monde viendra chercher son ferment. On peut saisir à cet
instant-là, chez cet homme-là, dans cette œuvre-là, où la
grande ligne sinueuse d'enthousiasme et de savoir fait passer
l'âme du dieu mort dans les femmes à genoux qui tiennent
ses membres rompus, le point précis où le passé groupé
autour d'une foi commune et l'avenir épars à la recherche
des faits se contemplent, sans se voir, je pense, dans la can-
dide intelligence d'un héros. A partir du jour où il commence
de poursuivre la marche et les détours de sa conscience
linéaire à travers les passions et les douleurs présentes que
la forme humaine symbolise, toujours présente elle aussi, et
vivante, sur ses chemins ensanglantés, l'arabesque devient
le plus puissant levier de l'organisation plastique de l'esprit
occidental. On assistera, trois siècles plus tard, sur un terrain
labouré par Raphaël et ensemencé par Venise, à une ren-
contre décisive, pour l'Occident, entre le Nord et le Sud. Le
géant Rubens (i) réussira à entasser un amas prodigieux de
matière et de forces vives dans la ligne mélodique qui oriente
l'esprit même des passions. Contraste encore ici, entre la
grossièreté des instincts du monde germanique animé par un
panthéisme diffus et la netteté tranchante de l'intelligence
latine qui, abandonnée à elle-même, ignorerait cette marée
vivante, mais peut seule fournir le moyen de la soulever.
Ce qui frappe d'abord, quand on se tourne vers Giotto
pour suivre, à partir de lui, le développement de la ligne
aristocratique qui va pénétrer le Nord à mesure que la frag-
mentation individualiste dissoudra, dans les démocraties
cherchant à naître, l'unité religieuse du moyen âge, c'est donc
l'organisation progressive d'une unité de la conscience intel-
lectuelle destinée à la remplacer. Contraste non plus italien,
mais européen déjà, entre une élite sans cesse dispersée et
une masse amorphe qui tend à se dissoudre, depuis que la
mystique s'avoue impuissante à la cimenter. Nulle part,
dans le moyen âge occidental, sauf précisément quand paraît
Giotto pour clore ce moyen âge et inaugurer, du même coup,
la recherche personnelle, nulle part on ne connaît cette façon
(i) Fig. 49.
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instant-là, chez cet homme-là, dans cette œuvre-là, où la
grande ligne sinueuse d'enthousiasme et de savoir fait passer
l'âme du dieu mort dans les femmes à genoux qui tiennent
ses membres rompus, le point précis où le passé groupé
autour d'une foi commune et l'avenir épars à la recherche
des faits se contemplent, sans se voir, je pense, dans la can-
dide intelligence d'un héros. A partir du jour où il commence
de poursuivre la marche et les détours de sa conscience
linéaire à travers les passions et les douleurs présentes que
la forme humaine symbolise, toujours présente elle aussi, et
vivante, sur ses chemins ensanglantés, l'arabesque devient
le plus puissant levier de l'organisation plastique de l'esprit
occidental. On assistera, trois siècles plus tard, sur un terrain
labouré par Raphaël et ensemencé par Venise, à une ren-
contre décisive, pour l'Occident, entre le Nord et le Sud. Le
géant Rubens (i) réussira à entasser un amas prodigieux de
matière et de forces vives dans la ligne mélodique qui oriente
l'esprit même des passions. Contraste encore ici, entre la
grossièreté des instincts du monde germanique animé par un
panthéisme diffus et la netteté tranchante de l'intelligence
latine qui, abandonnée à elle-même, ignorerait cette marée
vivante, mais peut seule fournir le moyen de la soulever.
Ce qui frappe d'abord, quand on se tourne vers Giotto
pour suivre, à partir de lui, le développement de la ligne
aristocratique qui va pénétrer le Nord à mesure que la frag-
mentation individualiste dissoudra, dans les démocraties
cherchant à naître, l'unité religieuse du moyen âge, c'est donc
l'organisation progressive d'une unité de la conscience intel-
lectuelle destinée à la remplacer. Contraste non plus italien,
mais européen déjà, entre une élite sans cesse dispersée et
une masse amorphe qui tend à se dissoudre, depuis que la
mystique s'avoue impuissante à la cimenter. Nulle part,
dans le moyen âge occidental, sauf précisément quand paraît
Giotto pour clore ce moyen âge et inaugurer, du même coup,
la recherche personnelle, nulle part on ne connaît cette façon
(i) Fig. 49.
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