les figures de ce tableau. Le faire nous montre Partiste en pleine possession de ses facultés
picturales1. Dans aucune de ses œuvres, il ne surpassera ni la légèreté de la touche, ni le charme
savoureux de la couleur, ni l'éclat de la lumière répandue sur toute la composition avec une
harmonieuse gradation des effets. Il a été plus recueilli, plus soigneux avant et même après cette
œuvre ; mais jamais auparavant il n'a laissé éclater sa virtuosité au même degré que dans cette
brillante composition brossée avec une force primesautière, une hardiesse et un bonheur tels
qu'on pourrait croire que Rubens l'a improvisée, sous l'influence des sensations que sa récente et
heureuse union avec sa belle et toute jeune cousine ont dû inspirer à l'homme vieillissant.
Nous ne pouvons donner qu'un souvenir et des regrets à Neptune et Cybèle 2, toile transportée
en 1881 de Vienne à Berlin. Elle a appartenu à la collection du comte Schœnborn. Pour voir
les autres compositions importantes de Rubens relatives à la mythologie, il faut se rendre du
Belvédère3 à l'Académie des Beaux-Arts, où nous admirons d'abord le charmant tableau Borée
enlevant Orithyie, dont nous avons déjà dit un mot en parlant des portraits du maître. Dans ce
tableau, la composition est moins riche que clans les autres tableaux mythologiques que nous
possédons encore à Vienne, mais, dans sa simplicité extrêmement bien équilibrée, elle est frappante
par l'énergie du mouvement, qui rappelle une œuvre postérieure, plus considérable du reste :
Castor et Pollux enlevant les filles de Leucippe, de la Pinacothèque de Munich. Le dieu du vent
glacial, un robuste vieillard barbu, à la peau brune et aux cheveux blancs, emporte dans ses
bras vigoureux la nymphe, une blonde beauté flamande aux membres largement développés et
aux attaches fortes ; de ravissants Amours suivent le couple dans son vol rapide à travers l'air
gris, parsemé de flocons de neige, et jouent gentiment en se jetant l'un sur l'autre des boules
de neige. Impossible d'exprimer avec plus de vérité et de force le motif de l'enlèvement et
d'indiquer mieux le mouvement d'un vol accéléré. La large figure épanouie de Borée exprime
bien sa vive satisfaction d'avoir saisi une si belle proie, et la nymphe qui sent la force du vieillard
auquel elle appartient semble se résigner à son sort.
Nous retrouvons dans ce tableau le naïf sentiment d'antiquité qui remplit les Quatre Parties
du monde et le Sacrifice à Vénus. Les couleurs sont vives et juxtaposées ; franchement et sans
transitions l'artiste a opposé le rouge du manteau de la nymphe au lambeau d'un vert clair qui
flotte sur le corps du dieu, et les chairs nacrées de la blonde jeune fille à la peau fortement
brunie du musculeux vieillard. La main du maître seule a passé sur cette toile et cela à une
époque où le souvenir de l'Italie était encore très présent à sa mémoire. Borée nous semble
antérieur aux Quatre Parties du Monde et à Neptune et Cybèle, mais de quelques années
seulement. En tout cas, Borée est antérieur à ses belles voisines, les Trois Grâces, de l'Académie
de Vienne. La première pensée de cette ravissante composition se trouve dans une grisaille des
Offices de Florence (n° 842 du catalogue de 1876), et la peinture de Vienne, quoique traitée avec
beaucoup de soin et très poussée dans les détails, n'est qu'un projet pour le tableau du Musée
de Madrid4, qui montre les mêmes figures de grandeur naturelle. (N° 15gr du catalogue de 1876.)
1. Waagen dit que selon toute apparence le Sacrifice à Vénus a été peint avant 1620. Quand même la présence d'Hélène Fourment
dans la composition — elle n'avait que cinq ans en 1619 — ne condamnerait pas complètement cette opinion, la comparaison avec la Bataille
des Amazones de 1619, dont le faire se rapproche de celui du Sacrifice à Vénus, suffirait à elle seule pour démontrer l'erreur du critique.
L'expression de la figure d'Hélène et les proportions de son corps juvénile dans notre tableau semblent nous autoriser à placer l'œuvre dans
les premiers temps qui ont suivi son mariage et avant que la première grossesse fût visible. Le mois des roses de i63i est une date que
nous aimerions a fixer et nous ne croyons pas nous tromper de beaucoup.
