ET DE LA CURIOSITE
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offre, au premier regard, d'un peu déconcertant. Je
n’ignore point que l’altération de la couleur est
pour quelque chose dans cette impression ; le
temps et des vernis trop épais ont terni la limpidité
du ciel, foncé le ton des feuillages verts, éteint
l’éclat de l'herbe et des fleurs... »
Ce passage nous avait d'autant plus intéressé
que, depuis un quart de siècle, nous avons maintes
fois signalé l’illusion qui consiste à croire que les
tableaux des musées sont tels que les artistes les
ont peints. Malheureusement, l’auteur dit un peu
plus loin (p. 96) : « Il y a quelque chose d’étrange
dans le coloris verdâtre que le maître a répandu
sur le groupe de Zéphyre et de Flore ».
Le « coloris verdâtre » dont l’auteur se plaint, ce
sont les lois de la chimie qui en sont coupables.
Botticelli a cherché dans cet ouvrage une couleur
fraîche, vive et douce, une harmonie claire et
blonde qui enveloppait a les mille couleurs variées
des fleurs nouvelles que produit la terre en travail,
le royaume où se réjouissent les Grâces — où la
Beauté pare de fleurs ses cheveux — où, amoureu-
sement, derrière Flore — Zéphyre vole, faisant, à
son souffle, fleurir l’herbe verdoyante». Voilà ce
qu’il faut, selon nous, chercher à démêler dans cette
composition assombrie par le temps.
Mais l’illusion a été plus complète pour M. Diehl
à propos de la Naissance cle Vénus. L’auteur
ayant vu dans l’œuvre actuelle « un ciel froid et
pâle, une mer sombre », en a conclu que l’œuvre
primitive devait être ainsi et que, « malgré les
roses qui pleuvent autour de la déesse, malgré les
rehauts d’or qui décorent sa conque marine, ce
n'est point dans une allégresse triomphante de
la nature que Vénus se révèle au monde. »
Pourtant, l’auteur cite les vers qui, ont évidem-
ment inspiré Botticelli et où Politien dit en propres
termes : « Et le ciel en paraît tout joyeux. » L’ar-
tiste aurait changé ces joies en tristesse? il aurait fait
pleurer autour de Vénus naissante un ciel crépus-
culaire et des roses brunes? Non. Botticelli, comme
tous les peintres de la Renaissance, a cherché,
dans tous ses tableaux, l’harmonie d’un bouquet
de fleurs dans la gamine claire. Voilà la vérité, à
notre avis.
Mais alors que devient la mélancolie de Botticelli?
Faut-il la nier, la considérer comme une autre
illusion ? Nullement. Botticelli fut, dès le premier
jour, une nature mélancolique ; il a imprimé au
visages de toutes ses figures un reflet de son âme
inquiète. Ici, nous sommes d'accord avec M. Diehl,
sans aller jusqu’à croire que l’artiste ait « cherché »
un contraste entre la rêverie mélancolique, parfois
douloureuse, de ses Vierges et le « magnifique
appareil de gloire » dont il les entoure.
Les visages mélancoliques l’attiraient : il les
mettait partout, même sur le corps de ses Vénus
et de ses Grâces : c’est tout naturel. Par cette ten-
dance si marquée, il a été un précurseur ; nous
ne voulons nullement lui marchander cette gloire.
Nous avons seulement essayé, en admirant son
œuvre, de rendre à la chimie ce qui est à la chi-
mie et à Botticelli ce qui est à Botticelli.
Encore une critique, ou, plutôt, l’expression d’un
regret. L’auteur a cité, au début de son livre, « la
belle Vierge du Louvre », et il fait remarquer
qu’elle est d’un « art trop pleinement formé pour être
le fait d’un jeune homme cherchant sa voie ». C’est
beaucoup. Nous aurions voulu bien davantage. A
notre avis, la Vierge du Louvre est le chef-d’œuvre
des Vierges de Botticelli. Jamais le grand artiste
n’a exprimé avec autant de profondeur la pitié
mélancolique de la Mère qui pressent la fin doulou-
reuse de son Fils ; nulle part il n’a mis une harmo-
nie aussi pr<Bonde. Le temps, les forces chimiques,
les vernis ont collaboré avec le peintre; mais, par
une exception rare, ils n’ont agi que pour la
rendre plus parfaite. Le grand artiste, s’il revenait
en face de cette œuvre exquise, dirait : « Ce n’est
pas ma Vierge, c’en est une merveilleuse copie,
faite par un plus grand que moi... » Et, détrompé,
s’il lisait ce livre, il s’étonnerait de voir cette mer-
veille y tenir si peu de place. Tel est, du moins,
notre avis ; nous le soumettons à l’auteur d’un
livre remarquable, très digne du maître dont il
commente savamment et finement l’œuvre et la
vie.
