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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier musical
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0031

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du public en fait de musique légère et distrayante. On n'y
trouve pas d'originalité mélodique et les cantilènes tendres
ou rêveuses que l'auteur a placées dans la bouche de Nicias
et de Phryné ne sont pas d'un contour très neuf ; l'instru-
mentation, je le concède, en est toujours délicate et ajoute
un agrément notable à ces mélodies assez banales par
elles-mêmes. Dans les scènes ou bouffes ou légères,
M. Saint-Saëns a eu la main plus heureuse, et par la viva-
cité de ses motifs ou les effets comiques qu'il tire de cer-
tains instruments, il s'est montré le digne rival des musi-
ciens qui se sont fait un nom dans le genre badin ou
bouffon. Il se rapproche plus, assurément, de M. Lecocq
ou de M. Messager que d'Offenbach ou d'Hervé ; mais
c'est là sans doute le rang qu'il désirait occuper, car il
estime à juste titre les deux premiers d'entre ces composi-
teurs d'opérette, — et le voilà, du coup, devenu leur
modèle et leur chef.

Il n'y a pas beaucoup de vocalises dans le rôle de
Phryné, mais il y en a déjà trop, et je préfère à ces
« cocottes » surannées les vifs airs chantés et dansés par
les baladins, qui cherchent à distraire Nicias de son amour
sans espoir ; j'aime aussi les couplets ironiques par les-
quels Nicias salue le buste de son oncle tout barbouillé de
lie. A ce moment, d'ailleurs, nous entendons de nouveau
à l'orchestre certain motif de basson qui nous divertit
beaucoup chaque fois qu'il revient, sans qu'on puisse en
expliquer l'effet comique, car, en quelque endroit qu'il
reparaisse, il n'a jamais de sens très précis; il est simple-
ment drôle par lui-même et par le son de chaque note,
qui part comme une sourde détonation. Le grand duo
d'amour entre Nicias et Phryné se déroule sur une longue
phrase mélodique exposée par les violons et qui se mêle
ensuite à tout l'orchestre ; le duo comique où Phryné
essaie sur le vieux Dicéphile le pouvoir de sa beauté n'a
vraiment pas grande saveur, et les couplets de Dicéphile
sur les femmes sont agréablement tournés, rien de plus.
Ce qui est tout à fait joli, en revanche, c'est l'invocation
à Vénus Aphrodite, chantée par Phryné, son esclave Lam-
pito et Nicias sur de longues tenues de cordes, entrecou-
pées seulement de quelques notes de la harpe et de suaves
échos de la flûte : voilà qui est d'un joli coloris antique et
religieux.

M1Ie Sibyl Sanderson, agréable à voir en Phryné, ne
chante pas toujours très juste et dit assez mal le dialogue;
on l'a énormément applaudie. M. Fugère, excellent comé-
dien; M. Clément, ténor adroit, et M1Ie Buhl, agréable
chanteuse, ont eu aussi leur bonne part de bravos dans
les rôles de Dicéphile, de Nicias et de Lampito. Tout le
monde est donc heureux : les chanteurs, les auteurs, le
directeur et même les spectateurs. Dieu me garde d'être un
trouble-fête au milieu de ce contentement général !

Quelqu'un qui ne doute assurément de rien et ne
s'embarrasse pas de ce qui troublerait tout autre entrepre-
neur de spectacles ou de concerts, c'est Mmo la comtesse
Greffulhe. Depuis qu'elle a assumé les fonctions de pré-
sidente de la Société des Grandes Auditions musicales de
France et qu'elle doit, comme telle, organiser les repré-
sentations ou concerts pour lesquels ses fidèles co-socié-
taires payent une cotisation annuelle, elle annonce à peu
près ce qu'elle veut, ce qu'elle croit de nature à frapper
l'attention publique, et se préoccupe assez peu de savoir si
ce qu'elle annonce est le moins du monde réalisable. On
s'en inquiétera plus tard, au moment de passer de la pro-
messe à l'acte, et, dame, si ce qu'on a promis ne peut se
faire, on en sera quitte pour offrir n'importe quoi — n'im-
porte où et n'importe comment — aux souscripteurs qui
ne sont pas d'ailleurs gens difficiles et applaudissent tout
ce qu'on veut bien leur présenter.

