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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Troubat, Jules: Un Hoffmann français
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0016

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L'ART.

ramène de trente-huit ans en arrière et rajeunit, autant
dire : l'herbe tendre ne pousse plus au printemps, les
jolies filles ne sont plus émues des poursuites des garçons,
les amandiers ne donnent plus de fleurs roses !... »

« Les jeunes gens existaient en 1844 comme en 1882;
ils étaient tout disposés à faire le coup de poing en faveur
du maître...

« Qu'un mot eût circulé à l'hôtel César, tout un clan
de futurs peintres, poètes et romanciers fût descendu réso-
lument pour acclamer les Burgraves à la Comédie-
Française et « tomber » la Lucrèce à l'Odéon. Célestin
Nanteuil ne connaissait pas cette jeunesse : découragé, il
assistait à la débandade des meilleures troupes. »

Champfleury ne témoignait pas d'autres remords
d'avoir voté, dans sa jeunesse, la mort de la tragédie.

« A l'apparition de la nébuleuse et chaste Lucrèce,
dit-il comme s'il s'agissait d'un tableau de Cabanel, les
municipaux balayèrent, à coups de crosse de fusil, un
parterre hostile à la pluie de vers honnêtes marchant sen-
tencieusement deux à deux. J'étais avec les perturbateurs
en compagnie de Murger, et un certain temps nous con-
servâmes des bleus que nous avaient octroyés avec férocité
non seulement les gardes municipaux, mais des notaires,
amis de la saine poésie, dont nous avions troublé les
plaisirs en nous réfugiant dans leur baignoire. »

Ces prétendus notaires étaient des amis du « sage
monsieur Ponsard », que l'auteur endiablé de Mariette
qualifie aussi de « notaire de Compiègne ». Notaire,
c'était son mot; mais les notaires sont gens d'esprit, qui
rient plutôt de ces rapinades : témoin celui de Laon, qui
ne voulut pas se reconnaître dans le Secret de M. Ladureau.

Puisque, aussi bien, la Poésie et l'Art ont engendré
le livre si savamment orné et ouvragé des Vignettes
romantiques, d'où sont extraits ces jugements, — dont
Sèvres et les années n'avaient pas rassis l'auteur, — on
est tenté de mettre en regard l'opinion d'un juge pon-
déré, qui s'efforçait de garder l'impartialité et de laisser,
comme Claude Bernard, quand il entrait dans son labo-
ratoire, toute prévention à la porte. Sainte-Beuve, qui ne
paraît pas avoir eu la clef de ces tapages du parterre, bien
qu'il les constate dans ses Chroniques de la Revue Suisse,
tenait, en 1843, son ami Juste Olivier au courant du
nouvel événement dramatique, qu'il n'appelait pas l'école
du bon sens, mais dont il tirait des conclusions exclusive-
ment littéraires :

« ... Si Lucrèce est classique, c'est d'un classique à
faire trembler les perruques et les blondes têtes d'il y a
vingt ans. Nos vieux académiciens, qui n'ont plus de
mémoire, ne se doutent pas de cela, et en applaudissant le
jeune auteur, ils se donnent une demi-paire de gants
romantiques. Entre Corneille et Racine d'une part et
Lucrèce de l'autre, il y a debout, de toute sa hauteur,
André Chénier. C'est le malheur de ce nouveau petit Cor-
neille. Lucrèce est l'avènement d'André Chénier au
théâtre. Nos jeunes académiciens qui vont applaudir
Lucrèce ne se doutent pas plus de cela que les vieux, tant
il y a d'ignorance chez nos lettrés officiels sur notre poésie
contemporaine : à part Lamartine et quelque chose de
Hugo, ils n'ont rien lu. C'est à la lettre. Mais la jeunesse
a lu, mais ceux qui ont fait le succès étaient au courant de
ces travaux et disposés à accueillir ce style transporté à la
scène, enfin, avec pureté et sans trop d'enflure.