2. Actuellement au Musée de Berlin (n° 776 A du catalogue de i883) et nommé, d'après Waagen, Neptune et Amphitrite. Ce tableau a
été vivement contesté dès son arrivée à Berlin et les directeurs du Musée qui en firent l'acquisition moyennant 25o,ooo francs, à ce qu'on
dit, ont été attaqués de tous les cotés. D'après nos notes — nous n'avons pas encore revu le tableau à Berlin — il nous paraît étrange qu'on
puisse sérieusement douter de l'authenticité de cette toile malgré les ravages sur la figure de la déesse que Waagen a déjà constatés en 1866.
Qu'on nous cite un autre artiste capable de peindre le lion et le tigre du premier plan ou qu'on nous prouve que Rubens ait jamais consenti
à faire des animaux dans un tableau qui ne fût pas de lui, et alors nous accepterons la discussion. Quant au prix, il ne faut pas oublier que
toute œuvre d'art gagne en valeur par le temps tandis que. l'argent perd tous les cinquante ans environ la moitié de la sienne. Nous croyons
donc que ces messieurs de Berlin n'ont pas mal servi leur pays en disputant à notre ville ce tableau à coups de banknotes.
3. Dans le nouveau Musée impérial se trouvera exposée pour la première fois une Tète de Méduse de Rubens avec une foule de reptiles
de Snyders, provenant de la collection du duc de Buckingham. (N" 1193 du futur Musée. — Catalogue de d'Engerth, tome II, page 408.)
Le sujet est horrible, mais d'une facture magistrale et traité avec un sentiment grandiose.
4. La composition du tableau de Madrid est un peu changée. Don Pedro de Madrazo en donne la description suivante : « Las très gra-
cias estan desnudas y abra^adas bajo una enramada que forma dosel sobre sus cabejas, al lado de una fuente. » La corbeille de fleurs a
disparu, sans doute à cause de la mort de celui qui l'avait peinte, Brueghel, qui avait succombé, le i3 janvier 1625, à une attaque de dyssen-
terie. L'idée de Rubens d'abriter, à Madrid, ses Grâces sous des feuillages, nous semble bien heureuse.
picturales1. Dans aucune de ses œuvres, il ne surpassera ni la légèreté de la touche, ni le charme
savoureux de la couleur, ni l'éclat de la lumière répandue sur toute la composition avec une
harmonieuse gradation des effets. Il a été plus recueilli, plus soigneux avant et même après cette
œuvre ; mais jamais auparavant il n'a laissé éclater sa virtuosité au même degré que dans cette
brillante composition brossée avec une force primesautière, une hardiesse et un bonheur tels
qu'on pourrait croire que Rubens l'a improvisée, sous l'influence des sensations que sa récente et
heureuse union avec sa belle et toute jeune cousine ont dû inspirer à l'homme vieillissant.
Nous ne pouvons donner qu'un souvenir et des regrets à Neptune et Cybèle 2, toile transportée
en 1881 de Vienne à Berlin. Elle a appartenu à la collection du comte Schœnborn. Pour voir
les autres compositions importantes de Rubens relatives à la mythologie, il faut se rendre du
Belvédère3 à l'Académie des Beaux-Arts, où nous admirons d'abord le charmant tableau Borée
enlevant Orithyie, dont nous avons déjà dit un mot en parlant des portraits du maître. Dans ce
tableau, la composition est moins riche que clans les autres tableaux mythologiques que nous
possédons encore à Vienne, mais, dans sa simplicité extrêmement bien équilibrée, elle est frappante
par l'énergie du mouvement, qui rappelle une œuvre postérieure, plus considérable du reste :
Castor et Pollux enlevant les filles de Leucippe, de la Pinacothèque de Munich. Le dieu du vent
glacial, un robuste vieillard barbu, à la peau brune et aux cheveux blancs, emporte dans ses
bras vigoureux la nymphe, une blonde beauté flamande aux membres largement développés et
aux attaches fortes ; de ravissants Amours suivent le couple dans son vol rapide à travers l'air
gris, parsemé de flocons de neige, et jouent gentiment en se jetant l'un sur l'autre des boules
de neige. Impossible d'exprimer avec plus de vérité et de force le motif de l'enlèvement et
d'indiquer mieux le mouvement d'un vol accéléré. La large figure épanouie de Borée exprime
bien sa vive satisfaction d'avoir saisi une si belle proie, et la nymphe qui sent la force du vieillard
auquel elle appartient semble se résigner à son sort.
