264 L'ART.
d'une victoire, un petit monument votif qu'ornait un petit nombre de statues, que désignait,
courant sur quelque frise ou tout modestement sur un degré d'escalier, une courte et très pom-
peuse épigramme ; les rois dressaient un groupe de bronze ou de pierre ou même une simple
figure signée d'un nom de sculpteur illustre ; une inscription de deux lignes rappelait le nom du
donateur et l'occasion de l'offrande; les simples particuliers vouaient une modeste stèle ornée
d'un bas-relief, que soulignait une humble dédicace. Le temple égyptien est un immense ex-voto
que décorent les statues, les bas-reliefs et les inscriptions, et plus ces éléments seront multipliés,
plus l'honneur fait au dieu sera grandiose, plus le consécrateur paraîtra pieux et paraîtra fort,
plus vivement éclateront son pouvoir et sa gratitude. Aussi, de même que se dresseront les
statues partout où leur forme colossale semblera s'harmoniser au style et aux formes de l'archi-
tecture, de même, partout où seront ménagées des surfaces unies, sur toutes les parois planes
des murailles, sur tous les plans arrondis des colonnes, sur les façades de l'édifice, sur ses flancs,
sur ses portes, sur tous les murs extérieurs, sur les murs de toutes les cours, sur les murs de
toutes les chambres, au ras du spl comme au faîte couronné de corniches, partout s'étaleront des
tableaux et des figures en bas-relief, entremêlés de cartouches ou d'inscriptions hiéroglyphiques.
Au premier aspect, cette abondance, cette profusion, pour mieux dire, nous surprend ; cette
débauche de formes et de couleurs, — car tous ces bas-reliefs sont peints, — nous déplaît et
nous déconcerte; nous crions à l'abus, au mauvais goût des sculpteurs, qui, si maladroitement,
ont gâté l'œuvre des architectes, et nous ne revenons de cette inévitable impression première,
nous ne trouvons une excuse qu'à la réflexion et qu'au souvenir des idées dont ces artistes ont
subi la nécessité impérieuse.
Encore n'y aurait-il que demi-mal si les mérites de tous ces bas-reliefs étaient en raison de
leur grand nombre; mais cette profusion même n'est-elle pas, en principe, ennemie de la beauté?
N'exige-t-elle pas une conception et une exécution tellement rapides que toute recherche originale
et tout effort vers la perfection en soient paralysés ? Demander à un sculpteur tant de fécondité
d"esprit, tant de prestesse de ciseau, n'est-ce point le condamner à la monotonie, à la convention
sans remède ? n'est-ce pas l'épuiser en un mouvement perpétuel et stérile ? n'est-ce pas lui impo-
ser des redites sans fin et des procédés, toujours les mêmes, qui énervent et compriment son
génie ? C'est bien ce que nous sommes réduits à constater.
Les sujets, d'abord, sont toujours les mêmes : nous avouons qu'il ne pouvait guère en être
différemment. La vie d'un roi glorieux, — et tous les constructeurs, tous les consécrateurs de
temples ne peuvent être que glorieux, — les actions du moins de cette vie, qui peuvent et
doivent être représentées, ne sont point si variées^ qu'on le pourrait croire : adoration des dieux
et cérémonies religieuses, que Pharaon honore de sa présence, gouvernement des peuples humble-
ment soumis, construction des édifices commémoratifs d'un règne illustre, plaisir souverain de la
chasse, et, surtout, expéditions lointaines, batailles et triomphes, voilà certes une matière qui
semble infinie et qui, diversifiée par le détail, peut suffire à d'innombrables générations d'artistes.
Mais que l'on songe d'une part aux dimensions prodigieuses des surfaces à couvrir et, d'ailleurs,
à la nécessité de reproduire les mêmes scènes à propos de chaque Pharaon, et l'on comprend
que cette matière si riche se trouve rapidement épuisée ; que l'on songe au temps qui presse, au
roi qui veut, avant de mourir, laisser le monument achevé, et l'on se rend compte que les déco-
rateurs pouvaient malaisément inventer rien de nouveau, ni rajeunir par le détail les thèmes
banals que leur imposait l'étiquette.
Mais ces nécessités mêmes de sujets imposés et de facture accélérée ont dirigé l'art du bas-
relief égyptien dans des voies si particulières que l'étude en est toujours intéressante et curieuse.
