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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Leroi, Paul: Les dernières fouilles en Chaldée
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0226

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i74

L'ART.

textes faciles à déchiffrer ni d'une langue aisément compréhensible.
Goudia et ses contemporains écrivaient ce vieil idiome préhisto-
rique, dont on ne sait s'il est une langue réelle ou artificielle, et
qu'on ne connaissait guère jusqu'alors que par des hymnes religieux
et magiques ou par des analyses grammaticales de l'époque assy-
rienne. 11 faut, pour en démêler le sens, des qualités de finesse et de
pénétration qu'Amiaud possédait au plus haut degré : les traductions
qu'il a laissées, et que M. Heuzey nous donne avec un soin pieux,
inachevées qu'elles sont, demeurent encore après des années écou-
lées, ce qu'on a entrepris de sérieux sur la matière.

C'est, en somme, tout ce qui subsiste d'une ville entière que
M. de Sarzec aura transporté au Louvre et à Constantinople, ville de
second ordre ou même de troisième, mais qui eut très anciennement
ses jours de prospérité, et qui nous donne dans l'ensemble l'impres-
sion fort exacte de ce qu'étaient les plus vieilles cités chaldéennes.
Elle s'appelait Lagash et s'élevait à petite distance d'Our et d'Erech,
de Larsam et d'Eridou, quelquefois indépendante, plus souvent vas-
sale de l'une de ses puissantes voisines. Ses souverains s'intitulaient,
selon les circonstances, rois oupatishi, ce dernier mot marquant un
degré de vassalité encore mal défini à l'égard d'un dieu ou d'un
monarque temporel; ils menèrent des expéditions heureuses contre
leurs voisins d'Elam, et les débris d'une stèle triomphale que l'un
d'eux, Akourgal, éleva dans un temple au retour de ses campagnes,
montrent des troupes en marche, le chef sur son char, un champ de
bataille semé de cadavres et de membres coupés que des nuées de
vautours enlèvent lourdement, le sacrifice des prisonniers après la
bataille. La guerre leur servait surtout à obtenir les ressources
nécessaires aux constructions de leurs temples et de leurs palais.
Leurs temples étaient, selon l'usage, des édifices eu briques cuites,
bas, peu ornés, dominés par l'une de ces tours à étages, au sommet
desquelles une chapelle du dieu s'élevait; Lagash en possédait une
demi-douzaine à elle seule : temple de Ningirsou, temple de Baou,
temples d'Illila, d'Enki, de Nina-, de Douzi-absou, 6ans parler
d'autres encore. Les palais devaient être aussi nombreux, mais la
disposition intérieure n'en est pas très claire, malgré le déblayement
très soigné que M. de Sarzec a entrepris de l'un d'eux. M. Heuzey
a essayé d'en rétablir une partie dans un Mémoire spécial, dont il a
amplifié et modifié les conclusions en plusieurs occasions. Ils
étaient bâtis en briques comme les temples, avec une façade décorée
de longues'rainures verticales, analogues à celles qu'on voit sur les
fronts de .certaines forteresses égyptiennes ; les colonnes, rares du
reste, étaient formées d'un assemblage ingénieux de grandes tuiles
plates et ressemblent assez aux colonnes cannelées de l'Egypte.
L'aspect général devait être celui d'un cube massif, rougeâtre ou gris,
selon la teinte des matériaux employés, percé de hautes portes et
presque sans fenêtres, du moins à l'extérieur; le tout assez lourd,
mais établi solidement de manière à braver les attaques du temps et
des hommes. Temples et palais portent la trace de diverses restau-
rations, et plusieurs briques nous ont conservé, écrit en lettres
grecques, le nom d'un prince qui vécut à Lagash vers l'époque des
Séleucidcs ou des rois partîtes. Il s'était sans doute taillé dans les
marais qui s'étendent du Tigre à l'Euphrate un petit royaume à
demi indépendant; ne pouvant mettre la main sur une des grandes
villes de la région, il s'était installé sur les débris de Lagash et avait
abrité sa domination éphémère dans les parties les moins endomma-
gées des édifices de Goudia.