E. Durand-Gréville.
Attilio Rossi. — Santa Maria in Vulturella.
Roma, Bretschneider et Regenberg, 1905. Un vol.
in-8°, 98 p. av. 16 pi.
L’étude si documentée et si consciencieusement
approfondie que M. Rossi consacre à la petite
église de Santa Maria in Vulturella, près de Ti-
voli, offre un des exemples fréquents de l’intluence
exercée par la France sur l’architecture italienne
au xiii° siècle. La construction ogivale a une oii-
ginc française, ainsi qu’on l’a établie scientifique-
ment, et l’église Santa Maria, dans son austère
simplicité, évoque le souvenir des abbayes cister-
ciennes. Les moines de Cîteaux se sont répandus
dans l’Italie du nord et du centre, et l’on sent
qu’ils ont initié ce pays à l’art bourguignon.
L’aspect de l’église de Santa Maria in Vulturella,
soit qu’on regarde sa façade, soit qu’on examine
sa nef, a bien un caractère monacal.
Le seul luxe permis à cet édifice nu et triste
consiste dans des objets d’art religieux, dont quel-
ques-uns sont fort curieux. Il y a notamment une
statue de la Vierge, assise sur un trône et regar-
dant l’Enfant Jésus, que l’auteur rapproche d’une
autre statue de l’église Sainte-Marie-Majeure d’Ala-
tri. La sculpture bourguignonne offre aussi des
exemplaires analogues qu’il serait peut-être utile
de comparer.
Il faut citer aussi, parmi les rares trésors de
l’église Santa Maria, deux bas-reliefs en bois
sculpté, un reliquaire en or du xme ou xiv8 siècle,
représentant les Apôlres et les Prophètes, une
grande croix destinée aux processions et décorée
au milieu de l’Agneau mystique, et, enfin, de très
belles lampes arabes. M. Rossi a essayé de subs-
tituer aux légendes relatives à l’église Santa Maria
une monographie historique, après Kircher, Piazza
et Gori, et il a réussi à donner une notice des plus
intéressantes, telle qu’on en souhaiterait pour
beaucoup d’églises de France.
André Florence.
NECROLOGIE
Le peintre de paysage Léon Richet est mort à
Paris le 26 mars, à l’âge de soixante-trois ans.
Ne à Solesmes (Nord), Richet avait reçu à Paris
les leçons de Jules Lefebvre et de Gustave Bou-
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offre, au premier regard, d'un peu déconcertant. Je
n’ignore point que l’altération de la couleur est
pour quelque chose dans cette impression ; le
temps et des vernis trop épais ont terni la limpidité
du ciel, foncé le ton des feuillages verts, éteint
l’éclat de l'herbe et des fleurs... »
Ce passage nous avait d'autant plus intéressé
que, depuis un quart de siècle, nous avons maintes
fois signalé l’illusion qui consiste à croire que les
tableaux des musées sont tels que les artistes les
ont peints. Malheureusement, l’auteur dit un peu
plus loin (p. 96) : « Il y a quelque chose d’étrange
dans le coloris verdâtre que le maître a répandu
sur le groupe de Zéphyre et de Flore ».
Le « coloris verdâtre » dont l’auteur se plaint, ce
sont les lois de la chimie qui en sont coupables.
Botticelli a cherché dans cet ouvrage une couleur
fraîche, vive et douce, une harmonie claire et
blonde qui enveloppait a les mille couleurs variées
des fleurs nouvelles que produit la terre en travail,
le royaume où se réjouissent les Grâces — où la
Beauté pare de fleurs ses cheveux — où, amoureu-
sement, derrière Flore — Zéphyre vole, faisant, à
son souffle, fleurir l’herbe verdoyante». Voilà ce
qu’il faut, selon nous, chercher à démêler dans cette
composition assombrie par le temps.
Mais l’illusion a été plus complète pour M. Diehl
à propos de la Naissance cle Vénus. L’auteur
ayant vu dans l’œuvre actuelle « un ciel froid et
pâle, une mer sombre », en a conclu que l’œuvre
primitive devait être ainsi et que, « malgré les
roses qui pleuvent autour de la déesse, malgré les
rehauts d’or qui décorent sa conque marine, ce
n'est point dans une allégresse triomphante de
la nature que Vénus se révèle au monde. »
Pourtant, l’auteur cite les vers qui, ont évidem-
ment inspiré Botticelli et où Politien dit en propres
termes : « Et le ciel en paraît tout joyeux. » L’ar-
tiste aurait changé ces joies en tristesse? il aurait fait
pleurer autour de Vénus naissante un ciel crépus-
culaire et des roses brunes? Non. Botticelli, comme
tous les peintres de la Renaissance, a cherché,
dans tous ses tableaux, l’harmonie d’un bouquet
de fleurs dans la gamine claire. Voilà la vérité, à
notre avis.
