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Faure, Élie
Histoire de l'art (5): L'esprit des formes — Paris: Éditions d'histoire et d'art, Librarie Plon, 1949

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https://doi.org/10.11588/diglit.71100#0352
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comme l'aliment ordinaire de son imagination, de choisir
seul une route ardente à l'âge où d'habitude on choisit pour
lui une route molle ou une impasse, d'accueillir la responsa-
bilité et le risque comme compagnons de jeux. Très jeune
il a acquis, en même temps qu'une insouciance souveraine
vis-à-vis des événements dont les plus redoutables sont pour
lui les plus normaux, une habitude de la méditation qui
l'immobilise muet devant une fleur au bord de la route, et
par surcroît ouvre en lui des abîmes étranges dès qu'il y
croise l'amour. Et comment dire la subtilité et la puissance
du ferment qui peut lever aux flancs de la femme et de
l'homme dans l'étreinte parfois unique où tous les deux
portés à la suprême exaltation du délire amoureux dans le
désespoir et les larmes, sont arrachés l'un de l'autre par le
tocsin ou le tambour?
Une objection, il est vrai, se présente. L'apogée de l'art
et l'apogée de la violence ne dépendraient-elles pas des mêmes
causes antérieures, l'irrésistible montée dans la race de
l'énergie et de l'amour éclatant au même moment pour en
exprimer l'unité suprême dans ses deux sens à la fois, celui
des forces instinctives obéissant à leur fureur, celui des forces
spirituelles obéissant à leur lyrisme? C'est possible, mais
elles semblent se conditionner l'une l'autre, et si l'esprit de
guerre et l'esprit de révolution disparaissent un jour de la
cité des hommes, je me représente assez mal un drame col-
lectif quelconque, écartant peut-être le meurtre, mais boule-
versant les êtres d'enthousiasme, ou d'angoisse, ou de colère
ou de douleur — un drame passionnel où la race entière
participe — qui remplirait auprès de nous la tâche que l'es-
prit de guerre et de révolte a jusqu'ici si cruellement, mais
si magnifiquement assumée. L'amour, même et peut-être
surtout quand il ne verse pas le sang, est la passion qui joue
le mieux ce rôle chez l'individu, par sa furieuse exaltation
lyrique, ses alternatives poignantes de désespoir et d'ivresse,
le vide immense qu'il laisse quand il tombe et que l'art ou
l'action remplissent avec impétuosité. Mais cette sorte
d'amour n'est pas connue de tous les êtres, il s'en faut, et
elle ne peut remplacer auprès de l'espèce entière la tragédie

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