Toutefois, ce qui fait des trouvailles de M. de Sarzec un événe-
ment capital dans l'histoire de l'archéologie chaldéenne, ce sont les
statues et les bas-reliefs qu'elles ont mis au jour. On peut dire sans
risquer de se tromper qu'avant elles l'art le plus vieux des nations
euphratéennes nous était inconnu ; on en arrivait même à se deman-
der si elles avaient possédé un art et des artistes capables de pro-
duire quelque chose d'approchant aux œuvres des sculpteurs égyp-
tiens. L'absence de monuments figurés répandait sur les études
chaldéennes une teinte d'ennui dont aucune découverte n'avait
encore rompu l'uniformité, et l'abondance des contrats ou des écrits
grammaticaux ne rachetait pas suffisamment aux yeux des savants
la pénurie d'eeuvres artistiques. Une heure de promenade à travers
les salles du Louvre convaincra les plus prévenus de l'existence
d'un art, imparfait encore dans sa technique et dans ses moyens
d'expression, mais simple, vigoureux, puissant, d'une hardiesse et
d'une originalité incontestables. Comme les Égyptiens des époques
memphites, les Chaldéens de Goudia aimaient s'attaquer aux roches
les plus dures et qui paraissent se prêter le moins au rendu de la
figure humaine. Ils ont taillé leurs statues en plein diorite, et le fini
du travail ne laisse soupçonner nulle part la difficulté qu'ils ont dû
éprouver à entamer et assouplir la matière. Le grand Khéphrên en
diorite du Musée de Gizéh est plus svelte, plus élégant, plus délica-
tement traité que les statues assises ou debout de Goudia ; il n'a
pas plus grande allure. Les têtes manquent malheureusement à ces
corps robustes et sains, mais on imagine ce qu'elles pouvaient être
si l'on étudie les têtes sans corps que M. de Sarzec a eu la bonne

fortune de rapporter. Elles sont découpées largement, avec une
énergie un peu lourde, mais avec une entente parfaite du modelé de
la face humaine et de son expression. Ces belles œuvres offrent un
contraste saisissant avec la gaucherie et la rusticité de certains bas-
reliefs ; on serait tenté d'y voir la façon d'une école différente. Le
tout forme une collection unique au monde et dont on aura peine à
rassembler l'équivalent d'ici longtemps. Notre Musée assyrien ne
s'était plus guère augmenté depuis quarante ans et le naufrage qui
engloutit dans le Tigre le butin de Fresnel et d'Oppert semblait
avoir découragé notre gouvernement ; l'acquisition des monuments
de Lagash compense certainement les pertes que cette inaction lui a
fait subir pendant ces longues années. Tout ne frappara pas égale-
ment la curiosité du public dans cette fortune nouvelle, et les
cylindres en terre cuite chargés d'écriture ne lui causeront qu'une
joie médiocre ; ils sont le régal des gens du métier, et les assyrio-
logues des pays voisins ne nous les envient pas moins que nos sta-
tues. Le Musée britannique et le Musée de Berlin auraient payé cher
pour s'en rendre acquéreurs si le hasard, au lieu de les confier à
M. de Sarzec, les avait jetés entre les mains des courtiers orientaux
ou des marchands d'antiquités.

III

Nous voudrions connaître, afin de le signaler à la recon-
naissance de nos lecteurs, le nom du ministre qui fut assez
intelligent et assez antiroutinier pour prendre sur lui d'au-
toriser M. de Sarzec à quitter sa résidence consulaire
nouvelle de Batavia et à reprendre ses fouilles de Telloh.
Envoyer the right man in the right place, c'est-à-dire
appeler l'homme le plus capable à la position qui convient
le mieux à ses aptitudes, ainsi qu'en usent si sensément
les Anglais, voilà qui tient du miracle en matière d'admi-
nistration française. Une fois, direz-vous, n'est pas cou-
tume, et vous n'aurez, hélas ! que trop raison, mais ne
fût-ce qu'à titre de commencement, l'acte posé à l'égard de
M. de Sarzec, acte qui ne serait que normal Outre-Manche,
est trop exceptionnel en France pour ne pas être haute-
ment loué, en opposition au perpétuel système de com-
promis malsains de toute espèce et d'injustifiables com-
pensations passées en ce pays à l'état de règle pour le plus
grand dam des contribuables.

IV

M. Gaston Maspero rend à M. Heuzey la justice qui
lui est due :

Il ne suffit pas de s'enrichir, il faut savoir user de ses richesses
et en faire part aux savants de tous les pays. L'ouvrage dans lequel
M. Heuzey publie les découvertes de M. de Sarzec l'emporte beau-
coup sur celui de M. Hilprecht par le soin et par la beauté avec
lesquels les monuments y sont figurés. On comprend facilement que,
ayant à reproduire les œuvres capitales d'un art nouveau, M. Heu-
zey ait tenu à n'employer que les procédés les plus perfectionnés de
la gravure moderne.

Mais, ne pouvant s'empêcher de constater que la publi-
cation de l'ouvrage n'avance que lentement, M. Maspero
s'attache courtoisement à démontrer que les lenteurs de
son académique confrère sont empreintes de sagesse. Cela
est sans aucun doute fort aimablement pensé et savam-
ment exposé, mais le bon sens du lecteur demeure incré-
dule au souvenir des retards interminables apportés par
M. Heuzey à la modeste confection de la Notice qu'il de-
vait lire à l'Académie des Beaux-Arts, au plus tard six
mois après son élection. Il y a huit ans au moins que
M. Heuzey fut élu en remplacement de M. du Somme-
rard. Ce dernier continue à attendre l'éloge posthume que
lui assuraient les statuts.

Paul Le roi.
 
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