Mais alors que devient la mélancolie de Botticelli?
Faut-il la nier, la considérer comme une autre
illusion ? Nullement. Botticelli fut, dès le premier
jour, une nature mélancolique ; il a imprimé au
visages de toutes ses figures un reflet de son âme
inquiète. Ici, nous sommes d'accord avec M. Diehl,
sans aller jusqu’à croire que l’artiste ait « cherché »
un contraste entre la rêverie mélancolique, parfois
douloureuse, de ses Vierges et le « magnifique
appareil de gloire » dont il les entoure.
Les visages mélancoliques l’attiraient : il les
mettait partout, même sur le corps de ses Vénus
et de ses Grâces : c’est tout naturel. Par cette ten-
dance si marquée, il a été un précurseur ; nous
ne voulons nullement lui marchander cette gloire.
Nous avons seulement essayé, en admirant son
œuvre, de rendre à la chimie ce qui est à la chi-
mie et à Botticelli ce qui est à Botticelli.
Encore une critique, ou, plutôt, l’expression d’un
regret. L’auteur a cité, au début de son livre, « la
belle Vierge du Louvre », et il fait remarquer
qu’elle est d’un « art trop pleinement formé pour être
le fait d’un jeune homme cherchant sa voie ». C’est
beaucoup. Nous aurions voulu bien davantage. A
notre avis, la Vierge du Louvre est le chef-d’œuvre
des Vierges de Botticelli. Jamais le grand artiste
n’a exprimé avec autant de profondeur la pitié
mélancolique de la Mère qui pressent la fin doulou-
reuse de son Fils ; nulle part il n’a mis une harmo-
nie aussi pr<Bonde. Le temps, les forces chimiques,
les vernis ont collaboré avec le peintre; mais, par
une exception rare, ils n’ont agi que pour la
rendre plus parfaite. Le grand artiste, s’il revenait
en face de cette œuvre exquise, dirait : « Ce n’est
pas ma Vierge, c’en est une merveilleuse copie,
faite par un plus grand que moi... » Et, détrompé,
s’il lisait ce livre, il s’étonnerait de voir cette mer-
veille y tenir si peu de place. Tel est, du moins,
notre avis ; nous le soumettons à l’auteur d’un
livre remarquable, très digne du maître dont il
commente savamment et finement l’œuvre et la
vie.
E. Durand-Gréville.
Attilio Rossi. — Santa Maria in Vulturella.
Roma, Bretschneider et Regenberg, 1905. Un vol.
in-8°, 98 p. av. 16 pi.
L’étude si documentée et si consciencieusement
approfondie que M. Rossi consacre à la petite
église de Santa Maria in Vulturella, près de Ti-
voli, offre un des exemples fréquents de l’intluence
exercée par la France sur l’architecture italienne
au xiii° siècle. La construction ogivale a une oii-
ginc française, ainsi qu’on l’a établie scientifique-
ment, et l’église Santa Maria, dans son austère
simplicité, évoque le souvenir des abbayes cister-
ciennes. Les moines de Cîteaux se sont répandus
dans l’Italie du nord et du centre, et l’on sent
qu’ils ont initié ce pays à l’art bourguignon.
L’aspect de l’église de Santa Maria in Vulturella,
soit qu’on regarde sa façade, soit qu’on examine
sa nef, a bien un caractère monacal.
Le seul luxe permis à cet édifice nu et triste
consiste dans des objets d’art religieux, dont quel-
ques-uns sont fort curieux. Il y a notamment une
statue de la Vierge, assise sur un trône et regar-
dant l’Enfant Jésus, que l’auteur rapproche d’une
autre statue de l’église Sainte-Marie-Majeure d’Ala-
tri. La sculpture bourguignonne offre aussi des
exemplaires analogues qu’il serait peut-être utile
de comparer.
Il faut citer aussi, parmi les rares trésors de
l’église Santa Maria, deux bas-reliefs en bois
sculpté, un reliquaire en or du xme ou xiv8 siècle,
représentant les Apôlres et les Prophètes, une
grande croix destinée aux processions et décorée
au milieu de l’Agneau mystique, et, enfin, de très
belles lampes arabes. M. Rossi a essayé de subs-
tituer aux légendes relatives à l’église Santa Maria
une monographie historique, après Kircher, Piazza
et Gori, et il a réussi à donner une notice des plus
intéressantes, telle qu’on en souhaiterait pour
beaucoup d’églises de France.
André Florence.
NECROLOGIE
Le peintre de paysage Léon Richet est mort à
Paris le 26 mars, à l’âge de soixante-trois ans.
Ne à Solesmes (Nord), Richet avait reçu à Paris
les leçons de Jules Lefebvre et de Gustave Bou-