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que la force sociale n'avait pas encore déserté. Quand fléchit
cette énergie morale, quand l'individu songe aux intérêts de
sa bourse plus qu'aux intérêts de sa foi, les harmonies de
Vélasquez rassemblent, autour d'un visage d'enfant, ce qui
erre de plus secret dans l'espace espagnol où l'argent des
mirages et les roses des crépuscules mettent des tremble-
ments de fleurs. Ailleurs, l'orchestre géant de Rubens orga-
nise dans son tumulte, avec le sang et la graisse des Flandres,
les arbres et les eaux tordus dans son brouillard illuminé.
Ailleurs encore on voit Rembrandt écraser sur sa toile l'or
des haillons et le feu des tropiques pour caresser le front
d'un pauvre ou éclairer un berceau (i).
Ce n'est donc ni dans la Renaissance, ni dans la Réforme,
ni dans la Révolution sans doute destinée à désagréger défi-
nitivement la société médiévale et à livrer à tous les hommes
les moyens de se séparer les uns des autres pour libérer les
éléments du corps social en refonte, que réside, à mon sens,
le grand événement du monde européen moderne. C'est dans
cette apparition d'un nouvel esprit symphonique ébauché
par les Vénitiens, introduit par Rubens, par Rembrandt,
par Vélasquez dans la sensualité de l'Europe, par Spinoza
et Leibnitz dans sa pensée, par Newton et Lamarck dans sa
science, par la musique allemande dans son sentiment. L'in-
dividu, réalisé par les grands peintres du xviie siècle, allait,
en se heurtant au pessimisme, chercher au delà de lui cet
anéantissement panthéistique qui n'est qu'un premier pas
vers une fusion nouvelle des éléments éparpillés dans le
grand moule commun. La symphonie plastique aboutissant
à rencontrer partout l'espace, à ne plus pouvoir en sortir, à
se mouvoir dans sa sphère immense, mais limitée par la vue,
dont les échos entrecroisés finissent par revêtir un accent
creux et monotone, va s'orienter vers la musique qui peut
construire un monde imaginaire libéré de tout objet et
capable d'entraîner les cœurs, au delà du monde visible,
dans le domaine infini de l'illusion organisatrice se donnant
à elle-même un spectacle de volonté victorieuse du néant.
(i) Fig. 23 et 24. Art Moderne, pp. 48 et 53.

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