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LA CORONIQUE DES ARTS
créé des asiles, des chaufïoirs, où ils seraient cer-
tainement plus à l’aise, se donnent rendez-vous au
Louvre. Ils y sont chez eux et, au lendemain d'un
mauvais coup, quelques-uns y trouvent un abri
sûr pour échapper aux recherches de la police.
Malheur aux dames qui, après avoir longtemps at-
tendu une place vacante sur ces sièges très dispu-
tés, osent s’y asseoir. Les conversations qu’elles
peuvent entendre sont à l’avenant des parfums
qu’elles respirent. Les quolibets qu’échangent ces
oisifs ne brillent point par la décence ; plus d’une
fois j’ai pu m’en convaincre. Plus d’une fois aussi
j’ai vu les gardiens, impuissants à faire respecter
leur consigne, s’éloigner par crainte d’un scandale
ou d’une rixe où ils pourraient avoir le dessous.
Nulle part en Europe — j’en connais tous les
musées — pareil désordre n’est toléré. Une mise
décente est exigée pour y entrer et une tenue irré-
prochable pour y rester. Les concierges de toutes
les grandes collections publiques sont munis à
cet effet de pouvoirs discrétionnaires et leurs déci-
sions sont sans appel. Chez nous les habitudes
sont prises maintenant. Pourrait-on espérer que
des abus aussi criants seraient réprimés, grâce à
des instructions sévères auxquelles l’Administra-
tion prêterait la main? La présence temporaire de
quelques agents de police permettrait-elle de re-
médier à une telle situation? Je voudrais l’espérer.
Mais il est certain qu’une rétribution, fût-elle
minime, éloignerait de nos musées ces singuliers
pensionnaires qui ne viennent évidemment pas
chercher au Louvre des satisfactions esthétiques.
Il est bien entendu que des cartes d’entrée gratuite
seraient très largement délivrées à tous les élèves
de nos écoles, à tous les chefs d’atelier, pour être
mises par eux à la disposition des travailleurs
sérieux. On exige bien des cartes pour l’accès de
nos bibliothèques !
En tout cas, il importe de rendre le Louvre à
ceux qui viennent y chercher une distraction élevée
ou un enseignement. Ceux-là seuls méritent l’in-
térêt : c’est un droit que nous réclamons pour
eux. C’est pour eux que sont faits les musées et
non pour les vagabonds, pour les gens sans aveu,
en faveur desquels les habitudes existantes cons-
tituent une sorte de privilège à rebours. Leur
présence et leurs allures ne sauraient être tolérées
et il y a là un véritable abus auquel depuis long-
temps on aurait dû mettre fin.
Agréez, Monsieur le Directeur, etc.
Un habitué du Louvre. »
PETITES EXPOSITIONS
7e SALON DE L’ASSOCIATION SYNDICALE
PROFESSIONNELLE
DE PEINTRES ET DE SCULPTEURS FRANÇAIS
(Grand Palais)
Installée presque à la même heure dans une aile
symétrique du Grand Palais et occupant, avec 951
ouvrages, une superficie à peu près égale, cette
exposition ressemble beaucoup au Salon de l’École
française. Ici comme là, c’est un article du règle-
ment qui constitue la principale, la seule origina-
lité. Ces deux Sociétés se signalent par un commun
ostracisme prononcé contre les étrangers. Celle
T qui vient d’ouvrir ses portes, et qui est, à propre-
ment parler, un syndicat, exige, de plus, que ses
membres prouvent leur qualité de professionnels.
Comment, par quels moyens les impétrants sont-
ils admis à fournir cette preuve, c’est ce qu’il n’est
pas très facile d’imaginer quand on a vu les œuvres
exposées. S’ils eurent, comme il se pourrait, le
dessein d’insinuer en nous la conviction que la
présence des amateurs est pour d’autres Salons
une cause prépondérante de médiocrité, on
avouera que la manifestation est loin d’être décisive.
D’ailleurs qu’est-ce qu’un amateur? On s’accorde
plus volontiers à le maudire qu’à le définir. Faut-il
infliger ce nom, pour ne pas citer de peintres, aux
diplomates François-René de Chateaubriand et
Alphonse de Lamartine, ou, de nos jours, au
marin Julien Yiaud ? D’ailleurs, s’il n’est plus
question d’art, on n’a qu’à s’incliner devant l’uti-
lité sociale et philanthropique du syndicat. Il sied
donc de savoir gré à M. Ferricr, à M. Comerre, de
prêter à cette œuvre l’appui de leur nom. Autour
d’eux, YOrphée de M. Marcel Béronneau célèbre,
un peu trop littéralement, le culte de Gustave Mo-
reau, tandis que les paysages de M. Cachoud se
réclament de modèles non moins chers : Corot,
Ravier. Les pastels de M. Nozal, préférables à ses
peintures, les études picardes de M. Bertram, les
toiles de MM. Dagnac-Rivière, Enders, Cariot,
Bourgeois, Marché, Van Hollebeke, les gouaches
de M. Meunié, représentent, avec des qualités
diverses, le paj^sage; M. Jarnet est un intimiste,
M. Marcel Clément un humoriste. Les fleurs ou
les fruits sont traités avec une sage et classique
virtuosité par Mm* Euphémie Muraton, avec un
goût plus coloriste ou un sentiment plus moderne
par MM. Victor Lecomte, Lejouteux et Mey.
