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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier musical
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0342

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tous d'un heureux caractère, et quand arrivent les deux
fiancés avec leur double escorte, quand les jeunes gens
interrogent Françoise et les jeunes filles Dominique, il
s'en suit une scène charmante, où la musique est très bien
à sa place et qui a délicieusement inspiré le compositeur.
Le joli motif confié au cor anglais, la ronde : Dans le bois
ne va plus, la belle, et les questions posées aux deux fian-
cés, puis leurs réponses de tons si variés, soutenus par des
motifs ou hardis, ou tendres, ou rêveurs, et la délicieuse
phrase de Françoise, accompagnée à ravir par la flûte :
Enfin, nous voilà mariés! tout cela constitue,un ensemble
exquis, avec lequel la violente explosion de Marceline à
l'annonce de la guerre et son farouche anathème forment
un contraste émouvant. Ces strophes de malédiction contre
l'abominable guerre ont été notées par le compositeur avec
une rare puissance et jouées autant que déclamées par
Mlle Delna de la façon la plus terrifiante. En vérité, cet
acte est complet d'un bout à l'autre et frappe on ne peut
plus vivement le spectateur.

Dans le second acte, après une page instrumentale
dépeignant la fusillade entre les Français qui tiennent
dans le moulin et les ennemis qui l'assiègent, il se trouve
une scène assez touchante où Merlier, sa fille et Domi-
nique, demeurés seuls, se lamentent sur les malheurs qui
les frappent, eux et la patrie. Et, quand les ennemis
font irruption dans la chambre, un dialogue heurté,
rapide, excellemment accompagné, s'établit entre Domi-
nique et l'officier ennemi, qui lui propose insidieusement
de trahir la France et de guider les troupes ennemies à
travers les bois. Mais Dominique, sans hésiter, refuse, et,
quand il se voit seul, enfermé, à la veille d'être fusillé, il
évoque le souvenir des longues heures passées dans la
forêt, à lui dire son amour naissant ; il chante alors des
strophes très mélodiques, très joliment soutenues par
l'harmonie et qui ont vite séduit les auditeurs, mais qui
me paraissent un peu trop de la romance, de l'arioso. Le
morceau qui vient ensuite est un de ceux que j'ai déjà
signalés : le duo tendre et rêveur entre Dominique et
Françoise, où se trouvent tant de choses exquises, pour
les voix comme à l'orchestre, et que coupent les appels
lointains des sentinelles, la mélancolique chanson du
soldat qui monte la garde sous la fenêtre de Dominique...
Et celui-ci se laisse glisser le long du mur, le couteau à la
main.

Dans le roman, le factionnaire ennemi est égorgé sans
avoir dit un mot ; au théâtre, il chante d'abord un lied
sentimental et philosophique, assez joli, puis il entame
avec Marceline une brève causerie, en petites phrases
d'une expression douloureuse et résignée qui nous rendent
ce soldat étranger tout à fait sympathique, et quand il est
tombé mort sous le couteau de Dominique, alors ses
camarades entonnent une sorte de prière assez fière, de
choral guerrier, qui paraît trop long et semble écrit en vue
des orphéons, mais qui, en principe, est d'une intention
excellente et d'un beau caractère. En effet, on entend se
développer à l'orchestre, en dessous des voix, le large
thème de la terre de France, cette terre autrefois si tran-
quille et dans le sein de laquelle le malheureux soldat, qui
ne pensait qu'à retourner là où mère et fiancée l'atten-
daient, va dormir son éternel sommeil.

Des scènes de famille et le dévouement de Merlier, qui
se sacrifie pour sauver Dominique, remplissent le dernier
acte et donnent prétexte à plusieurs phrases émouvantes,
entre autres celle de Marceline : Je mentirai, quand elle
se promet de mentir pour forcer Dominique à ne pas se
livrer, ou celle de Merlier : Je suis vieux, moi, je puis
m'en aller, lorsqu'il se résigne à mourir; mais le quatuor
entre Merlier, sa servante et ses deux enfants a vraiment
trop la forme et l'allure d'un pur morceau de musique,
avec des parties très touchantes, je me plais à en convenir.
Mais combien est plus attendrissante la dernière scène
entre Françoise et Merlier, quand celui-ci rappelle à sa
fille les conseils qu'il lui adressait dès le jeune âge et qu'il
lui recommande de toujours observer dans la vie; avec

quelle émotion croissante la jeune fille écoute parler son
père etpressent bientôt l'horrible vérité; comme ce dialogue
d'une tendresse infinie et qui se déroule sur un accompa-
gnement très doux, très poétique, aboutit bientôt à la plus
grande explosion d'amour paternel; avec quel feu le brave
Merlier, réconforté par les baisers qu'il a donnés à sa fille,
appelle la mort, la mort qui, en frappant l'homme au
déclin de la vie, assurera le bonheur de ses enfants, la
renaissance et la prospérité du vieux moulin !

