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La chronique des arts et de la curiosité — 1896

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Nr. 1 (4 Janvier)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19744#0017
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ET DE LA CURIOSITE 7

façon assez singulière, digne du Décaméron de
Boccace. Des peignoirs ainsi drapés relèvent d'au-
tres maisons, qui, pour être aussi hospitalières
que celle de Molière, sont affectées à d'autres
plaisirs comme à d'autres besoins.

Au second acte, arrivent trois petits officiers
dont l'ajustement ne serait pas sans avoir un
grand succès au liai de3 Incohérents. Ces infor-
tunés portent des espèces de corps de cuirasse
fabriqués sans doute, comme la flèche de Rouen,
par « un chaudronnier en délire ». Ce sont des
plastrons sans forme, venant moins haut que les
aisselles et les pectoraux, poriant des soleils en
ronde bosse comme des cuirasses de Cent-gardes
et des tassettes encore plus ridicules qui sont,
sans doute, des garde-reins d'armures du temps
de Louis XIII que l'on a, par mégarde, attachés
au ventre de ces petits soldats. Les casques sont
tout un poème. Les épées et leurs ceintures n'ap-
partiennent à aucune époque; on dirait des acces-
soires de cotillon, ou des jouets pris au Paradis
des enfants. Pour ne point jurer dans ce concert,
Le Bargy a endossé, par-dessus sa robe brochée
d'or, une cuirasse apocalyptique faite d'une ma-
tière inconnue et qui ressemble à un plastron
japonais et aussi à une de ces cuirasses gauloises
chaudronnées en cuivre. A force de regarder ce
bizarre étui de poitrine, j'ai fini par cro re que le
costumier ou le ferblantier, quil'avaitfaitexécuter,
avait voulu copier un de ces plastrons de fonte
de l'Armeria de Madrid, ayant appartenu à Phi-
lippe le Beau et datant du xvc siècle. Ge serait,
dans ce cas, un peu comme un officier de chasseurs
allant à la parade avec un plastron de maître
d'armes. Je n'insiste pas, non plus que sur la ra-
pière Louis XIV ou pour mieux dire Philippe IV,
car ces armes, en leur temps, ne se portèrent
qu'en Espagne et à Naples. Ileureureusement
que pour rétablir l'équilibre, Leloir arrive avec
une figure et un ajustement du xrve siècle ; c'est le
fantôme de Dante! Je ferai remarquer — entre
temps — que tout le monde, dans cette pièce,
porte des bottes à talons, ce qui est un grave
abus. Quant aux lacets dont tous les acteurs se
servent pour serrer ces bottes aux chevilles, la
question est discutable : on en a porté en effet,
mais ils n'étaient pas faits comme cela.

Une fois que Le Bargy a abandonné sa cui-
rasse et sa rapière, son costume devient très
beau. Sa robe, brochée d'or comme un brocart de
Constantinople, est d'un bon modèle et le tailleur
qui l'a faite n'est point un maladroit, Ge bel ac-
teur est superbe, au dernier acte, lorsque, le
poing sur la hanchp, laissant son épée horizon-
tale, il se dresse, tenant dans ta main droite les
étendards turcs. Je crois que le Titien l'aurait
peint avec plaisir. Quant au provéditeur — c'est
un grand amiral, en somme — il a tort de s'ha-
biller en vieux doge ou en pope, c'est au goût de
chacun. Il a tort aussi de se faire accompagner
par un détachement de la garde esclavonue que
le doge ne lui aurait pas assurément piété; il lui
aurait dit de recruter sa garde parmi les soldats
de ses galères.

La tenue de ces Esclavons laissa beaucoup à
désirer, et si certains sont vraiment trop roman-
tiques, d'autres, au contraire, ont l'air de sortir
d'une boite de soldats de plomb. Ils n'on t d'exact
que le grand fauchart que l'iconographie du
musée de Turin a rendu classique. Ils ne portent

même pas les traditionnelles schiavones ! Pour le
reste, ils sont accoutrés au petit bonheur, avec
des carapaces de velours (?) noir rayé d'or qui ne
peuvent vraiment pas passer pour des armures,
et coiffés de casques qui sont des barbutes trop
petites et qui semblent ne pas leur tenir sur la
tête. En bonne règle, un homme portant un cas-
que ne doit pas, vu de face, laisser voir ses
yeux, autrement il est mal coiffé. Les fournis-
seurs du Théâtre-Français me permettront de
leur conseiller d'apprendre l'archéologie des ar-
mes en dehors du Racinet et du Quicherat. Le
recueil d'Asselineau est rempli de pièges et les
autres ouvrages de vulgarisation recèlent des
embûches pires encore. Ils feront bien de se
méfier de tous les recueils de planches ; mais,
sachant qu'en fait d'art rien ne vaut la vue des
choses, ils iront à notre Musée d'artillerie re-
garder des armes et aussi la série de manne-
quins dont personne, décidément, ne paraît vou-
loir profiter. Ils feront mieux encore en allant
voir à Madrid les superbes montages que le
comte de Valencia a établis à. l'Armeria. Ainsi
pourront-ils se lancer dans la pratique d'une
science dont ils ignorent même le rudiment,
comme j'en vais fournir un exemple.

Il s'agit d'un corps d'armure du musée de Ta-
rin datant du xvir siècle et ayant appartenu à
Pietro Antonio Martinengo, un des quatre gou-
verneurs de Brescia en 1(371 ; elle est cataloguée
en G. 89. Cette cuirasse se fait remarquer par une
sorte de garde-ventre en forme de queue de crabe,
d'un modèle rare et d'une inélégance extraordi-
naire. Un officier vénitien apparaît au dernier
acte avec une pareille cuirasse, portant un sem-
blable tablier d'acier, et nous sommes en 1530 !
Par contre, aucun des corps d'armures qui parais-
sent dans la pièce ne peut donner une idée des
formes alors en usage. J'en ferai la preuve quand
on voudra.

C'est ainsi que, prenant, au hasard, des docu-
ments accumulés par des auteurs sans critique,
les costumiers accoutrent les acteurs. Et cela du-
rera tant que les directeurs de théâtres auront
affaire à des entrepreneurs qui achètent un fonds
de costumier ou de ferblanterie d'art comme un
fonds d'épicerie et le gèrent au mieux de leurs in-
térêts, sans s'occuper d'archéologie, science que
ces commerçants ignorent fatalement, eux qui
s'en rapportent à des recueils de vulgarisation
qui propagent l'erreur depuis trente ans et plus.

Je signalerai en terminant la mauvaise forme
des barbutes que portent les Esclavons ; elles ne
ne sont ni dans la vérité, ni dans l'élégance. Et
l'on n'oubliera pas que ces sortes de salades que
l'on disait alors « à la Vénitienne » étaient, quand
on y marouflait du velours cramoisi sur quoi
couraient des rinceaux de bronze doré, un grand
insigne d'honneur que Venise décernait en récom-
pense ou en hommage aux hommes de guerre
qui avaient bien mérité de la république, aux
princes dont elle voulait se concilier la faveur.
Gomme général des galères, Orfinio devrait pos-
séder un semblable casque qu'un page porterait
derrière lui. A ce propos, il y a au dernier acte
une série de pages bleus avec des trousses «n
tonnelet et des chapeaux ronds qui nous ramè-
nent aux fêtes galantes de Louis XIV et aux
plaisirs de l'Ile Enchantée. Je ne comprends
pas que la Comédie Française en soit encore
 
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