7e EXPOSITION
DE LA SOCIÉTÉ « LES ARTS RÉUNIS »
(Galerie Georges Petit)
Des affinités suffisantes pour créer un ensemble
harmonieux, des dissemblances autant qu’il en faut
pour éviter la monotonie, assurent à ce petit Salon
une tenue discrète et distinguée. Deux Prix de
Rome émancipés tiennent, à la peinture comme à
la sculpture, les premiers rôles : M. Devambez et
M. Ségoffin. A côté de fantaisies dont l’humour,
même lorsqu’il voisine trop avec les aigres tableau-
tins de M. Jean Veber, est toujours relevé par
l’originalité de la composition, du point de pers-
pective et de la mise en toile, nous voyons avec
2ilaisir des études pour l’excellent tableau du der-
nier Salon : l'Appel des fédérés sous la Commune.
Des souvenirs de la Villa Médicis, qui nous
rendent avec une heureuse simplicité d’effet
les arbres du « bosco » et les terrasses des déli-
cieux jardins, sont la note inattendue et charmante
de cette exposition. M. Ségoffin appartient à cette
élite de jeunes sculpteurs qui, après avoir reçu cle
l’École tout ce qui peut s’enseigner, apprirent, dans
l’œuvre de M. Rodin, à aimer et à regarder la vie.
La recherche du caractère et la fermeté de l'accent
donnent une valeur singulière et une sorte de no-
blesse aux portraits d’hommes et de femmes qu’il
expose ici ; et l’on goûte la souplesse d’un talent
qui s’éprend avec une pareille sincérité du vieil
artiste au masque raviné, à la barbiche roman-
tique, et du prince d’Asie dont le visage rond
s’éclaire d’un sourire animal. Les jolis bustes
d’enfants de M. Blondat, les petits groupes de
LA CORONIQUE DES ARTS
créé des asiles, des chaufïoirs, où ils seraient cer-
tainement plus à l’aise, se donnent rendez-vous au
Louvre. Ils y sont chez eux et, au lendemain d'un
mauvais coup, quelques-uns y trouvent un abri
sûr pour échapper aux recherches de la police.
Malheur aux dames qui, après avoir longtemps at-
tendu une place vacante sur ces sièges très dispu-
tés, osent s’y asseoir. Les conversations qu’elles
peuvent entendre sont à l’avenant des parfums
qu’elles respirent. Les quolibets qu’échangent ces
oisifs ne brillent point par la décence ; plus d’une
fois j’ai pu m’en convaincre. Plus d’une fois aussi
j’ai vu les gardiens, impuissants à faire respecter
leur consigne, s’éloigner par crainte d’un scandale
ou d’une rixe où ils pourraient avoir le dessous.
Nulle part en Europe — j’en connais tous les
musées — pareil désordre n’est toléré. Une mise
décente est exigée pour y entrer et une tenue irré-
prochable pour y rester. Les concierges de toutes
les grandes collections publiques sont munis à
cet effet de pouvoirs discrétionnaires et leurs déci-
sions sont sans appel. Chez nous les habitudes
sont prises maintenant. Pourrait-on espérer que
des abus aussi criants seraient réprimés, grâce à
des instructions sévères auxquelles l’Administra-
tion prêterait la main? La présence temporaire de
quelques agents de police permettrait-elle de re-
médier à une telle situation? Je voudrais l’espérer.
Mais il est certain qu’une rétribution, fût-elle
minime, éloignerait de nos musées ces singuliers
pensionnaires qui ne viennent évidemment pas
chercher au Louvre des satisfactions esthétiques.
Il est bien entendu que des cartes d’entrée gratuite
seraient très largement délivrées à tous les élèves
de nos écoles, à tous les chefs d’atelier, pour être
mises par eux à la disposition des travailleurs
sérieux. On exige bien des cartes pour l’accès de
nos bibliothèques !
En tout cas, il importe de rendre le Louvre à
ceux qui viennent y chercher une distraction élevée
ou un enseignement. Ceux-là seuls méritent l’in-
térêt : c’est un droit que nous réclamons pour
eux. C’est pour eux que sont faits les musées et
non pour les vagabonds, pour les gens sans aveu,
en faveur desquels les habitudes existantes cons-
tituent une sorte de privilège à rebours. Leur
présence et leurs allures ne sauraient être tolérées
et il y a là un véritable abus auquel depuis long-
temps on aurait dû mettre fin.