Le programme élaboré pour l'année 1893 et qu'on
répandait dès le milieu de l'hiver, était vraiment magni-
fique. Il ne s'agissait de rien moins que de représenter à
l'Opéra-Comique Ylphigénie en Tauride, de Gluck, puis
à l'Opéra le Tristan et Iseult, de Richard Wagner. C'était
assez joli, comme vous voyez. Et même, on s'était mis en
Tome LV.

frais de style, afin de faire comprendre aux membres de la
Société le puissant intérêt qui devait découler de l'audition
de ces deux chefs-d'œuvre ainsi rapprochés l'un de l'autre.
« U Iphigénie en Tauride, nous apprenait-on, est une
des œuvres les plus glorieuses de Gluck. Elle eut, avant la
fin du siècle dernier, un succès retentissant et son renom
s'est continué parmi les plus grands musiciens. L'art si
expressif de Gluck se trouve rehaussé, principalement
dans cet ouvrage, par un coloris vocal et instrumental qui
a gardé jusqu'à nos jours toute sa clarté, toute sa fermeté,
toute sa puissance. On peut voir dans cette Iphigénie le
plus bel éveil de notre art lyrique moderne... »

Puis, par une transition dont je n'ai pas besoin de
vous signaler l'habiieté, le rédacteur anonyme du pro-
gramme-prospectus continuait ainsi : « Richard Wagner
a souvent exprimé son admiration pour les ouvrages de
Gluck. A un siècle de distance, les deux grands musiciens
dramaturges se rencontrèrent en beaucoup de points,
malgré les différences de moyens matériels et de la tech-
nique. Ils se ressemblent d'ailleurs par la nouveauté de
leurs conceptions dans l'une et l'autre époque, et par la
profonde et décisive influence que leurs travaux y ont
exercée. Parler ici de Tristan et Iseult serait superflu.
Toutes les personnes attentives à notre mouvement musi-
cal désirent voir la représentation d'une œuvre connue et
célébrée déjà dans tous les autres pays. » Voilà qui
devait nous faire venir l'eau à la bouche et le fait est que
nous attendions, impatients, la réalisation de ce beau pro-
gramme lorsqu'un bruit fâcheux se répandit : nous n'au-
rions pas Iphigénie en Tauride, parce qu'on ne s'était
pas assuré, avant de l'annoncer, qu'on en pût donner
une représentation convenable à l'Opéra-Comique, et
nous n'aurions pas non plus Tristan parce qu'en plus
d'un directeur et d'un théâtre à trouver, on avait négligé
une légère formalité : obtenir l'autorisation, tout à fait
indispensable, de Mme Cosima Wagner,

Nous n'aurons donc ni Tristan ni Iphigénie— encore
qu'il soit question de monter l'opéra de Gluck, pour
lequel il n'est besoin d'autorisation d'aucune sorte, à
l'automne ou durant l'hiver, sur un théâtre quelconque,
avec les artistes qu'on pourra rencontrer de droite à
gauche — et nous avons eu, en revanche, la représenta-
tion à l'Opéra-Comique, du Déserteur, de Monsigny, et
des Deux Avares, de Grétry. Spectacle un peu monotone
et qui n'a pas dû beaucoup divertir les gens du monde
adhérents à la Société des Grandes Auditions musicales,
car les musiciens mêmes et les personnes un peu versées
dans l'histoire de la musique avaient bien de la peine à
réprimer quelques bâillements. II n'était pas, tout d'abord,
très curieux d'entendre le Déserteur de Monsigny, qui se
jouait encore à l'Opéra-Comique il y a une dizaine d'an-
nées, et que nous avions très présent à la mémoire, et ce
n'était pas un moyen de nous le faire mieux apprécier que
de rétablir plusieurs morceaux, coupés lors des reprises
précédentes et qui allongent terriblement cette partition
passablement uniforme, encore qu'elle renferme certaines
pages tendres et émues où la sensibilité proverbiale de
Monsigny éclate à tous les yeux. Quant aux Deux Avares,
de Grétry, ce n'est pas une de ses meilleures productions,
et là aussi, pour nos oreilles accoutumées à de tout
autre musique, il y a bien du remplissage et des morceaux
sans agrément à côté d'autres vraiment gais et spirituels.

Mais, voilà, l'un de ces ouvrages nuit à l'autre. Peut-
être appréciés des amateurs, ces spécimens, curieux! tout
prendre, de l'opéra-comique d'il y a cent vingt-cinq ans
ne doivent pas se présenter à la file ; il nous les faut offrir
à côté d'oeuvres plus modernes, ainsi qu'on fit ingénieuse-
ment lorsqu'on joua à l'Opéra-Comique Rose et Colas, de
Monsigny, avec la Lalla-Roukh, de Félicien David :
c'était en 1862. Mais composer tout un spectacle avec
deux œuvres de même style, ou peu s'en faut, orchestrées
de même façon et dont on respecte scrupuleusement l'ins-
trumentation originale, assez pauvre en somme, avec de
gentils petits effets, très discrets, qui ne sont guère perçus

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