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L'ART.
turcs et russes que la mort réunit au premier plan. Skobelef,
l'ange exterminateur, produit ici l'effet contraire de la voile
libératrice qui se montre, à l'horizon, dans le tableau de Géri-
cault. Il y a un contraste vigoureux entre l'enthousiasme du
général vainqueur, avide de recueillir les félicitations de ses sol-
dats, et le spectacle navrant de ses victimes étendues sur la
neige dans des postures naturelles et nullement théâtrales. On
reconnaît aussitôt que M. Vereschagin a vu véritablement des
morts sur un champ de bataille, et cela lui donne aussitôt un
avantage considérable sur les artistes qui prétendent montrer
aux autres ce qu'ils ignorent eux-mêmes complètement.
Une autre toile représente deux Albanais prisonniers et
attachés l'un à l'autre par le bras. Leur costume et leur phy-
sionomie sont d'une grande exactitude. Je m'étonne qu'on leur
ait laissé les longs pistolets et les kandjars passés dans leurs
ceintures. La Troisième attaque de Plewna ne rappelle en rien
les tableaux de M. Yvon. Elle me fait songer au récit de Wa-
terloo par Stendhal. On ne distingue rien que de la fumée et du
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asm
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V» "as
F A C - s IiiI L é d't'N CROQUIS v la MINE de PLOMB PAR VeRESCHAGIN.
brouillard. L'empereur, assis sur un pliant, au sommet d'un ! phiques indique seule l'emplacement de la route jonchée des
mamelon et loin du danger, suit, avec une lunette, le massacre cadavres, à moitié enfouis dans la neige, de prisonniers que
de ses soldats qu'on a organisé pour le jour de sa fête et en | l'on a eu la barbarie d'emmener, pieds nus et à peine vêtus, par
dehors de toutes les règles stratégiques. Le tzar, entouré de
son état-major, a l'air de ne rien comprendre aux événements
qui se déroulent comme dans un réve. Mais voici la réalité.
Un Convoi de blessés russes nous fait assister aux douleurs de
ces malheureux entassés sur des arabas traînés par des bœufs,
dans des chemins épouvantables dont les ornières leur donnent
des secousses si atroces que la plupart meurent avant d'arriver
au but. Les Prisonniers turcs produisent un effet plus grand
encore. Le sol est entièrement couvert de neige, on n'aperçoit
pas trace d'habitation humaine. Une ligne de poteaux télégra-
un froid de 25 degrés et dans un pays où l'on passe des journées
sans rencontrer un village. Bien des milliers sont morts ainsi.
Les corbeaux n'osent pas encore se ruer sur leur proie. Il y a
trop peu de temps que le convoi est passé. Mais en attendant
ils picorent les excréments encore chauds des chevaux et des
buffles. Bientôt les chiens errants viendront se disputer ces
cadavres qu'ils écartèleront sans pitié. Dans ce pays, le mot de
Charlet a cessé d'être vrai. Le chien n'est pas meilleur que
l'homme. Ces scènes sont tellement horribles que bien des
visiteurs refusent d'y croire. C'est pourquoi il faut féliciter
L'ART.
turcs et russes que la mort réunit au premier plan. Skobelef,
l'ange exterminateur, produit ici l'effet contraire de la voile
libératrice qui se montre, à l'horizon, dans le tableau de Géri-
cault. Il y a un contraste vigoureux entre l'enthousiasme du
général vainqueur, avide de recueillir les félicitations de ses sol-
dats, et le spectacle navrant de ses victimes étendues sur la
neige dans des postures naturelles et nullement théâtrales. On
reconnaît aussitôt que M. Vereschagin a vu véritablement des
morts sur un champ de bataille, et cela lui donne aussitôt un
avantage considérable sur les artistes qui prétendent montrer
aux autres ce qu'ils ignorent eux-mêmes complètement.
Une autre toile représente deux Albanais prisonniers et
attachés l'un à l'autre par le bras. Leur costume et leur phy-
sionomie sont d'une grande exactitude. Je m'étonne qu'on leur
ait laissé les longs pistolets et les kandjars passés dans leurs
ceintures. La Troisième attaque de Plewna ne rappelle en rien
les tableaux de M. Yvon. Elle me fait songer au récit de Wa-
terloo par Stendhal. On ne distingue rien que de la fumée et du
X •- m
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V» "as
F A C - s IiiI L é d't'N CROQUIS v la MINE de PLOMB PAR VeRESCHAGIN.
brouillard. L'empereur, assis sur un pliant, au sommet d'un ! phiques indique seule l'emplacement de la route jonchée des
mamelon et loin du danger, suit, avec une lunette, le massacre cadavres, à moitié enfouis dans la neige, de prisonniers que
de ses soldats qu'on a organisé pour le jour de sa fête et en | l'on a eu la barbarie d'emmener, pieds nus et à peine vêtus, par
dehors de toutes les règles stratégiques. Le tzar, entouré de
son état-major, a l'air de ne rien comprendre aux événements
qui se déroulent comme dans un réve. Mais voici la réalité.
Un Convoi de blessés russes nous fait assister aux douleurs de
ces malheureux entassés sur des arabas traînés par des bœufs,
dans des chemins épouvantables dont les ornières leur donnent
des secousses si atroces que la plupart meurent avant d'arriver
au but. Les Prisonniers turcs produisent un effet plus grand
encore. Le sol est entièrement couvert de neige, on n'aperçoit
pas trace d'habitation humaine. Une ligne de poteaux télégra-
un froid de 25 degrés et dans un pays où l'on passe des journées
sans rencontrer un village. Bien des milliers sont morts ainsi.
Les corbeaux n'osent pas encore se ruer sur leur proie. Il y a
trop peu de temps que le convoi est passé. Mais en attendant
ils picorent les excréments encore chauds des chevaux et des
buffles. Bientôt les chiens errants viendront se disputer ces
cadavres qu'ils écartèleront sans pitié. Dans ce pays, le mot de
Charlet a cessé d'être vrai. Le chien n'est pas meilleur que
l'homme. Ces scènes sont tellement horribles que bien des
visiteurs refusent d'y croire. C'est pourquoi il faut féliciter