« Régnier, Corneille et André Chénier, voilà les pères
en style de cette pièce où il y a d'ailleurs bien des incor-
rections sans doute et des défauts... les personnages parlent
longuement, en tirades, et sans couper le dialogue...1 »

1. Chroniques parisiennes (1843-1845), par C. A. Sainte-Beuve,
1 vol. gr. in-18, Paris, Câlmann-Lévy, 1876.

Champfleury préfère le ronron de son petit chat noir
à celui de ces alexandrins ; et il met peu à peu l'histoire de
Mariette à l'état concret dans ses Salons du Corsaire-
Satan, du Pamphlet, de la Silhouette, etc. Les personnages
fictifs y deviennent des noms réels, et l'on y entend dis-
cuter le groupe qui, dans ce roman sincère et très esthé-
tique, s'appelait Gérard (Champfleury), Streich (Murger),
Giraud (Pierre Dupont), Thomas (Bonvin)... De Villers a
sa place aujourd'hui au grand soleil en marbre blanc, —
et l'on s'était dès. longtemps pardonné les histoires de
femmes auxquelles se trouvait mêlée la grande Pauline du
roman... et de la réalité.

Farcès et Mélancolies serait le titre qui conviendrait le
mieux à un chapitre sur Champfleury, comme Brumes et
Rosées est celui qu'il inventa pour caractériser Chintreuil.
Si son ami Schanne avait un « harmonica dans le cœur »,
lui il eut l'âme d'un violoncelle. Nul n'était plus fait pour
comprendre Hoffmann et le traduire ; leurs natures sont
analogues : il est lui-même un Hoffmann français, et ce
n'est pas trop le grandir, puisqu'en Allemagne, comme en
France, les genres dans lesquels ils excellèrent se heurtent
encore à des préjugés près des gens sérieux, qui ne sont
pas assez pénétrés de cette pensée de Diderot qu'on peut
avoir du génie en fabriquant des épingles. Eux n'étaient
préoccupés que de frivolités qui intéressent les poètes,
comme lui écrivait Victor Hugo. On sent l'esprit hoffman-
nesque dans les Trios des Cheniçelles, une de ses meil-
leures nouvelles, où se révèle, avec une singulière délica-
tesse, ce flair'particulier que, tout jeune, il eut de la vie
provinciale. On croirait lire une lettre de lui, dans les
Contes posthumes d'Hoffmann, quand le conteur allemand
écrit à son ami Hitzig: « Tu perds beaucoup de félicité
à ne jouer aucun instrument. Ne le prends pas en mau-
vaise part. L'audition n'est rien du tout; les sons étran-
gers font entrer en toi des idées ou plutôt des sentiments
muets; mais quand tu exhales des sensations individuelles,
langue inarticulée du cœur, au moyen des sons de ton
instrument, alors seulement tu sens ce que c'est que la
musique. »

Autre inspiration hoffmannesque : en 1879, unmusicien,
M. Boisseau, mit en musique la page si connue de Champ-
fleury, Quatuor : il composa et fit paraître, d'après cette
fantaisie de poète, un Quatuor pittoresque pour deux vio-
lons, alto et violoncelle, agréable broderie, toute familière
et intime, consciencieusement et amoureusement écrite,
où chaque instrument tient le langage que Champfleury
lui prête1.

Chacune de ses étapes étant marquée par un livre,
les Souvenirs des Funambules disent assez quelles furent
ses préoccupations en ces années-là. Encore une nouvelle
perdue dans ce volume, Histoire de Mme d'Aigri\elles,
témoigne-t-elle d'un tout autre ordre d'idées. Comme il ne
s'agit pas ici d'un spectacle de marionnettes, et que tout y
est bien en chair et en os, on ne voit pas le fil qui rattache
au théâtre de Deburau cet éloquent et poignant combat
de la conscience contre l'amour, dans les tons de La
Chaussée. Il y a peut-être un mystère resté caché dans la
coulisse. L'auteur reconnaît seulement, à la Table, que la
nouvelle est du genre gris. Elle n'en fait que plus anti-
thèse sur les paillettes de Colombine !

De nos jours, où tout se transforme, la pantomime est
devenue drame, comédie, tout ce qu'on veut. Champfleury
avait publié, dans la Vie Parisienne, une chronique
humoristique, la Statue du Commandeur, dont il voulait
tuer la légende. Il fut déjà question, de son vivant, de la
mettre en pantomime. Notre spirituel ami, Paul Eudel,

1. Dans le volume intitulé : l'Usurier Blai^ot (Michel Lévy,

i858).
 
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