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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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226

L'ART.

grâce au ton dont elles sont émises. Les Concourt ont
leurs admirateurs, d'accord; mais pourquoi les ériger
en pontifes et considérer comme d'un suprême intérêt
tout ce qui est tombé de leur plume? Je ne pense même
pas que le Salon de 1852, eût-il été traité comme les Con-
court ont rêvé plus tard de faire un Salon, « un Salon où
l'homme de lettres confesserait le peintre », pourrait offrir
une valeur documentaire très sérieuse. L'échantillon que
les Goncourt en donnent à propos du peintre Jacquet n'est
point concluant : les potins ne seront jamais de l'histoire
et les Goncourt l'ont souvent trop oublié.

Çà et là, du reste, en ce Salon de 1852, beaucoup de
principes émis, quelques-uns justes, mais toujours trop
absolus, tels que la négation de l'existence d'un art popu-
laire, la négation d'une renaissance possible de la peinture
religieuse au xixc siècle, et la condamnation du pinceau à
peindre éternellement le réel sans chercher l'idéal. Ce
sont là des idées qu'il faut être bien jeune pour présenter
comme des vérités immuables. Çà et là aussi, des poncifs
sur les chrétiennes modesties des artistes du Moyen-Age,
« la peinture religieuse des siècles croyants, cette peinture
convaincue et recueillie comme la prière ». Idées qui
datent de la Restauration, ont fleuri sous Louis-Philippe
et s'étiolent en quelques cerveaux attardés : ainsi s'explique
une bizarre admiration pour les microscopiques et moyenâ-
geuses compositions dues au ciseau de Michel Pascal,
simples sujets de pendules, passés de mode aujourd'hui.
Ceux qui mettent beaucoup de littérature autour des pri-
mitifs ou des peintures parfois quelque peu symbolistes
de notre temps, ne seront pas non plus trop contents de
l'opinion des Goncourt sur la peinture spiritualiste. « La
peinture est-elle un art spiritualiste? N'est-il pas plus dans
ses destins et dans sa fortune de tenter les yeux, d'être
l'animation matérielle d'un fait, la représentation sensible
d'une chose, et de ne pas aspirer beaucoup au delà de la
récréation du nerf optique? La peinture n'est-elle pas
plutôt un art 'matérialiste, vivifiant la forme par la cou-
leur, incapable de vivifier les intentions du dessin, le par
dedans, le moral et le spirituel de la créature? Autrement
qu'est le peintre? — Un esclave de la chimie, un homme
de lettres aux ordres d'essences et de sucs colorants, qui
a, pour toucher l'âme, du bitume et du blanc d'argent, de
l'outremer et du vermillon.

« Croit-on, au reste, que ce soit abaisser la peinture
que de la réduire à son domaine propre, à ce domaine que
lui ont conquis le génie de ces palettes immortelles :
Véronèse, Titien, Rubens, Rembrandt? grands peintres!
vrais peintres ! flamboyants évocateurs des seules choses
évocables par le pinceau : le soleil et la chair! ce soleil et
cette chair que la nature refusa toujours aux peintres
spiritualistes, comme si elle voulait les punir de la négliger
et de la trahir! »

Tout cela est fort agréablement dit, mais est-ce bien
la vérité? Si nous prêtons trop souvent aux primitifs des
sentiments de notre époque et surtout plus de sentiments
qu'ils n'en avaient, si trop souvent la littérature étouffe
chez nous la vraie compréhension des œuvres d'art, m'est
avis que c'est faire injure à Véronèse, à Titien, à Rubens,
à Rembrandt, que de les prendre simplement pour d'heu-
reux brosseurs de chair et de soleil; il y a autre chose en
leurs tableaux; ce ne sont pas toujours de simples récréa-
tions pour le nerf optique; une pensée a guidé la main
de ces maîtres; si beaucoup de peintres spiritualistes ou
symbolistes font fausse route, ils peuvent du moins se
réclamer du divin Léonard; l'idée ne tue pas toujours la
couleur ; j'en appelle aux admirateurs de Turner, et pour
citer des contemporains, les tableaux et les aquarelles de
M. Gustave Moreau, pour être des œuvres spiritualistes

et symbolistes ne sont pas pourtant dépourvues d'un cer-
tain sentiment de la couleur. Je cite ceux-là au hasard
pour montrer combien les principes absolus en art —
comme en tout — ont peu de chance de rester dans la
réalité des choses ; et si de tels axiomes peuvent en un
feuilleton passer pour une boutade heureuse, réimprimés
en volume, ils agacent le lecteur, qui n'aime pas trop jurer
in verba magistri.

J'ai fini ; comme le dit fort bien M. Roger Marx en sa
préface, le Salon de i852 et la Peinture à l'Exposition
universelle de i855 ont surtout une signification auto-
biographique et fourniront aux annalistes « des vues
neuves, d'originales et personnelles conclusions sur l'état
des arts au milieu du siècle ». Au point de vue documen-
taire, cette réimpression peut se défendre; mais les Gon-
court ont eu tant de fois l'occasion de montrer leur goût
et leur perspicacité que ces pages isolées ont l'air d'une
ébauche que celui qui fera l'histoire de l'art de notre siècle
ne perdra pas beaucoup à négliger.

Emile Molinier.

DCCXXXIV

Théodore de Banville. Esope, comédie en trois actes,
avec un dessin de Georges Rochegrosse. In-18 de
62 pages. Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle, édi-
teurs, 11, rue de Grenelle. 1890.

J'ignore si cette pièce posthume sera représentée, ainsi
que l'espèrent les éditeurs. Théodore de Banville ne fut
guère homme de théâtre ; ses tentatives dramatiques cons-
tituent un fort léger bagage qu'ignorera la postérité ; les
lettrés seuls y pourront trouver quelque intérêt à cause
des incontestables mérites de style.

Ésope démontre, de même que toutes les autres comé-
dies de l'auteur, qu'il s'agit surtout d'un succès de mots
harmonieusement accouplés, mais dont l'impeccable
cadence espère en vain dissimuler la stérilité de la pensée.

M. Rochegrosse eût sagement fait de ne point com-
mettre pour cette élégante plaquette un dessin d'une pau-
vreté absolue.

Adolphe Piat.

P. S. — MM. G. Charpentier et E. Fasquelle viennent
de publier un choix de Petits poèmes russes mis en vers
français, par M. Catulle Mendès.

Cet in-18 de 76 pages est surtout œuvre d'actualité, se
dira-t-on. Grave erreur. C'est fort heureusement beaucoup
mieux que cela.

Pouchkine, Tioutchev, Koltsov, Ogarev, Lermontov,
Tourguenev, Fête, Polonski, Nékrassov, Plechtchéev et
K. R-, qui n'est autre que le Grand-Duc Constantin
(Konstantin Romanov), ont été traduits de façon exquise
par M. Mendès et seront, en tout temps, passionnément
recherchés par les délicats.

Il me suffit, pour le prouver, de citer au hasard le
Soleil et la Lune, de Polonski ; puis, les trois strophes par
lesquelles M. Catulle Mendès termine adorablement ses
Petits poèmes russes :

LE SOLEIL ET LA LUNE

Vers le petit lit, tout soie et dentelle,
La lune a glissé ses rayons d'argent,
Et l'enfantelet demande en songeant :
« La lune, le soir, pourquoi brille-t-clle .•' »

— C'est que, de l'aurore à cette heure-ci,
. Le Soleil a pris une peine énorme ;
Et le Seigneur veut qu'il se couche et dorme ;
Quand dort le Soleil, tout repose aussi.
 
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