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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 1)

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Tourneux, Maurice: Mérimée critique d'art, [1], Salon de 1839
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https://doi.org/10.11588/diglit.18607#0131

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120

L'ART.

Abandonnant ce reproche, auquel il reviendra à propos d'Hamlet, Mérimée insiste sur
certains détails : « Critiquer la forme osseuse des bras de Cléopâtre, les muscles incompréhensibles
du paysan, ses mains de goutteux dont les doigts sont soudés ensemble, c'est reprocher à
M. Delacroix son indifférence pour le dessin, indifférence peut-être systématique chez lui comme
chez beaucoup de coloristes ». — Toujours le même reproche à Delacroix, à Corot, à Barye,
à Préault ! — Il s'étonne que son œil, « si sensible d'ordinaire à l'harmonie, n'ait pas été choqué
par l'opposition brusque et dure qu'offre l'espèce de peplum orange qui couvre le sein de
Cléopâtre avec le manteau bleu ramené sur ses genoux. Comment n'a-t-il pas retrouvé pour
ces chairs le ton si brillant de sa Médée ? » Il se demande ensuite pourquoi des peintres tels
que MM. Ary Scheffer et Delacroix n'ont envoyé au Salon de cette année que des personnages à
mi-corps, et il regrette de n'avoir point à juger Delacroix sur quelque grande toile comme la
décoration du Palais-Bourbon, « son meilleur ouvrage ». Mérimée veut parler du Salon de la
Paix, car les coupoles et l'hémicycle de la bibliothèque de la Chambre, commencés'en 1844, ne
furent terminés qu'en 1847.

A propos dCHamlet : « Nos paysans disent qu'on reconnaît le diable à son œil qui n'a pas
de blanc. Les figures de M. Delacroix n'ont au contraire que du blanc ou plutôt que du gris
dans l'œil ». Au lieu de s'arrêter à critiquer les jambes en balustre du prince de Danemarck et
les bras des fossoyeurs, il aime mieux louer sans réserve « le ton général et l'harmonie de couleur
qui régnent dans cette petite toile » '.

C'est ainsi qu'un ancien ami, et des plus éclairés certes, traitait le grand peintre ; c'est ainsi
que, par le mauvais vouloir du jury, il ne pouvait être jugé que sur trois tableaux au lieu de
six : Le Tasse sur son lit dans sa prison, le Camp arabe, Ben Abou près d'un tombeau avaient
été refusés. Pour Decamps, au contraire, cette exposition était un triomphe ; il avait vu accepter
dix tableaux et, à l'issue du Salon, il était décoré. Voici comment débute l'appréciation de
Mérimée : « Si jamais homme est né peintre et coloriste, c'est assurément M. Decamps. Chez
lui la couleur n'est point système adopté, mais sentiment intime. Il ne comprend pas la nature
autrement. Sa manière ne tient d'aucune école ; cependant quelques effets qu'il affectionne
rappellent le Giorgione; la lumière éclatante de ses ciels, ses lointains dégradés avec art amènent
une comparaison avec Claude Lorrain, la transparence de ses ombres fait penser à Terburg et à
Rembrandt, mais il n'imite ni les Flamands, ni les Vénitiens, ni l'inimitable Claude ».

Après cet éclatant éloge, arrivent aussitôt les critiques et des critiques fort justes : « il se
souvient trop » (ces mots sont en italique dans le texte); il ne varie pas assez ses paysages. En
Orient, il semble qu'il n'ait rencontré que des types grotesques et qu'il soit passé sans les voir
auprès des athlétiques bateliers du Bosphore, des Arnautes superbes, de la merveilleuse beauté
de l'adolescence. Mérimée, qui rapporte à cette tendance vers les ridicules humains le goût
permanent de Decamps pour les représentations simiesques, s'inscrit en faux contre la vogue des
Experts. « Le succès de ces bouffonneries qui n'auront qu'un temps, j'espère, peut vicier une
imagination déjà trop portée à la caricature. Garrick s'affublait volontiers du rôle d'un apothicaire,
mais le lendemain il jouait Richard III. »

Samson tiré de la caverne d'Étam, qu'il appelle Samson combattant les Philistins, est, selon
lui, le plus faible de ces dix tableaux; il y retrouve un « pasticcio » de Salvator Rosa. Il a des
éloges très vifs pour Joseph vendu par ses frères, le Café d'Asie, la Rue de village (États
romains), Souvenir d'une villa italienne, les Bourreaux à la porte d'un cachot, les Cavaliers turcs,
le Supplice des crochets, dans lesquels il loue tour à tour la richesse de ton, la diffusion de la
lumière, la transparence des eaux, la couleur riche et suave, l'exécution fine et ferme ; il adresse
à Decamps un reproche général sur la couleur de ses terrains, qui sont toujours les mêmes. « Il
semble, dit-il, qu'il n'ait vu d'autres roches que le calcaire d'Italie à strates bien horizontales. »
La Bataille des Cimbres notamment offrait des accidents de terrain plus étendus que dans la

1. Célestin Nanteuil a fait dans l'Artiste, d'après ce tableau, une eau-forte qui, si faible qu'elle soit, a l'allure romantique dont est
dépourvue la lithographie d'Eug. Le Roux d'après cette même toile. Plus tard, Delacroix a repris dans la série des Sei^c lithographies d'Hamlet
la scène des fossoyeurs, mais les attitudes, les costumes, les accessoires, l'impression générale ne sont plus les mêmes.
 
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