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LA CHRONIQUE DES ARTS
couverte d'hiéroglyphes. Un temple tout entier
était enseveli là : il ne s'agissait plus que de le
déblayer.
Malheureusement, les fonds mis à ma disposi-
tion étaient rares ; et, après avoir dégagé les
colonnades d'une cour, je dus continuer à me3
frais les travaux dans la salle hypostyle précé-
dant le sanctuaire, premier souscripteur à une
œuvre qui, s'il lui est donné d'aboutir, pourra
rendre de grands services à la reconstitution de
la période ancienne de cette région de l'Egypte.
Actuellement, les trois portiques d'une cour, me-
surant 90 mètres sur 50, et trois nefs de l'hypo-
style sont déblayés jusqu'au niveau du sol antique,
montrant leurs colonnes couvertes de bas-reliefs
et d'inscriptions. Le monument est tout entier du
règne de Ramsès II, ce qui nous reporte d'un
seul coup à plus de seize siècles en deçà de la
fondation hadrienne. Le plan est celui de tous les
temples égyptiens, avec cour à portiques, salle
hypostyle, sanctuaire et chambre du mystère. Au
toial, on peut estimer ses dimensions à 140 mè-
tres sur 50.
Quelques documents m'ont été fournis par cette
fouille hâtive et me permettent de répondre à
deux ou trois des questions que tout à l'heure
j'indiquais. Souvent même, cette réponse est
aussi singulière qu'imprévue. Qu'il me soit per-
mis d'indiquer ici, en attendant la publication
d'un travail scientifique, les résultats auxquels je
suis parvenu :
1° L'existence de la ville antique se trouve
démontrée par la présence d'un temple de Ram-
sès II, temple qui, sans nul doute, ne faisait que
succéder à un monument plus ancien ;
2° Alors que toute l'Egypte est unifiée dans le
culte de l'Ammon thébain,la ville ancêtre d'Anti-
noë est sous la protection de divinités locales et
les cultes du nord y sont en honneur: Horus, Hor-
Khouti, Toum, Khnoum, Thot, Phtah, Hathor,
Isis, Sékhet, Iousàas, Pkhl, y sont adorés, pour
celte raison, sans doute, que la région où s'élève
cette demeure divine est proche voisine de
Ghmounou, où la tradition plaçait la victoire
remportée par Horus et Thot sur Set. Toutefois,
Hor Khouti et la déesse Iousàas ont le pas sur
les autres dieux comme protecteurs du sanc-
tuaire ; et par une coïncidence bizarre, Iousàas,
déesse héliopolitaine, est qualifiée de « régente
d'Héliopolis » Henti-Nou-An ; titre qui éveille
de suite comme un écho antique du nom classique
d'Antinoë. Hadrien avait-il fixé l'emplacement de
la ville élevée à son favori dans le site où main-
tenant s'en dressent les ruines, pour trouver par
rébus une divinité égyptienne protectrice d'Anti-
nous ? C'est fort possible si l'on tient compte du
goût tout particulier de l'ÉgypSe antique pour
ces sortes de jeux de mots.
3» Le nom de cette ville de Ramsès se trouve
donné par les textes, mais le passage où je l'ai
relevé est dégradé ; en sorte que la lecture est
incertaine, mais d'autres leçons se trouvent cer-
tainement sur d'autres tableaux.
4° Enfin, ce temple était — je l'établirai
ailleurs — celui où fut célébré le culte institué
en l'honneur d'Antinous, celui où était proces-
sionnellement portée la barque dont parle saint
Êpiphane ; ce culte rendu était donc pharaonique,
d'où il s'ensuit que Antinous a été honoré selon
les préceptes du rite égyptien.
Tels sont les résultats des courtes recherches-
qu'il m'a été donné de faire à Antinoë. Une moi-
tié de l'hypostyle, le sanctuaire et les chambres
du mystère, encore ensevelis sous une montagne
de décombres, nous donneraient, sans nul doute,
des^ documents d'une haute importance. Pour
pousser jusqu'au bout l'étude de cette curieuse
période historique, le musée Guimetfait de grands
efforts. Malheureusement l'initiative privée, si
développée à l'étranger, fait défaut en France ; et
tandis qu'en Angleterre, en Amérique et en Allema-
gne, des Sociétés archéologiques se fondent et ex-
plorent, sur leurs propres ressources, les monu-
ments de tout le vieux monde, nous n'accordons à
ces tentatives aucune attention; alors que l'étranger
sait y trouver non seulement une source de richesse
scientifique et artistique, mais encore un puissant
instrument de propagande, au service de sa politi-
que, nous nous retranchons dans l'indifférence.
