1-54 L'ART.
la tête de trois légions, ce petit-fils d'une déesse, après dix lieues faites sur un sol plat, a trouvé
tout à coup un site très vert et on ne peut plus plaisant, un canton riche en moissons, en trou-
peaux et en fruits. Comme son armée, fatiguée d'un long siège, avait besoin de se reposer et
même de se refaire, il a ordonné de faire halte. Indépendamment de ce que je viens de dire,
tout l'y conviait. Premier point, vingt-cinq mille hommes pouvaient aisément se développer sur
ce terrain. Seconde considération, le Cher coulait en cet endroit et l'eau du petit fleuve est pure
et sapide. Troisième point, le climat paraissait aussi tiède que celui de l'Italie. N'en était-ce pas
assez pour qu'on y hivernât ?
Jules César s'est donc arrêté à Creventum, aujourd'hui Drevant ; il y est resté six mois,
peut-être un an. L'histoire nous dit comment les Romains arrangeaient ces campements. Dès que
les légions avaient fait halte, on changeait le camp en une ville. Après avoir dressé les tentes,
assuré les palissades, posé les sentinelles, on s'occupait des choses nécessaires à la vie. Les
vivandiers établissaient des étables pour le bétail, des abattoirs, des boucheries, des greniers,
des moulins, des boulangeries, des celliers, des cuisines. Comme la consigne était d'imiter Rome,
même en courant à travers le monde, on élevait une chapelle sous l'invocation de Quirinus ou
de tout autre dieu paternel, un saceilum pour les dévots ; on veillait aussi à ce qu'on ne manquât
pas de jeux ni de théâtre. Et c'est en raison de cet état de choses qu'il y a soixante ans, dans
ces mêmes parages, le département du Cher faisait faire des fouilles. Déjà, le hasard s'en étant
mêlé, on avait trouvé des poignées d'épée et des amphores. « Qu'on creuse plus avant et l'on
fera bien d'autres découvertes », avait dit un antiquaire de la localité. On y envoya une équipe
de cinq piocheurs et, à force de remuer la terre, ils firent d'intéressantes trouvailles. J'ai vu des
poteries qui provenaient du camp et aussi des pièces de monnaie portant pour effigie le groupe
de la Louve du Tibre, de cette fauve nourrice des jumeaux, qui, après avoir été chefs de brigands,
sont devenus les fondateurs du plus grand des empires.
Quand Prosper Mérimée, arrivant de Bourges, tomba dans la petite ville de Saint-Amand-
Mont-Rond, aussitôt qu'on sut de quelles fonctions il était pourvu, on ne manqua pas de lui faire
une vive recommandation. « Monsieur l'inspecteur général, lui dit-on, vous ne pouvez vous
dispenser d'aller faire un tour au camp de César, à Drevant. Ce n'est qu'à une lieue et demie d'ici.
— Soit », répondit le traducteur de Salluste.
. Prosper Mérimée était d'autant mieux préparé à entreprendre ce pèlerinage qu'il venait de
finir ce grand travail : la Guerre contre Jugurtha et la Conjuration de Catilina, deux œuvres dans
lesquelles il était question de César. Il serait donc enchanté de se porter sur les lieux afin de voir
de ses yeux l'équipe des piocheurs s'efforçant de fouiller le sol pour y découvrir les secrets du passé.
Déjà, ainsi que je viens de le dire, les pionniers, tout en fouillant la terre, rencontraient en cet
endroit les vestiges d'une ville romaine. Comme cela arrive toujours, les découvertes avaient
commencé par la poterie ménagère. On avait donc mis tour à tour la main sur des cruches, sur des
amphores et sur des assiettes. Bientôt après survenaient quelques pièces de monnaie, des as et des
sesterces, et puis des sabres rouilles, rappelant ces beaux vers des Géorgiques où le poète de
Mantoue fait voir un homme des champs, émerveillé de surprise et d'effroi, passage que Jacques
Delille a si bien décrit en alexandrins français :
Un jour, le laboureur, dans ces mêmes sillons,
Où dorment les débris de tant de bataillons,
Heurtant avec le soc leur antique dépouille,
Trouvera, plein d'effroi, des dards rongés de rouille...