Convention, monotonie, routine, voilà des critiques auxquelles les tableaux sculptés et peints sur
les monuments religieux n'échappent que bien rarement : ces conventions, du moins, et cette
routine ne sont point quelconques et ne sont point vulgaires ; elles ont une place bien à part et
bien à elles dans l'ensemble des arts plastiques ; leur persistance même et leur immutabilité
marquent leur force et prouvent leur valeur ; nous devons, en quelques lignes, en étudier le
curieux mécanisme.
d'une victoire, un petit monument votif qu'ornait un petit nombre de statues, que désignait,
courant sur quelque frise ou tout modestement sur un degré d'escalier, une courte et très pom-
peuse épigramme ; les rois dressaient un groupe de bronze ou de pierre ou même une simple
figure signée d'un nom de sculpteur illustre ; une inscription de deux lignes rappelait le nom du
donateur et l'occasion de l'offrande; les simples particuliers vouaient une modeste stèle ornée
d'un bas-relief, que soulignait une humble dédicace. Le temple égyptien est un immense ex-voto
que décorent les statues, les bas-reliefs et les inscriptions, et plus ces éléments seront multipliés,
plus l'honneur fait au dieu sera grandiose, plus le consécrateur paraîtra pieux et paraîtra fort,
plus vivement éclateront son pouvoir et sa gratitude. Aussi, de même que se dresseront les
statues partout où leur forme colossale semblera s'harmoniser au style et aux formes de l'archi-
tecture, de même, partout où seront ménagées des surfaces unies, sur toutes les parois planes
des murailles, sur tous les plans arrondis des colonnes, sur les façades de l'édifice, sur ses flancs,
sur ses portes, sur tous les murs extérieurs, sur les murs de toutes les cours, sur les murs de
toutes les chambres, au ras du spl comme au faîte couronné de corniches, partout s'étaleront des
tableaux et des figures en bas-relief, entremêlés de cartouches ou d'inscriptions hiéroglyphiques.
Au premier aspect, cette abondance, cette profusion, pour mieux dire, nous surprend ; cette
débauche de formes et de couleurs, — car tous ces bas-reliefs sont peints, — nous déplaît et
nous déconcerte; nous crions à l'abus, au mauvais goût des sculpteurs, qui, si maladroitement,
ont gâté l'œuvre des architectes, et nous ne revenons de cette inévitable impression première,
nous ne trouvons une excuse qu'à la réflexion et qu'au souvenir des idées dont ces artistes ont
subi la nécessité impérieuse.
Encore n'y aurait-il que demi-mal si les mérites de tous ces bas-reliefs étaient en raison de
leur grand nombre; mais cette profusion même n'est-elle pas, en principe, ennemie de la beauté?
N'exige-t-elle pas une conception et une exécution tellement rapides que toute recherche originale
et tout effort vers la perfection en soient paralysés ? Demander à un sculpteur tant de fécondité
d"esprit, tant de prestesse de ciseau, n'est-ce point le condamner à la monotonie, à la convention
sans remède ? n'est-ce pas l'épuiser en un mouvement perpétuel et stérile ? n'est-ce pas lui impo-
ser des redites sans fin et des procédés, toujours les mêmes, qui énervent et compriment son
génie ? C'est bien ce que nous sommes réduits à constater.
Les sujets, d'abord, sont toujours les mêmes : nous avouons qu'il ne pouvait guère en être
différemment. La vie d'un roi glorieux, — et tous les constructeurs, tous les consécrateurs de
temples ne peuvent être que glorieux, — les actions du moins de cette vie, qui peuvent et
doivent être représentées, ne sont point si variées^ qu'on le pourrait croire : adoration des dieux
et cérémonies religieuses, que Pharaon honore de sa présence, gouvernement des peuples humble-
ment soumis, construction des édifices commémoratifs d'un règne illustre, plaisir souverain de la
chasse, et, surtout, expéditions lointaines, batailles et triomphes, voilà certes une matière qui
semble infinie et qui, diversifiée par le détail, peut suffire à d'innombrables générations d'artistes.
Mais que l'on songe d'une part aux dimensions prodigieuses des surfaces à couvrir et, d'ailleurs,
à la nécessité de reproduire les mêmes scènes à propos de chaque Pharaon, et l'on comprend
que cette matière si riche se trouve rapidement épuisée ; que l'on songe au temps qui presse, au
roi qui veut, avant de mourir, laisser le monument achevé, et l'on se rend compte que les déco-
rateurs pouvaient malaisément inventer rien de nouveau, ni rajeunir par le détail les thèmes
banals que leur imposait l'étiquette.
Mais ces nécessités mêmes de sujets imposés et de facture accélérée ont dirigé l'art du bas-
relief égyptien dans des voies si particulières que l'étude en est toujours intéressante et curieuse.
Convention, monotonie, routine, voilà des critiques auxquelles les tableaux sculptés et peints sur
les monuments religieux n'échappent que bien rarement : ces conventions, du moins, et cette
routine ne sont point quelconques et ne sont point vulgaires ; elles ont une place bien à part et
bien à elles dans l'ensemble des arts plastiques ; leur persistance même et leur immutabilité
marquent leur force et prouvent leur valeur ; nous devons, en quelques lignes, en étudier le
curieux mécanisme.