Pour l'Egypte, cette indifférence est, dans les circon-
stances actuelles, une véritable abdication, dont
nous pourrions prochainement supporter les con-
séquences. Un projet est mis en avant par la
presse anglaise, tendant à substituer au service
des antiquités égyptiennes actuellement en vigueur
une Compagnie fermière, qui aurait le monopole
des travaux. Ce cri d'alarme sera-t-il entendu?
Je n'ose l'espérer.
Les petits objets trouvés dans les déblais d'An-
tinoë seront, d'ici peu, exposés au musée Guimet,
Les.figurines égypto-grecques sont en majorité ;
le reste est fourni par des poteries, des masques
de plâtre ou de tene cuile et divers objets égyp-
tiens.
Al. Gayet.
« Les Ambassadeurs » d'Holbein
dans la National Gallery
On a placé récemment, dans la National
Gallery, un très intéressant document relatif
à la grande peinture d'Holbein connue sous
ce titre : « les Ambassadeurs ». Comme l'on
sait, quand ce chef-d'œuvre fut acquis pour
l'Etat, il y a quelques années, par le duc do
Nadnor, on émit des conjectures diverses sur
l'identité des personnages. Malgré les don-
nées nombreuses en apparence, la tradition
qui fait des deux hommes des ambassadeurs,
et la lumière suggérée par le tableau lui-
môme, avec ses instruments de musique et
d'astronomie qui encombrent la pièce, per-
sonne, cependant, ne put fixer d'une manière
satisfaisante le nom des personnages. Mais,
tout récemment, le document placé dans la
National Gallery a été découvert à Paris et
acquis par miss Hervey, dont les recherches
ont fixé une fois pour toutes l'identité des
ambassadeurs. Ce document est ainsi conçu :
« Remarques sur le sujet d'un tableau ex-
cellent des Srs. d'Inteville Polizy, et de George
de Selve. En ce tableau est représenté au
naturel Messire Jean de d'Intervilie, chevalier
sieur de Polizy près de Bar-sur-Seyne. Bailly
de Troyes, qui fut ambassadeur en Angleterre
pour ie Roy François premier ez années
LA CHRONIQUE DES ARTS
couverte d'hiéroglyphes. Un temple tout entier
était enseveli là : il ne s'agissait plus que de le
déblayer.
Malheureusement, les fonds mis à ma disposi-
tion étaient rares ; et, après avoir dégagé les
colonnades d'une cour, je dus continuer à me3
frais les travaux dans la salle hypostyle précé-
dant le sanctuaire, premier souscripteur à une
œuvre qui, s'il lui est donné d'aboutir, pourra
rendre de grands services à la reconstitution de
la période ancienne de cette région de l'Egypte.
Actuellement, les trois portiques d'une cour, me-
surant 90 mètres sur 50, et trois nefs de l'hypo-
style sont déblayés jusqu'au niveau du sol antique,
montrant leurs colonnes couvertes de bas-reliefs
et d'inscriptions. Le monument est tout entier du
règne de Ramsès II, ce qui nous reporte d'un
seul coup à plus de seize siècles en deçà de la
fondation hadrienne. Le plan est celui de tous les
temples égyptiens, avec cour à portiques, salle
hypostyle, sanctuaire et chambre du mystère. Au
toial, on peut estimer ses dimensions à 140 mè-
tres sur 50.
Quelques documents m'ont été fournis par cette
fouille hâtive et me permettent de répondre à
deux ou trois des questions que tout à l'heure
j'indiquais. Souvent même, cette réponse est
aussi singulière qu'imprévue. Qu'il me soit per-
mis d'indiquer ici, en attendant la publication
d'un travail scientifique, les résultats auxquels je
suis parvenu :
1° L'existence de la ville antique se trouve
démontrée par la présence d'un temple de Ram-
sès II, temple qui, sans nul doute, ne faisait que
succéder à un monument plus ancien ;
2° Alors que toute l'Egypte est unifiée dans le
culte de l'Ammon thébain,la ville ancêtre d'Anti-
noë est sous la protection de divinités locales et
les cultes du nord y sont en honneur: Horus, Hor-
Khouti, Toum, Khnoum, Thot, Phtah, Hathor,
Isis, Sékhet, Iousàas, Pkhl, y sont adorés, pour
celte raison, sans doute, que la région où s'élève
cette demeure divine est proche voisine de
Ghmounou, où la tradition plaçait la victoire
remportée par Horus et Thot sur Set. Toutefois,
Hor Khouti et la déesse Iousàas ont le pas sur
les autres dieux comme protecteurs du sanc-
tuaire ; et par une coïncidence bizarre, Iousàas,
déesse héliopolitaine, est qualifiée de « régente
d'Héliopolis » Henti-Nou-An ; titre qui éveille
de suite comme un écho antique du nom classique
d'Antinoë. Hadrien avait-il fixé l'emplacement de
la ville élevée à son favori dans le site où main-
tenant s'en dressent les ruines, pour trouver par
rébus une divinité égyptienne protectrice d'Anti-
nous ? C'est fort possible si l'on tient compte du
goût tout particulier de l'ÉgypSe antique pour
ces sortes de jeux de mots.
