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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Paris, Pierre: L' architecture religieuse en Égypte, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0102

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74

L'ART.

elles se succèdent toutes proches et toutes dissemblables, car pas un chapiteau ne reproduit exac-
tement les chapiteaux voisins, si bien que chacun d'eux blesse notre œil, comme choque notre
oreille, dans une symphonie, une note vivement discordante.

Et. maintenant, qu'on oublie la Grèce, qu'on fasse abandon de ses goûts comme des ensei-
gnements reçus; qu'on désarme sa critique, excitée par des comparaisons accablantes; qu'on ne
dispute plus son esprit aux impressions naïves : voici que le temple égyptien, malgré ses défauts,
malgré ses lacunes, nous frappe vivement et nous émeut. Nous nous élevons d'un vol au-dessus
de Thèbes ou de xMemphis; nous planons sur cet entassement de ruines colossales où gisent et
se dressent pêle-mêle murailles, pylônes, obélisques et colonnes : notre esprit reste confondu d'un
labeur si puissant, d'un effort si vigoureux et si persistant de générations innombrables pour
faire de plus en plus grand, de plus en plus majestueux, de plus en plus magnifique. Nous nous
sentons peu à peu ébloui par l'audace de ces entreprises, saisi par l'effet mystérieux du gigan-
tesque, et de la stupeur naît l'admiration. La grandeur de l'Egypte croît à nos yeux de toute
notre petitesse, et, par une intuition soudaine, comprenant mieux ce qu'était pour les humbles
fellahs un dieu comme Amon, un pharaon comme Ramsès II, nous trouvons à leurs temples des
beautés insoupçonnées. Amon est le grand dieu vivant en vérité, le seigneur des trônes ; cepen-
dant, il daigne habiter la terre, mais à la condition de n'être jamais en contact avec les hommes.
Il lui faut, au fond d'une salle secrète, un tabernacle bien clos où il reposera dans l'ombre, sous la
forme d'une idole ; il faut qu'autour de la cellule sacrée règne un dédale de chambres et de couloirs
qui l'enceignent et la protègent ; autour de ces chambres aux épaisses parois de granit, sourdes
et aveugles, où pénètrent seuls Pharaon et le Grand Prêtre, il faut une enceinte infranchissable,
percée d'une seule porte, d'un pylône à l'air de forteresse; puis, autour de la première, une
seconde, une troisième, une quatrième enceinte, de hautes et longues et épaisses murailles sans
jour; en avant du sanctuaire, des salles hypostyles et des cours immenses, séparées les unes des
autres par des murs, par des pylônes, par des barrières, autant d'obstacles à la curiosité indis-
crète et sacrilège des humains, et par-dessus toutes les salles des toits lourds en terrasses uni-
formes. Si l'enceinte est morose et sévère, si les toits sont aveuglés, donnant une impression de
mort, les édifices, à l'intérieur, sont luxueux et splendicles, car la maison où le dieu réside doit
être d'une richesse divine, comme tout le mobilier, comme tous les objets qui servent au culte
de sa personne sainte. La demeure terrestre du dieu est au, dehors toute triste et mystérieuse,
comme l'image du dieu lui-même, fermée aux profanes, comme une tombe : qu'elle s'ouvre, elle
resplendira dans sa majesté gigantesque, dans sa richesse éblouissante, comme l'âme du dieu
lui-même resplendit au cœur des initiés dans le rayonnement de sa gloire colossale. Voilà ce que
dit, en termes d'une netteté merveilleuse, le temple égyptien, et c'est pour cela qu'il force notre
admiration; il est une pensée avant d'être une œuvre d'art, et jamais croyances intimes d'aucun
peuple, jamais idées et sentiments religieux ne se sont traduits par des monuments matériels avec
plus de force et plus de vérité.

(A suivre.)

Pierre Paris,

Ancien membre de l'École d Athènes,
Professeur d'Histoire de l'Art à la Faculté des Lettres
de Bordeaux.
 
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