LE MUSÉE DE PEINTURE A. LILLE.
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l’épaule, suivant la mode adoptée par la classe moyenne à la fin du règne
de Louis XIII, regarde directement le spectateur. Dans la main droite,
ramenée vers la poitrine, il tient un compas; avec le doigt du milieu, et
par un mouvement familier à ceux qui se servent de cet instrument, il en
écarte les branches. La main gauche soutient une planchette sur laquelle
est fixé le dessin, à l’encre et au trait, d’une fenêtre entre colonnes por-
tant entablement et fronton arrondi, comme une planche de*Vignole. Le
fond est une muraille d’un ton olive sali très-foncé et une base de pilas-
tre de même couleur. La tête, pâle, rude et paysanne, émerge en pleine
lumière. Les cheveux, divisés sur le front, sont noirs, longs et épais. La
figure est entièrement rasée, le col blanc en forme de rabat. Tout le
tableau est dans une gamme de bruns assombris, de gris de fer et de
vert olive, fondue en une localité uniforme, austère et souverainement
solide. Il est peint d’un pinceau mâle et puissant, avec une vaillance de
métier superbe et très-sûre d’elle-même. La tête, surtout, attire et
retient; elle ne charme pas, elle s’impose. C’est une figure à la Descar-
tes, maculée, comme couturée par la petite vérole, laide, de la laideur
de l’homme qui a souffert et qui a été pauvre, sérieuse, presque triste,
mais intelligente et de la plus belle façon. La mâchoire et le menton carrés,
saillants et largement construits, les joues plates, expriment une inflexi-
ble volonté. La bouche, épaisse, charnue, commune, est bien vivante; le
nez laid et écrasé. Le bas de la figure n’est que d’un homme du
peuple, d’un solide ouvrier. La supériorité, l’intelligence, sont tout
entières dans le front, qui est beau, et dans les yeux, noirs et pleins de
vie, pétillants, petits et scrutateurs, enfoncés sous l’orbite, mais francs,
honnêtes et bons, avec je ne sais quoi de mélancolique et de sauvage. Le
modelé est admirable et d’une fermeté marmoréenne ; on sent la chair,
et les moindres méplats s’accusent sous cette touche empâtée, un peu
surchargée et reprise, et qui prend toute sa valeur à une certaine dis-
tance. C’est une figure française, dans un costume français; et il n’y a
que les artistes français, héritiers par la Gaule du génie iconographique
des Romains, pour faire saillir ainsi de dessous l’épiderme l’intelligence
et le caractère moral de l’être. L’exécution, le coloris, ajoutent encore à
ma conviction. Je n’hésite pas à en faire honneur à notre belle école
nationale. J’ajouterai que ce tableau est intact et encore dans sa
fleur.
Maintenant quel est le peintre? Quel est le personnage? Questions déli-
cates que personne n’a encore abordées et que je ne me chargerai pas de
résoudre. Pour le nom de l’architecte et pour le nom du peintre, il faut
chercher entre 1630 et 1650. Je n’ai, malheureusement, rien trouvé au
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l’épaule, suivant la mode adoptée par la classe moyenne à la fin du règne
de Louis XIII, regarde directement le spectateur. Dans la main droite,
ramenée vers la poitrine, il tient un compas; avec le doigt du milieu, et
par un mouvement familier à ceux qui se servent de cet instrument, il en
écarte les branches. La main gauche soutient une planchette sur laquelle
est fixé le dessin, à l’encre et au trait, d’une fenêtre entre colonnes por-
tant entablement et fronton arrondi, comme une planche de*Vignole. Le
fond est une muraille d’un ton olive sali très-foncé et une base de pilas-
tre de même couleur. La tête, pâle, rude et paysanne, émerge en pleine
lumière. Les cheveux, divisés sur le front, sont noirs, longs et épais. La
figure est entièrement rasée, le col blanc en forme de rabat. Tout le
tableau est dans une gamme de bruns assombris, de gris de fer et de
vert olive, fondue en une localité uniforme, austère et souverainement
solide. Il est peint d’un pinceau mâle et puissant, avec une vaillance de
métier superbe et très-sûre d’elle-même. La tête, surtout, attire et
retient; elle ne charme pas, elle s’impose. C’est une figure à la Descar-
tes, maculée, comme couturée par la petite vérole, laide, de la laideur
de l’homme qui a souffert et qui a été pauvre, sérieuse, presque triste,
mais intelligente et de la plus belle façon. La mâchoire et le menton carrés,
saillants et largement construits, les joues plates, expriment une inflexi-
ble volonté. La bouche, épaisse, charnue, commune, est bien vivante; le
nez laid et écrasé. Le bas de la figure n’est que d’un homme du
peuple, d’un solide ouvrier. La supériorité, l’intelligence, sont tout
entières dans le front, qui est beau, et dans les yeux, noirs et pleins de
vie, pétillants, petits et scrutateurs, enfoncés sous l’orbite, mais francs,
honnêtes et bons, avec je ne sais quoi de mélancolique et de sauvage. Le
modelé est admirable et d’une fermeté marmoréenne ; on sent la chair,
et les moindres méplats s’accusent sous cette touche empâtée, un peu
surchargée et reprise, et qui prend toute sa valeur à une certaine dis-
tance. C’est une figure française, dans un costume français; et il n’y a
que les artistes français, héritiers par la Gaule du génie iconographique
des Romains, pour faire saillir ainsi de dessous l’épiderme l’intelligence
et le caractère moral de l’être. L’exécution, le coloris, ajoutent encore à
ma conviction. Je n’hésite pas à en faire honneur à notre belle école
nationale. J’ajouterai que ce tableau est intact et encore dans sa
fleur.
Maintenant quel est le peintre? Quel est le personnage? Questions déli-
cates que personne n’a encore abordées et que je ne me chargerai pas de
résoudre. Pour le nom de l’architecte et pour le nom du peintre, il faut
chercher entre 1630 et 1650. Je n’ai, malheureusement, rien trouvé au