3» Le nom de cette ville de Ramsès se trouve
donné par les textes, mais le passage où je l'ai
relevé est dégradé ; en sorte que la lecture est
incertaine, mais d'autres leçons se trouvent cer-
tainement sur d'autres tableaux.
4° Enfin, ce temple était — je l'établirai
ailleurs — celui où fut célébré le culte institué
en l'honneur d'Antinous, celui où était proces-
sionnellement portée la barque dont parle saint
Êpiphane ; ce culte rendu était donc pharaonique,
d'où il s'ensuit que Antinous a été honoré selon
les préceptes du rite égyptien.
Tels sont les résultats des courtes recherches-
qu'il m'a été donné de faire à Antinoë. Une moi-
tié de l'hypostyle, le sanctuaire et les chambres
du mystère, encore ensevelis sous une montagne
de décombres, nous donneraient, sans nul doute,
des^ documents d'une haute importance. Pour
pousser jusqu'au bout l'étude de cette curieuse
période historique, le musée Guimetfait de grands
efforts. Malheureusement l'initiative privée, si
développée à l'étranger, fait défaut en France ; et
tandis qu'en Angleterre, en Amérique et en Allema-
gne, des Sociétés archéologiques se fondent et ex-
plorent, sur leurs propres ressources, les monu-
ments de tout le vieux monde, nous n'accordons à
ces tentatives aucune attention; alors que l'étranger
sait y trouver non seulement une source de richesse
scientifique et artistique, mais encore un puissant
instrument de propagande, au service de sa politi-
que, nous nous retranchons dans l'indifférence.
Pour l'Egypte, cette indifférence est, dans les circon-
stances actuelles, une véritable abdication, dont
nous pourrions prochainement supporter les con-
séquences. Un projet est mis en avant par la
presse anglaise, tendant à substituer au service
des antiquités égyptiennes actuellement en vigueur
une Compagnie fermière, qui aurait le monopole
des travaux. Ce cri d'alarme sera-t-il entendu?
Je n'ose l'espérer.
Les petits objets trouvés dans les déblais d'An-
tinoë seront, d'ici peu, exposés au musée Guimet,
Les.figurines égypto-grecques sont en majorité ;
le reste est fourni par des poteries, des masques
de plâtre ou de tene cuile et divers objets égyp-
tiens.
Al. Gayet.
« Les Ambassadeurs » d'Holbein
dans la National Gallery
On a placé récemment, dans la National
Gallery, un très intéressant document relatif
à la grande peinture d'Holbein connue sous
ce titre : « les Ambassadeurs ». Comme l'on
sait, quand ce chef-d'œuvre fut acquis pour
l'Etat, il y a quelques années, par le duc do
Nadnor, on émit des conjectures diverses sur
l'identité des personnages. Malgré les don-
nées nombreuses en apparence, la tradition
qui fait des deux hommes des ambassadeurs,
et la lumière suggérée par le tableau lui-
môme, avec ses instruments de musique et
d'astronomie qui encombrent la pièce, per-
sonne, cependant, ne put fixer d'une manière
satisfaisante le nom des personnages. Mais,
tout récemment, le document placé dans la
National Gallery a été découvert à Paris et
acquis par miss Hervey, dont les recherches
ont fixé une fois pour toutes l'identité des
ambassadeurs. Ce document est ainsi conçu :
« Remarques sur le sujet d'un tableau ex-
cellent des Srs. d'Inteville Polizy, et de George
de Selve. En ce tableau est représenté au
naturel Messire Jean de d'Intervilie, chevalier
sieur de Polizy près de Bar-sur-Seyne. Bailly
de Troyes, qui fut ambassadeur en Angleterre
pour ie Roy François premier ez années