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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 9.1874

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Nr. 3
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Marcille, Eudoxe: Les dernières lettres de Prud'hon
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https://doi.org/10.11588/diglit.21838#0304

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LES DERNIÈRES LETTRES DE PRUD’HON.

291

« Ile Bourbon, Saint-Denis, le 14 juin 1820 '.

« Ma chère et bien-aimée sœur,

« Tu dois avoir reçu de moi une lettre par notre bon père, attendu que j’en avais
inséré une pour toi dans le paquet à son adresse. Je viens d’en recevoir une de lui, en
date du 28 janvier, qui m’a appris ton mariage avec M. Deval; cela m’a fait un grand
plaisir, ayant été à même, pendant un an et plus, de juger des caprices que tu étais
forcée de supporter.

# Tu as eu tort de ne m’en pas avoir fait part toi-même, car cela m’aurait encore
fait plus grand plaisir, attendu, comme je le pense, que tu m’aurais instruit de la
manière d’être de ton mari ; de plus, de la manière dont il a fait la connaissance de mon
père et la tienne; ensuite un petit détail sur la fête que je n’ai pu partager; enfin, s’il
est comme je te le souhaitais. Tu penses que j’aurais partagé ton bonheur avec le cœur
que tu as été à même de connaître; aussi j’espère que dans ta première tu m’en par-
leras avantageusement. Ainsi donc te voilà la maîtresse de tes actions et lancée dans ce
monde et entièrement dans le commerce, puisque M. Deval, ton mari, est négociant.
Tu es plus heureuse que ton frère, qui n’est encore qu’apprenti d’un an et demi ; voilà
mon deuxième qui va bientôt finir, et je vais l’entreprendre pour moi ou me remettre à
naviguer. Si je navigue, j’irai dans l’Inde passer quelques années; après quoi je me
donnerai la jouissance d’aller en France vous embrasser tous. Si, au contraire, je fais
quelque chose dans le commerce à l’île Bourbon, j’y resterai encore quelques années;
en attendant, je travaille et amasse de l’argent.

« Souviens-toi, ma chère amie, que le mariage est le plus beau jour de notre vie,
comme il peut être la source de tous nos maux. Il faut, ma bonne, faire tout ce qui
dépend de nous pour vivre heureux, et surtout dans le mariage être toujours d’une
humeur égale avec celui dont le bonheur de notre vie dépend. Une femme doit aller
au-devant des désirs de son mari, et, en un mot, éviter tout ce qui peut contribuer à
le rendre malheureux. Ce que je te dis là, ma chère sœur, est dicté par l’amitié que je
te porte et le désir que j’aurais de voir l’accomplissement de mes désirs se réaliser, qui
serait de te voir heureuse touteNta vie. Mais je te connais, tu es d’un bon naturel et tu
as un cœur sensible et bon.

« Je suis désireux, ma bonne amie, de savoir de tes nouvelles, maintenant surtout
que tu es à portée d’avoir de fréquentes occasions. Tu viens de quitter le séjour des
plaisirs pour aller dans une petite ville gentille, du reste, mais sans agrément. Fais-moi
aussi le plaisir de me marquer si tu t’y plais. Quant à moi, voilà quelques années que
tous plaisirs me sont retranchés; mais tout cela s’accorde avec mon caractère, quoiqu’il
n’en est pas tout à fait l’ennemi.

« Maintenant que tu n’es plus sous la tutelle de Mlle Mayer, je me permets de te
charger d’une lettre pour mon frère aîné, attendu que, comme tu as entretenu une cor-
respondance avec lui, tu es plus à même d’y mettre l’adresse que moi, qui ne goûte pas
le plaisir de partager les siens, ainsi que ses peines. 11 est le plus malheureux de la
famille, puisqu’il a perdu l’amitié d’un père, et tout cela causé par le méchant génie
d’une femme; mais enfin n’allons pas vouloir pénétrer ce mystère, qui n’est pas en

1. Madame Emilie Deval, à Lorient. (La lettre est timbrée de Rochefort.)
 
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