours des formes
aux peintres d'histoire. Ce sujet-là ne vaut-il point la mort de César, ou Caton déchirant ses
entrailles?
A travers tout, fiers et sauvages, esclaves frémissant sous le joug ou hommes libres
bondissant dans les sentiers de leurs montagnes et sur leurs plages, les Cantabres chantaient
toujours. Leur littérature écrite, qui n'a été longtemps que transmise d'une mémoire à l'autre et
ne s'est conservée que sur les lèvres des rhapsodes, comme l'Iliade d'Homère ou les Poèmes
d'Orphée, est peu considérable. En dehors des Proverbes recueillis par Oihenart au xvnc siècle
et quelques traductions d'ouvrages de piétés nous ne trouvons, ou peu s'en faut, en langue
basque, que des chansons, et encore, dans ces chansons, ce ne sont pas les notes chevaleresques
et guerrières, présentes pourtant, qui dominent, mais bien, parmi des improvisations naïves et
familières (paroles et musique), la note mélancolique et tendre. La vie du soldat n'est qu'une
aventure : il est rare qu'on ait à guerroyer jusqu'à la fin. Les laboureurs et les pâtres
demeurent, et aussi les marins, dont l'âme se serre ou se brise à l'adieu, les marins qui
n'oublieront jamais la fumée du toit paternel, la femme qui prie, les sœurs qui filent le chanvre,
les enfants qui pleurent au berceau. Voilà ce qui est l'essence même de bien des compositions
mélodieuses et douces.
Un Basque de Mauléon, homme de fine érudition et d'esprit, M. Sallaberry a fait et noué,
dans cette moisson opulente, toute une gerbe des plus curieux et des meilleurs échantillons. Ici,
c'est l'amoureux qui se lamente et s'écrie :
Maitia, nun zira?
Nik etzutut ikhusten,
Ez berrizik jakiten,
Nurat galdu zira?...
« Ma bien-aimée, où êtes-vous? — Je ne vous vois pas. — Je n'apprends pas de vos
nouvelles. — Où vous êtes-vous perdue?... »
Là, c'est la délaissée, qui soupire, pleure et travaille, et ne veut point être consolée :
Iruten ari nuzu, khilua gerrian,
Ardura dudalarik nigarra begian.
Yendek erraiten dure ezkondu, ezkondu :
Nik ezdut ezkon-minik, gezurra diotc.
« Je suis occupée à filer, la quenouille à la ceinture, — pendant que souvent j'ai les larmes
aux yeux. — On me dit : Mariez-vous, mariez-vous! ■— Je n'ai pas le mal du mariage. Ils
mentent en le disant. »
Et puis ce cri d'alerte contre les Hollandais rivaux, qui disputent aux Basques la pêche de
la baleine et de la morue. Le chant est assurément fort ancien :
Jeiki, Jeiki etchenkuak, argia da zabala
Itchasoti mintzazen da zilharrezko trumpeta
Bai eta're ikharatzen Olandresen ibarra.
« Debout, debout, gens de la maison ! il fait grand jour. — Sur la mer résonne la trompette
d'argent —■ et aussi tremble la rive hollandaise. »
On nous assure que Rossini aurait emprunté aux chants populaires basques les plus beaux
motifs de la Prière de Moïse et que Flotow, dans Martha, leur doit la jolie romance de la
Dernière Rose, attribuée aussi aux Irlandais.
En s'éloignant de Saint-Jean-de-Luz, du côté de la frontière d'Espagne, Hendaye est la
dernière station française. C'est un petit bourg, élégant, svelte et coquet, situé sur la rive droite
de la Bidassoa, près de son embouchure avec l'Océan, et qui, regardant en face Fontarabie, la
vieille ville espagnole, étage ses rues et range ses maisons sur le flanc de la colline. La Bidassoa
baigne ses pieds et, quand le vent s'apaise, quand le ciel est clair, Hendaye y profile ses
ombres comme dans une glace tout appropriée à sa coquetterie.
Les principaux monuments des Basques sont leurs églises. Elles ont toujours des formes