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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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DCCXXX

Les Trophées, par José Maria de Heredia. Un volume in-8°.
Alphonse Lcmerre, éditeur.

M. José Maria de Heredia n'appartient, en aucune
façon, à la trop nombreuse famille des improvisateurs. Il
prend son temps pour bien faire, et il se rend à lui-même
ce témoignage « qu'il a fait de son mieux ». Le public a
tout de suite accueilli son livre avec faveur, et ce n'est pas
là un engouement passager. Les sujets que traite cet
auteur ne sont pas de ceux qui passent avec l'actualité; il
se complaît aux choses du passé ; il essaye de les faire
revivre et de nous les rendre avec leur couleur propre.
C'est sur l'art qu'il compte, avant tout, pour séduire ses
lecteurs ; il sait que la forme seule assure aux livres la
durée, et il s'est appliqué à donner au sien une forme
irréprochable.

Ce souci de bien dire, nécessaire partout, est indispen-
sable dans un volume formé presque tout entier de son-
nets. Si l'on peut pardonner des négligences dans un
poème épique ou dramatique, on ne saurait guère les
excuser dans un sonnet. Quiconque enferme sa pensée
dans les limites étroites de la poésie fugitive se condamne
à un travail d'art presque infini. C'est à la main de l'ou-
vrier que l'œuvre doit tout son prix.

Les sonnets de M. de Heredia ne se suivent point au
hasard. L'auteur évoque tour à tour la Grèce et la Sicile,
Rome et les Barbares, le Moyen-Age et la Renaissance ; il
fait appel à la légende et à l'histoire, et il ressuscite, en
quelque sorte devant nos' yeux, le monde d'autrefois tout
entier. Il donne une place aux pays d'Orient et des Tro-
piques, chers à la poésie contemporaine, et il dit, lui
aussi, avec son âme et un accent tout personnel, la Nature
et le Rêve. Cette variété de sujets prête au livre un charme
pénétrant et elle permet de le lire jusqu'au, bout avec un
plaisir toujours nouveau.

Le mérite singulier de ce livre et ce qu'il y faut louer
presque à l'égal du style lui-même, c'est l'art avec lequel
l'auteur a su varier ses tons et approprier ses couleurs à
des sujets très divers. La Grèce revit à nos yeux, avec ses
vieilles légendes dans toute leur brutalité sauvage et poé-
tique, et nous avons aussi la Grèce civilisée, celle des
artistes et des poètes bucoliques. M. de Heredia les com-
prend également l'une et l'autre et il nous les rend avec

un art merveilleux. Il ne comprend pas moins Rome et la
vie romaine. S'il se plaît aux grandes choses, il sent aussi
le charme des plus petites ; son style n'a pas toujours une
sorte de rigidité sculpturale, il sait s'assouplir et se plier
aux menus détails. On a cité, comme à l'envi, les sonnets
qui ont pour titres : Nemée, la Fuite des centaures,
Antoine et Cléopdtre, et l'on en a vanté justement l'éton-
nante perfection. En voici un d'un tout autre genre et
dont le charme a été vivement senti par tous ceux qui
goûtent encore Horace et surtout Virgile :

VILLULA

Oui, c'est au vieux Gallus qu'appartient l'héritage
Que tu vois au penchant du coteau cisalpin ;
La maison tout entière est à l'abri d'un pin,
Et le chaume du toit couvre à peine un étage.

Il suffit pour qu'un hôte avec lui le partage.
Il a sa vigne, un four à cuire plus d'un pain,
Et dans son potager foisonne le lupin.
C'est peu ? Gallus n'a pas désiré davantage.

Son bois donne un fagot ou deux tous les hivers,

Et de l'ombre, l'été, sous les feuillages verts;

A l'automne, on y prend quelque grive au passage.

C'est là que, satisfait de son destin borné,

Gallus finit de vivre où jadis il est né.

Va, tu sais à présent que Gallus est un sage.

Ceux qui sont encore capables de lire, dans leur texte
original, les poètes de la Grèce et de Rome seront surtout
enchantés du livre de M. de Heredia. Ils y retrouveront
toute la fleur de l'antiquité et, à chaque pas, des réminis-
cences d'Homère, d'Eschyle, de Théocrite, de Lucrèce,
de Virgile et d'Horace. L'auteur se pare avec grâce de ces
précieux lambeaux, il les coud adroitement à son propre
manteau, et, pour tout dire, il imite à la façon des maîtres.
On est heureux de rencontrer, enfin, un poète qui sait et
qui n'a pas honte de montrer son savoir. Il le montre, il
est vrai, mais il ne l'étalé pas. Voilà bien, à vrai dire, la
poésie telle que peuvent la concevoir et la goûter les
esprits d'aujourd'hui. C'est un art à la fois très sincère et
très subtil ; il est fait d'inspiration et de patience ; il sup-
pose un heureux naturel et un labeur presque infini. M. de
Heredia a su mieux que personne unir en lui des qualités
si diverses. Il mérite d'être proposé en exemple à nos
poètes, et il nous semble qu'il est digne, non plus d'être
couronné, mais de distribuer lui-même les couronnes.

F. L.
 
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