42 L'ART.
Sans doute, notre pays compte encore beaucoup de petites collections et même quelques
galeries des plus riches, dont les tableaux n'ont jamais figuré aux expositions temporaires de
Piccadilly : nous citerons entre autres les merveilleuses galeries de Sir Richard Wallace, du duc
de Westminster et du comte d'Ellesmere, connues sous le nom de Hertford Gallery, Grosvenor
Gallery et Bridgejpater Gallery.
Mais V Academy ne peut guère compter sur ces richesses. Sir Richard Wallace, il n'y a pas
dix ans encore, prêtait toute sa collection au Musée de Bethnal-Green, succursale du grand
établissement de South Kensington. Raisonnablement on ne saurait, avant longtemps, demander
au propriétaire de Hertford House de rendre au public un nouveau service du même genre.
D'autre part, si nous nous en rapportons à une opinion très généralement répandue, il n'est
guère probable que les collections de Grosvenor Gallery et de Bridgejpater Gallery viennent
figurer à la Royal Academy, aussi longtemps que vivront les propriétaires actuels.
Ne nous étonnons donc point, si l'exposition de cet hiver ne nous offrait aucun de ces
chefs-d'œuvre de Raphaël ou du Titien qui, les années précédentes, excitaient l'admiration des
connaisseurs. Cela ne veut pas dire, malheureusement, que les noms de ces grands peintres fussent
absents du catalogue. La direction de la Royal Academy est obligée, en effet, de choisir entre
deux maux : il faut, ou bien qu'elle accepte les tableaux qu'on lui apporte, avec les noms et les
qualités qui leur sont attribués — à tort ou à raison et souvent à tort — par les propriétaires ;
ou qu'elle se résigne à fermer, une fois pour toutes, les portes de son Exposition d'anciens
maîtres.
Ceux des exposants qui croient avoir le droit de se compter parmi les rares et heureux
possesseurs de toiles de Raphaël ou de Léonard, n'admettront jamais, en effet, que le Conseil de
la Royal Academy vienne leur arracher leurs trésors imaginaires, en débaptisant leurs chers
tableaux. Sans doute, ces œuvres auront à affronter la critique des journaux : mais quel est le
collectionneur anglais qui ne se trouverait pas satisfait, si une seule voix s'élevait en faveur de
l'authenticité de l'œuvre qu'il expose ? De ce côté-ci de la Manche, le public n'y regarde pas
d'assez près, pour faire son choix entre les affirmations contraires. L'habitude du journalisme
anonyme efface également toutes les personnalités littéraires, grandes ou petites; seuls, quelques
rares initiés savent qu'un doute de Mars ou de Mercure emporte une condamnation plus
inéluctable que ne sauraient le faire toutes les foudres de Jupiter.
Ce qui précède nous explique suffisamment les qualifications vraiment stupéfiantes attachées
à de certaines peintures et qui plus d'une fois ont scandalisé les visiteurs de ce Salon d'hiver.
C'est là une espèce de prime, que la Royal Academy et la nation entière payent à la vanité
de quelques-uns ; prime qui nous permet d'avoir sous les yeux, chaque année, une sorte de
complément de la National Gallery souvent utile au critique sérieux, quoique fait quelquefois
pour induire en erreur le spectateur inexpérimenté.
Treize années se sont écoulées depuis que la Royal Academy a pris possession de son
nouveau palais de Piccadilly. Dans ce laps de temps, les expositions d'hiver nous ont présenté
de quatre à cinq mille tableaux. Sur ce nombre, les trois cinquièmes environ avaient pour
auteurs des artistes anglais décéclés ; et les deux cinquièmes restants, des maîtres des anciennes
écoles du continent. Les conditions exigées pour l'admission ont toujours été au moins aussi
sévères que dans les autres galeries publiques : nous avons donc le droit de conclure que ces
expositions ont offert au public une certaine somme de jouissances esthétiques et à l'histoire
de l'art de nombreux matériaux et un champ d'études assez vaste. Et nous croyons que ces
conclusions paraîtront justifiées aux yeux de tous.
Passons maintenant à l'analyse des œuvres les plus remarquables.
Nous 'avons dit que, au catalogue de cette année, figurait le nom de Raphaël. Une Annon-
ciation lui était attribuée, un petit panneau, prêté par Lady Selina Harvey. Dans deux médaillons
de forme ronde, sont représentés la Vierge et l'ange Gabriel, séparés par une bordure ornementale
aux sujets grotesques. Il s'agissait simplement d'une de ces nombreuses petites . peintures,
exécutées dans l'atelier du Pérugin, qui ont jeté une si grande perturbation dans l'histoire
Sans doute, notre pays compte encore beaucoup de petites collections et même quelques
galeries des plus riches, dont les tableaux n'ont jamais figuré aux expositions temporaires de
Piccadilly : nous citerons entre autres les merveilleuses galeries de Sir Richard Wallace, du duc
de Westminster et du comte d'Ellesmere, connues sous le nom de Hertford Gallery, Grosvenor
Gallery et Bridgejpater Gallery.
