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La chronique des arts et de la curiosité — 1896

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Nr. 12 (21 Mars)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19744#0118
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103 LA CHRONIQUE DES ART S

(raits accentués, couronnée d'une lourde chevelure
noire, est engoncée dans un col de chemise que
surmonte un col de gilet blanc et droit, coupant
les oreilles : autour du cou, est enroulée une
cravate de linon blanc. Il est vêtu d'un ample
habit noir boutonné, à collet haut et à larges
revers. Le bras gauche est replié sur la poitrine
et la main cachée sous le vêtement ; de la main
droite, il tient une lettre qu'il semble vouloir
poser sur la table. Le fond est gris verdâtre.

Quel est le personnage représenté ici ? Parmi
les quelques curieux d'art ayant jusqu'à présent
examiné cette toile, certains ont voulu voir en
elle un portrait du peintre exécuté par lui-même,
se basant sur une certaine similitude de traits
avec ses portraits connus. Il n'y a pas à nier, en
effet, qu'une analogie assez lointaine existe entre
eux.

Dans la toile du musée de Castres, on retrouve
jusqu'à un certain point le nez gros et relevé par
le bout, les yeux enfoncés dans l'arcade sourci-
lière en accent circonflexe, la large bouche à la
lèvre inférieure lippue et tant soit peu boudeuse
du portrait de Goya au musée du Prado, peint
par Lopez (1), le représentant à l'âge de quatre-
vingts ans. On retrouve aussi quelques, fugitifs
rapports entre ce tableau et le profil de l'artiste
coiffé d'un chapeau tromblon à longues soies,
gravé par le maître lui-même en tête de Los Ca-
prichos ; mais, un examen attentif du portrait
de Goya peint par lui-même qui figurait dans la
galerie Carderera ne permet pas de supposer que
la toile du musée de Castres le représente. Aucune
similitude entre ces deux portraits, quoique les
modèles aient, dans tous deux, à peu près le même
âge, c'est-à-dire de trente-cinq à quarante ans.

D'autres raisons doivent encore faire écarter
l'idée de voir ici un portrait de Goya par lui-
même.

La première vient du costume du personnage,
qui est celui de 1810 à 1820. A cette époque, Goya
était âgé de soixante-quatre à soixante-quatorze
ans. Né en 1746, il avait eu quarante ans en 1786,
sous le règne de l'indolent Charles IV, alors que
l'on portait encore les costumes de soie et les che-
veux poudrés.

La seconde est tirée de l'adresse de la lettre que
tient à la main le modèle du portrait. Il n'est pas
dans les habitudes d'un peintre de mettre sur une
de ses productions, particulièrement sur un por-
trait, un autre nom que celui de la personne qui
a posé devant lui, à moins que ce ne soit sa
signature.

Don Fred... Mayo, Majo ouMazo, avec l'adresse :
Madrid un peu plus bas, voilà ce qu'avec bien du
mal on arrive à déchiffrer sur la lettre que tient
le personnage figuré sur cette toile. Tel est donc
le nom*du modèle de Goya et, c'est par consé-
quent à Madrid que ce porirait a été exécuté. Quel
est ce personnage, nous n'en savons rien, et nos
recherches à cet égard sont restées sans résultat.
Cela n'a rien d'étonnant, car le maître aragonais
a peint un nombre considérable de portraits,
plus de cent cinquante (3).

(1) Gravé dans la Gaz. des B.-A., 2° pér.,
t. XII, p. 511.

(2) Nous ne pensons pas que l'original de ce
portrait puisse être Don Francisco Xavier Goya,

Arrivons à la troisième toile de Goya, encore
un portrait, comme nous le savons ; mais ce der-
nier, d'une date antérieure au précédent, ne lui
cède en rien comme valeur et comme qualité,
quoique sans aucun doute il ait été brossé plus
hâtivement et peut-être, comme il arrivait fré-
quemment à l'artiste, en deux ou trois séances.
Nous ignorons encore quel est le personnage qui
a posé devant le peintre, sans doute quelque
courtisan de Charles IV. C'est un homme d'un
certain âge, plutôt jeune que vieux, vu de trois
quarts, tourné vers la gauche, représenté de gran-
deur naturelle jusqu'au-dessous des épaules, aux
grands yeux ronds à fleur de tête, abrités par
d'énormes besicles, au nez proéminent, quoique
court. Il est coiffé d'une perruque poudrée et
porte un habit de satin vert à boutons de métal.

Ge portrait a été peint sans doute entre les-
années 1780 et 1790, aux jours les plus brillants
de la vie de Goya, alors que, premier peintre de
la Chambre avec un traitement de 50.000 réaux,
il était arrivé à la plus haute situation qu'il pût
souhaiter. Comme alors tout le monde voulait
avoir un portrait de sa main, il était obligé de
faire vite et, sans doute, répétons-le, la tête de ce
portrait a été exécutée très rapidement. Ce n'en
est pas moins une œuvre excellente.

Dans ces deux toiles, quoiqu'elles aient été
peintes à une vingtaine d'années de distance au
moins, on retrouve toutes les qualités ordinaires-
de Goya': ses tons argentés, sa légèreté et sa dé-
licatesse de touche habituelles.

Par la possession de ces trois pages du dernier-
représentant de la grande école espagnole, la ville-
de Castres peut s'enorgueillir d'être en France
une des seules où l'on puisse étudier et admirer,
comme il mérite de l'être, ce maître étrange, bien
de sa race et de son pays, enfant naturel de Vé-
lazquez, amoureux avant tout, comme lui, de la
vérité, qu'il a cherché à rendre avec une sincé-
rité d'expression que peu de peintres ont atteinte.
Goya est plus et mieux qu'un précurseur; il est
presque un homme de demain. Sa façon de tra-
duire et d'interpréter la nature est là pour en
témoigner.

Dans ces trois œuvres, produits de la maturité
de son talent, exécutées entre les dernières années
du règne de Charles IV et les premières de la
restauration de Ferdinand VII, alors que le pein-
tre avait dépassé quarante ans et n'en avait pas
encore atteint soixante-dix, clament et chantent à
l'envi les colorations les plus fraîches et les plus
joyeuses. Dans l'Assemblée des Cortès, où il a
pu, plus facilement que dans des portraits, se li-
vrer à son exubérante fantaisie , il nous montre,
transfigurée par la magie de son pinceau, une
page d'histoire du commencement de notre siècle.
Pour les deux portraits, nous avons déjà dit ce
qu'ils valent : ils sont dignes, de tout point, du
peintre auquel on doit les fameux portraits de la
Famille de Charles IV, au musée du Prado, et
des Majas, à l'Académie San Fernando, à Ma-
drid.

Paul Lafond.

fils du peintre, l'inscription placée sur la lettre
qu'il tient à la main devant faire écarter cette hy-
pothèse. Nous croyons reconnaître Manariz lui-
même dont nous parlions plus haut. N. D. L. R.
 
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