Cette dernière scène termine heureusement, par un bel
élan d'enthousiasme, un opéra passablement sombre, à la
vérité, pour l'Opéra-Comique, mais qui s'imposera coûte
que coûte à l'attention des amateurs, par la grâce idyl-
lique de ses tableaux champêtres, par la vie intense des dif-
férents épisodes, parle charme et la couleur de la mélodie 1
proprement dite et de l'accompagnement orchestral, enfin
par la justesse de l'expression dans toutes les parties de
dialogue et les récits, qui sont ici de première importance.
Il se peut cependant, tout compte fait, que je préfère
le Rêve, où l'auteur, ayant surtout des sentiments, des
aspirations à traduire, pouvait donner plus librement
cours à son inspiration rêveuse et poétique, avec une
teinte mystique très accentuée et une expression très pas-
sionnée quand il le fallait, tandis que, dans l'Attaque du
moulin, il se heurte à des épisodes matériels ou mouve-
ments de scène qui ne comporteraient pas de musique, en
principe, et où elle ne peut se faire accepter qu'en se res-
treignant tant et plus, en prenant une allure extrêmement
rapide; mais c'est quand même une œuvre on ne plus
intéressante et qui décèle un auteur de grand mérite. Ah !
quel mécompte pour ceux qui tablaient sur un échec !

Car c'est un succès d'autant plus solide et sérieux qu'il
ne provient pas d'un engouement passager du public pris
en masse, mais qu'il repose sur l'intérêt, sur l'approbation
que manifestent les gens véritablement épris de musique
et qui sont capables d'en juger. Or, l'avis unanime de
ceux-ci est que l'Attaque du moulin est une création de
réelle valeur et qui, même si elle était moins remarqua-
blement jouée, mériterait encore d'être écoutée avec
attention. Certes, un auteur rencontre rarement deux
chanteurs de jeu aussi pathétique et d'aussi belle voix que
MIle Delna et M. Bouvet, tout à fait hors ligne dans Mar-
celine et Merlier ; certes, Mme Leblanc se dépense beau-
coup et montre une voix chaude, avec des inégalités, dans
Françoise, et M. Vergnet (Dominique) pousse force notes
éclatantes sans s'inquiéter d'autre chose, tandis que
MM. Clément et Mondaud personnifient, avec beaucoup
de sentiment ou de violence, la sentinelle et le capitaine
ennemis; certes, ces artistes réunis forment une exécution
vraiment supérieure, et l'effet sur le public n'en est que
plus grand; mais, c'est égal, et quoi qu'en disent ses
adversaires, c'est encore à M. Bruneau que revient la plus
belle part du succès. Vous connaissez le proverbe : Où il
n'y a rien.....

Adolphe Jullien.

P. S. — Une reprise de Faust à l'Opéra, avec décors
et costumes tout neufs, une mise en scène améliorée, des
chœurs augmentés et de brillants ballets : n'en est-ce
pas assez pour justifier l'empressement et la satisfaction
du public, sans parler de la partition, qui a bien son
mérite, et qu'on n'avait pas entendue depuis plusieurs
mois? Les interprètes, eux, n'ont pas changé. Nous avions
déjà vu M. Alvarez dans Faust, M. Delmas dans Méphis-
tophélès, M. Renaud dans Valentin, Mllc Agussol dans
Siébel, Mme Caron, enfin, une Marguerite trop imposante
et solennelle, mais très dramatique dans les scènes de
l'Église et de la mort de Valentin. Seule, Mme Deschamps-
Jehin n'avait jamais chanté dame Marthe à Paris; elle a
dit quelques répliques d'un ton assez juste. Et ces deux
chanteuses-ci parlent déjà de se faire remplacer ! Elles
pensent apparemment qu'elles ont rendu un hommage
suffisant à la mémoire de Charles Gounod.

A. J.
 
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