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L'ART.
une grande douceur dans la voix et dans le caractère.
Sa vie ressemblait à ses livres. C'est encore Sainte-Beuve
qui a dit de lui : « Champfleury ne croit pas que ce soit
une supériorité en littérature que d'être cruel, inhumain
et dépravé 1. »
Un détail qui rattache notre Avant-Propos aux Salons
posthumes de Champfleury, c'est que son portrait, par
Courbet, appartient actuellement au Louvre, auquel il l'a
légué.
Les Œuvres posthumes, dont faisaient partie ces Salons,
furent vendues en l'étude de Me d'Hardiviller, notaire, le
27 novembre 1891. Elles échurent à deux amis, MM. Paul
Brenot et Paul Eudel. M. Brenot eut les Salons dans l'un
de ses lots. Il a eu la main heureuse. A la chaleur qui se
communiquait de vieux journaux annotés, couverts de
retouches — mais non de repentirs — il a compris qu'il
n'y avait pas de fumée sans feu. Les Salons de Champ-
fleury, commencés en 1846, portent encore l'odeur de la
poudre ; ils peuvent manquer d'impartialité ; ils sont de
parti pris et systématiques ; mais ils ont le mérite de pres-
sentir, pendant la bataille, ce qui devait sortir victorieux
de la mêlée ou mordre la poussière. Ils sonnaient d'avance
l'hallali de la postérité. Loin de tourner en paille comme
de vieux vins qui meurent derrière les fagots, leur malice
primesautière et leur sincérité première les ont préservés
de toute déperdition. Il y renaît tout un passé glorieux,
—■ commentaire animé de ces trophées qui s'enroulent
autour de la Colonne de la Grande Armée de l'Art, témoi-
gnant des luttes où a succombé la médiocrité. Les statues
seules des héros qui ont survécu et qui resteront resplen-
dissent. Champfleury n'embrasse que la cause des forts,
1. Les Cahiers de Sainte-Beuve. 1 vol. gr. in-18. Paris, Alphonse
Lemcrre, 1876.
qu'il reconnaît à des signes certains, et qui étaient contes-
tés à l'époque.
Ce livre est un monument élevé à Delacroix.
Corot, Rousseau, Daumier, Bonvin, Courbet, Préault
y ont chacun l'une de ces places d'honneur où Champ-
fleury, toujours militant, fera monter, entre quatre autres,
le médaillon de Wagner, dans son livre de 1861, Grandes-
Figures d'hier et d'aujourd'hui.
Car ce n'est pas seulement en peinture que son flair
précurseur a triomphé de nos jours.
Il sonnait le premier coup de cloche wagnérien dans
une brochure qui ne sent pas moins la poudre que ses
Salons, lorsque le compositeur allemand, qui n'était encore
que célèbre... et inconnu en France, donna son concert
au Théâtre-Italien, le 27 janvier 1860. J'assistai, le mois
suivant, avec Champfleury à l'une des répétitions de Tann-
hœuser, à l'Opéra de la rue Le Peletier, et, enfin, nous
étions là, le jour de la grande bataille, avec Schanne et
Duranty, acclamant de la voix et du geste la musique de
l'avenir.
Champfleury remporta, de ces soirées orageuses et
tumultueuses, — non plus des bleus comme à Lucrèce, —
mais un enrouement qui dura plusieurs mois.
On oublie trop, on a intérêt à oublier que seul, alors,
dans la presse, il soutint la lutte.
Mais n'a-t-il pas écrit, à propos d'un autre :
« La jeunesse a une tendance à laisser dans l'ombre
les hommes qui lui ont prêté l'appui de leur doctrine;
parfois même, elle les traite avec une pitié méprisante,
voulant faire croire qu'un système nouveau est sorti tout
entier de sa cervelle. Cela s'est vu à toutes les époques et
dans toutes les écoles »
Jules Troubat.
L'ART.
une grande douceur dans la voix et dans le caractère.
Sa vie ressemblait à ses livres. C'est encore Sainte-Beuve
qui a dit de lui : « Champfleury ne croit pas que ce soit
une supériorité en littérature que d'être cruel, inhumain
et dépravé 1. »
Un détail qui rattache notre Avant-Propos aux Salons
posthumes de Champfleury, c'est que son portrait, par
Courbet, appartient actuellement au Louvre, auquel il l'a
légué.
Les Œuvres posthumes, dont faisaient partie ces Salons,
furent vendues en l'étude de Me d'Hardiviller, notaire, le
27 novembre 1891. Elles échurent à deux amis, MM. Paul
Brenot et Paul Eudel. M. Brenot eut les Salons dans l'un
de ses lots. Il a eu la main heureuse. A la chaleur qui se
communiquait de vieux journaux annotés, couverts de
retouches — mais non de repentirs — il a compris qu'il
n'y avait pas de fumée sans feu. Les Salons de Champ-
fleury, commencés en 1846, portent encore l'odeur de la
poudre ; ils peuvent manquer d'impartialité ; ils sont de
parti pris et systématiques ; mais ils ont le mérite de pres-
sentir, pendant la bataille, ce qui devait sortir victorieux
de la mêlée ou mordre la poussière. Ils sonnaient d'avance
l'hallali de la postérité. Loin de tourner en paille comme
de vieux vins qui meurent derrière les fagots, leur malice
primesautière et leur sincérité première les ont préservés
de toute déperdition. Il y renaît tout un passé glorieux,
—■ commentaire animé de ces trophées qui s'enroulent
autour de la Colonne de la Grande Armée de l'Art, témoi-
gnant des luttes où a succombé la médiocrité. Les statues
seules des héros qui ont survécu et qui resteront resplen-
dissent. Champfleury n'embrasse que la cause des forts,
1. Les Cahiers de Sainte-Beuve. 1 vol. gr. in-18. Paris, Alphonse
Lemcrre, 1876.
qu'il reconnaît à des signes certains, et qui étaient contes-
tés à l'époque.
Ce livre est un monument élevé à Delacroix.
Corot, Rousseau, Daumier, Bonvin, Courbet, Préault
y ont chacun l'une de ces places d'honneur où Champ-
fleury, toujours militant, fera monter, entre quatre autres,
le médaillon de Wagner, dans son livre de 1861, Grandes-
Figures d'hier et d'aujourd'hui.
Car ce n'est pas seulement en peinture que son flair
précurseur a triomphé de nos jours.
Il sonnait le premier coup de cloche wagnérien dans
une brochure qui ne sent pas moins la poudre que ses
Salons, lorsque le compositeur allemand, qui n'était encore
que célèbre... et inconnu en France, donna son concert
au Théâtre-Italien, le 27 janvier 1860. J'assistai, le mois
suivant, avec Champfleury à l'une des répétitions de Tann-
hœuser, à l'Opéra de la rue Le Peletier, et, enfin, nous
étions là, le jour de la grande bataille, avec Schanne et
Duranty, acclamant de la voix et du geste la musique de
l'avenir.
Champfleury remporta, de ces soirées orageuses et
tumultueuses, — non plus des bleus comme à Lucrèce, —
mais un enrouement qui dura plusieurs mois.
On oublie trop, on a intérêt à oublier que seul, alors,
dans la presse, il soutint la lutte.
Mais n'a-t-il pas écrit, à propos d'un autre :
« La jeunesse a une tendance à laisser dans l'ombre
les hommes qui lui ont prêté l'appui de leur doctrine;
parfois même, elle les traite avec une pitié méprisante,
voulant faire croire qu'un système nouveau est sorti tout
entier de sa cervelle. Cela s'est vu à toutes les époques et
dans toutes les écoles »
Jules Troubat.