Nous retrouvons dans ce tableau le naïf sentiment d'antiquité qui remplit les Quatre Parties
du monde et le Sacrifice à Vénus. Les couleurs sont vives et juxtaposées ; franchement et sans
transitions l'artiste a opposé le rouge du manteau de la nymphe au lambeau d'un vert clair qui
flotte sur le corps du dieu, et les chairs nacrées de la blonde jeune fille à la peau fortement
brunie du musculeux vieillard. La main du maître seule a passé sur cette toile et cela à une
époque où le souvenir de l'Italie était encore très présent à sa mémoire. Borée nous semble
antérieur aux Quatre Parties du Monde et à Neptune et Cybèle, mais de quelques années
seulement. En tout cas, Borée est antérieur à ses belles voisines, les Trois Grâces, de l'Académie
de Vienne. La première pensée de cette ravissante composition se trouve dans une grisaille des
Offices de Florence (n° 842 du catalogue de 1876), et la peinture de Vienne, quoique traitée avec
beaucoup de soin et très poussée dans les détails, n'est qu'un projet pour le tableau du Musée
de Madrid4, qui montre les mêmes figures de grandeur naturelle. (N° 15gr du catalogue de 1876.)
1. Waagen dit que selon toute apparence le Sacrifice à Vénus a été peint avant 1620. Quand même la présence d'Hélène Fourment
dans la composition — elle n'avait que cinq ans en 1619 — ne condamnerait pas complètement cette opinion, la comparaison avec la Bataille
des Amazones de 1619, dont le faire se rapproche de celui du Sacrifice à Vénus, suffirait à elle seule pour démontrer l'erreur du critique.
L'expression de la figure d'Hélène et les proportions de son corps juvénile dans notre tableau semblent nous autoriser à placer l'œuvre dans
les premiers temps qui ont suivi son mariage et avant que la première grossesse fût visible. Le mois des roses de i63i est une date que
nous aimerions a fixer et nous ne croyons pas nous tromper de beaucoup.
2. Actuellement au Musée de Berlin (n° 776 A du catalogue de i883) et nommé, d'après Waagen, Neptune et Amphitrite. Ce tableau a
été vivement contesté dès son arrivée à Berlin et les directeurs du Musée qui en firent l'acquisition moyennant 25o,ooo francs, à ce qu'on
dit, ont été attaqués de tous les cotés. D'après nos notes — nous n'avons pas encore revu le tableau à Berlin — il nous paraît étrange qu'on
puisse sérieusement douter de l'authenticité de cette toile malgré les ravages sur la figure de la déesse que Waagen a déjà constatés en 1866.
Qu'on nous cite un autre artiste capable de peindre le lion et le tigre du premier plan ou qu'on nous prouve que Rubens ait jamais consenti
à faire des animaux dans un tableau qui ne fût pas de lui, et alors nous accepterons la discussion. Quant au prix, il ne faut pas oublier que
toute œuvre d'art gagne en valeur par le temps tandis que. l'argent perd tous les cinquante ans environ la moitié de la sienne. Nous croyons
donc que ces messieurs de Berlin n'ont pas mal servi leur pays en disputant à notre ville ce tableau à coups de banknotes.
3. Dans le nouveau Musée impérial se trouvera exposée pour la première fois une Tète de Méduse de Rubens avec une foule de reptiles
de Snyders, provenant de la collection du duc de Buckingham. (N" 1193 du futur Musée. — Catalogue de d'Engerth, tome II, page 408.)
Le sujet est horrible, mais d'une facture magistrale et traité avec un sentiment grandiose.
4. La composition du tableau de Madrid est un peu changée. Don Pedro de Madrazo en donne la description suivante : « Las très gra-
cias estan desnudas y abra^adas bajo una enramada que forma dosel sobre sus cabejas, al lado de una fuente. » La corbeille de fleurs a
disparu, sans doute à cause de la mort de celui qui l'avait peinte, Brueghel, qui avait succombé, le i3 janvier 1625, à une attaque de dyssen-
terie. L'idée de Rubens d'abriter, à Madrid, ses Grâces sous des feuillages, nous semble bien heureuse.