Mais V Academy ne peut guère compter sur ces richesses. Sir Richard Wallace, il n'y a pas
dix ans encore, prêtait toute sa collection au Musée de Bethnal-Green, succursale du grand
établissement de South Kensington. Raisonnablement on ne saurait, avant longtemps, demander
au propriétaire de Hertford House de rendre au public un nouveau service du même genre.
D'autre part, si nous nous en rapportons à une opinion très généralement répandue, il n'est
guère probable que les collections de Grosvenor Gallery et de Bridgejpater Gallery viennent
figurer à la Royal Academy, aussi longtemps que vivront les propriétaires actuels.
Ne nous étonnons donc point, si l'exposition de cet hiver ne nous offrait aucun de ces
chefs-d'œuvre de Raphaël ou du Titien qui, les années précédentes, excitaient l'admiration des
connaisseurs. Cela ne veut pas dire, malheureusement, que les noms de ces grands peintres fussent
absents du catalogue. La direction de la Royal Academy est obligée, en effet, de choisir entre
deux maux : il faut, ou bien qu'elle accepte les tableaux qu'on lui apporte, avec les noms et les
qualités qui leur sont attribués — à tort ou à raison et souvent à tort — par les propriétaires ;
ou qu'elle se résigne à fermer, une fois pour toutes, les portes de son Exposition d'anciens
maîtres.
Ceux des exposants qui croient avoir le droit de se compter parmi les rares et heureux
possesseurs de toiles de Raphaël ou de Léonard, n'admettront jamais, en effet, que le Conseil de
la Royal Academy vienne leur arracher leurs trésors imaginaires, en débaptisant leurs chers
tableaux. Sans doute, ces œuvres auront à affronter la critique des journaux : mais quel est le
collectionneur anglais qui ne se trouverait pas satisfait, si une seule voix s'élevait en faveur de
l'authenticité de l'œuvre qu'il expose ? De ce côté-ci de la Manche, le public n'y regarde pas
d'assez près, pour faire son choix entre les affirmations contraires. L'habitude du journalisme
anonyme efface également toutes les personnalités littéraires, grandes ou petites; seuls, quelques
rares initiés savent qu'un doute de Mars ou de Mercure emporte une condamnation plus
inéluctable que ne sauraient le faire toutes les foudres de Jupiter.
Ce qui précède nous explique suffisamment les qualifications vraiment stupéfiantes attachées
à de certaines peintures et qui plus d'une fois ont scandalisé les visiteurs de ce Salon d'hiver.
C'est là une espèce de prime, que la Royal Academy et la nation entière payent à la vanité
de quelques-uns ; prime qui nous permet d'avoir sous les yeux, chaque année, une sorte de
complément de la National Gallery souvent utile au critique sérieux, quoique fait quelquefois
pour induire en erreur le spectateur inexpérimenté.
Treize années se sont écoulées depuis que la Royal Academy a pris possession de son
nouveau palais de Piccadilly. Dans ce laps de temps, les expositions d'hiver nous ont présenté
de quatre à cinq mille tableaux. Sur ce nombre, les trois cinquièmes environ avaient pour
auteurs des artistes anglais décéclés ; et les deux cinquièmes restants, des maîtres des anciennes
écoles du continent. Les conditions exigées pour l'admission ont toujours été au moins aussi
sévères que dans les autres galeries publiques : nous avons donc le droit de conclure que ces
expositions ont offert au public une certaine somme de jouissances esthétiques et à l'histoire
de l'art de nombreux matériaux et un champ d'études assez vaste. Et nous croyons que ces
conclusions paraîtront justifiées aux yeux de tous.
Passons maintenant à l'analyse des œuvres les plus remarquables.
Nous 'avons dit que, au catalogue de cette année, figurait le nom de Raphaël. Une Annon-
ciation lui était attribuée, un petit panneau, prêté par Lady Selina Harvey. Dans deux médaillons
de forme ronde, sont représentés la Vierge et l'ange Gabriel, séparés par une bordure ornementale
aux sujets grotesques. Il s'agissait simplement d'une de ces nombreuses petites . peintures,
exécutées dans l'atelier du Pérugin, qui ont jeté une si grande perturbation dans l'histoire