Agréez, Monsieur le Directeur, etc.
Un habitué du Louvre. »
PETITES EXPOSITIONS
7e SALON DE L’ASSOCIATION SYNDICALE
PROFESSIONNELLE
DE PEINTRES ET DE SCULPTEURS FRANÇAIS
(Grand Palais)
Installée presque à la même heure dans une aile
symétrique du Grand Palais et occupant, avec 951
ouvrages, une superficie à peu près égale, cette
exposition ressemble beaucoup au Salon de l’École
française. Ici comme là, c’est un article du règle-
ment qui constitue la principale, la seule origina-
lité. Ces deux Sociétés se signalent par un commun
ostracisme prononcé contre les étrangers. Celle
T qui vient d’ouvrir ses portes, et qui est, à propre-
ment parler, un syndicat, exige, de plus, que ses
membres prouvent leur qualité de professionnels.
Comment, par quels moyens les impétrants sont-
ils admis à fournir cette preuve, c’est ce qu’il n’est
pas très facile d’imaginer quand on a vu les œuvres
exposées. S’ils eurent, comme il se pourrait, le
dessein d’insinuer en nous la conviction que la
présence des amateurs est pour d’autres Salons
une cause prépondérante de médiocrité, on
avouera que la manifestation est loin d’être décisive.
D’ailleurs qu’est-ce qu’un amateur? On s’accorde
plus volontiers à le maudire qu’à le définir. Faut-il
infliger ce nom, pour ne pas citer de peintres, aux
diplomates François-René de Chateaubriand et
Alphonse de Lamartine, ou, de nos jours, au
marin Julien Yiaud ? D’ailleurs, s’il n’est plus
question d’art, on n’a qu’à s’incliner devant l’uti-
lité sociale et philanthropique du syndicat. Il sied
donc de savoir gré à M. Ferricr, à M. Comerre, de
prêter à cette œuvre l’appui de leur nom. Autour
d’eux, YOrphée de M. Marcel Béronneau célèbre,
un peu trop littéralement, le culte de Gustave Mo-
reau, tandis que les paysages de M. Cachoud se
réclament de modèles non moins chers : Corot,
Ravier. Les pastels de M. Nozal, préférables à ses
peintures, les études picardes de M. Bertram, les
toiles de MM. Dagnac-Rivière, Enders, Cariot,
Bourgeois, Marché, Van Hollebeke, les gouaches
de M. Meunié, représentent, avec des qualités
diverses, le paj^sage; M. Jarnet est un intimiste,
M. Marcel Clément un humoriste. Les fleurs ou
les fruits sont traités avec une sage et classique
virtuosité par Mm* Euphémie Muraton, avec un
goût plus coloriste ou un sentiment plus moderne
par MM. Victor Lecomte, Lejouteux et Mey.
7e EXPOSITION
DE LA SOCIÉTÉ « LES ARTS RÉUNIS »
(Galerie Georges Petit)
Des affinités suffisantes pour créer un ensemble
harmonieux, des dissemblances autant qu’il en faut
pour éviter la monotonie, assurent à ce petit Salon
une tenue discrète et distinguée. Deux Prix de
Rome émancipés tiennent, à la peinture comme à
la sculpture, les premiers rôles : M. Devambez et
M. Ségoffin. A côté de fantaisies dont l’humour,
même lorsqu’il voisine trop avec les aigres tableau-
tins de M. Jean Veber, est toujours relevé par
l’originalité de la composition, du point de pers-
pective et de la mise en toile, nous voyons avec
2ilaisir des études pour l’excellent tableau du der-
nier Salon : l'Appel des fédérés sous la Commune.
Des souvenirs de la Villa Médicis, qui nous
rendent avec une heureuse simplicité d’effet
les arbres du « bosco » et les terrasses des déli-
cieux jardins, sont la note inattendue et charmante
de cette exposition. M. Ségoffin appartient à cette
élite de jeunes sculpteurs qui, après avoir reçu cle
l’École tout ce qui peut s’enseigner, apprirent, dans
l’œuvre de M. Rodin, à aimer et à regarder la vie.
La recherche du caractère et la fermeté de l'accent
donnent une valeur singulière et une sorte de no-
blesse aux portraits d’hommes et de femmes qu’il
expose ici ; et l’on goûte la souplesse d’un talent
qui s’éprend avec une pareille sincérité du vieil
artiste au masque raviné, à la barbiche roman-
tique, et du prince d’Asie dont le visage rond
s’éclaire d’un sourire animal. Les jolis bustes
d’enfants de M. Blondat, les petits groupes de