Quoique, suivant toute apparence, on ne se soit pas battu, entre Gaulois et Romains, en cet
endroit, je veux dire sur ce territoire de Creventum, pourtant les terrassiers dont j'ai parlé y ont
rencontré de vieilles armes, mais il y a eu quelque chose de plus remarquable encore. Au moment
où deux de ces travailleurs attaquaient avec leurs outils un mur en pisé, ayant senti de la résis-
tance, ils s'étaient courbés jusqu'à terre et finissaient par signaler quelque chose comme un bloc
de métal. A première vue ils supposaient que ce pouvait être un objet usuel, quelque tuyau, un
instrument d'aqueduc comme il en faut près des égouts ou à l'embouchure des cours d'eau, mais,.
la tête de trois légions, ce petit-fils d'une déesse, après dix lieues faites sur un sol plat, a trouvé
tout à coup un site très vert et on ne peut plus plaisant, un canton riche en moissons, en trou-
peaux et en fruits. Comme son armée, fatiguée d'un long siège, avait besoin de se reposer et
même de se refaire, il a ordonné de faire halte. Indépendamment de ce que je viens de dire,
tout l'y conviait. Premier point, vingt-cinq mille hommes pouvaient aisément se développer sur
ce terrain. Seconde considération, le Cher coulait en cet endroit et l'eau du petit fleuve est pure
et sapide. Troisième point, le climat paraissait aussi tiède que celui de l'Italie. N'en était-ce pas
assez pour qu'on y hivernât ?
Jules César s'est donc arrêté à Creventum, aujourd'hui Drevant ; il y est resté six mois,
peut-être un an. L'histoire nous dit comment les Romains arrangeaient ces campements. Dès que
les légions avaient fait halte, on changeait le camp en une ville. Après avoir dressé les tentes,
assuré les palissades, posé les sentinelles, on s'occupait des choses nécessaires à la vie. Les
vivandiers établissaient des étables pour le bétail, des abattoirs, des boucheries, des greniers,
des moulins, des boulangeries, des celliers, des cuisines. Comme la consigne était d'imiter Rome,
même en courant à travers le monde, on élevait une chapelle sous l'invocation de Quirinus ou
de tout autre dieu paternel, un saceilum pour les dévots ; on veillait aussi à ce qu'on ne manquât
pas de jeux ni de théâtre. Et c'est en raison de cet état de choses qu'il y a soixante ans, dans
ces mêmes parages, le département du Cher faisait faire des fouilles. Déjà, le hasard s'en étant
mêlé, on avait trouvé des poignées d'épée et des amphores. « Qu'on creuse plus avant et l'on
fera bien d'autres découvertes », avait dit un antiquaire de la localité. On y envoya une équipe
de cinq piocheurs et, à force de remuer la terre, ils firent d'intéressantes trouvailles. J'ai vu des
poteries qui provenaient du camp et aussi des pièces de monnaie portant pour effigie le groupe
de la Louve du Tibre, de cette fauve nourrice des jumeaux, qui, après avoir été chefs de brigands,
sont devenus les fondateurs du plus grand des empires.
Quand Prosper Mérimée, arrivant de Bourges, tomba dans la petite ville de Saint-Amand-
Mont-Rond, aussitôt qu'on sut de quelles fonctions il était pourvu, on ne manqua pas de lui faire
une vive recommandation. « Monsieur l'inspecteur général, lui dit-on, vous ne pouvez vous
dispenser d'aller faire un tour au camp de César, à Drevant. Ce n'est qu'à une lieue et demie d'ici.
— Soit », répondit le traducteur de Salluste.
. Prosper Mérimée était d'autant mieux préparé à entreprendre ce pèlerinage qu'il venait de
finir ce grand travail : la Guerre contre Jugurtha et la Conjuration de Catilina, deux œuvres dans
lesquelles il était question de César. Il serait donc enchanté de se porter sur les lieux afin de voir
de ses yeux l'équipe des piocheurs s'efforçant de fouiller le sol pour y découvrir les secrets du passé.
Déjà, ainsi que je viens de le dire, les pionniers, tout en fouillant la terre, rencontraient en cet
endroit les vestiges d'une ville romaine. Comme cela arrive toujours, les découvertes avaient
commencé par la poterie ménagère. On avait donc mis tour à tour la main sur des cruches, sur des
amphores et sur des assiettes. Bientôt après survenaient quelques pièces de monnaie, des as et des
sesterces, et puis des sabres rouilles, rappelant ces beaux vers des Géorgiques où le poète de
Mantoue fait voir un homme des champs, émerveillé de surprise et d'effroi, passage que Jacques
Delille a si bien décrit en alexandrins français :
Un jour, le laboureur, dans ces mêmes sillons,
Où dorment les débris de tant de bataillons,
Heurtant avec le soc leur antique dépouille,
Trouvera, plein d'effroi, des dards rongés de rouille...
Quoique, suivant toute apparence, on ne se soit pas battu, entre Gaulois et Romains, en cet
endroit, je veux dire sur ce territoire de Creventum, pourtant les terrassiers dont j'ai parlé y ont
rencontré de vieilles armes, mais il y a eu quelque chose de plus remarquable encore. Au moment
où deux de ces travailleurs attaquaient avec leurs outils un mur en pisé, ayant senti de la résis-
tance, ils s'étaient courbés jusqu'à terre et finissaient par signaler quelque chose comme un bloc
de métal. A première vue ils supposaient que ce pouvait être un objet usuel, quelque tuyau, un
instrument d'aqueduc comme il en faut près des égouts ou à l'embouchure des cours d'eau, mais,.