Overview
Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 9.1883 (Teil 2)

DOI Artikel:
Dargenty, G.: Promenade au Salon de 1883
DOI Seite / Zitierlink:
https://doi.org/10.11588/diglit.19295#0143

DWork-Logo
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
PROMENADE AU SALON DE 1883

« La première fois que je mis les pieds au Salon, je fis, dans l'escalier même, la rencontre
d'un de nos critiques les plus subtils et les plus estimés, et, à la première question, à la question
naturelle que je devais lui adresser, il répondit : « Plat, médiocre ; j'ai rarement vu un Salon
« aussi maussade. » Qui parle ainsi ? Baudelaire dans son compte rendu de i85g. Eh bien, je
l'avoue avec ingénuité, c'est l'effet infaillible que produit sur moi chaque année une première
visite dans les salles de l'Exposition. Je me défie beaucoup de ce premier mouvement; il m'irrite
contre moi-même ; je fais des efforts inouïs pour me trouver injuste, partial ; je m'emporte contre
mes impressions, je les crois fausses, j'en découds avec ma propre opinion et, le dirai-je, je
suis toujours vaincu par la réalité des choses.

Pourquoi donc ?

Eh ! grands dieux, c'est que la médiocrité qui de tout temps domina le monde est aujourd'hui
devenue triomphante, et qu'à l'insu de soi on est fatalement conduit à faire un triste rappro-
chement entre les maîtres d'autrefois et les confectionneurs de toutes les platitudes habiles sur
lesquelles un œil avide de belles rencontres erre à l'aventure sans jamais s'arrêter à rien qui
l'attire et le fixe. Comment alors échapper aux réflexions décourageantes, comment ne pas devenir
irritable et grincheux quand on tombe chaque année de déception en déception et que dans cette
série de chutes la dernière est toujours la plus douloureuse ?

Eh quoi ! se dit-on, jamais époque ne fut plus féconde en encouragements. En quel temps
vit-on pareille diffusion du goût, pareille avidité des objets d'art ? Depuis vingt ans les bourses
s'ouvrent et répandent sur les artistes une rosée métallique. Les éloges, les récompenses, les
commandes, les croix, rien ne manque, rien n'est épargné. Les loupes sont braquées sur
chaque bourgeon artistique qui naît à l'aisselle d'un atelier. Ce bourgeon n'est point encore
dépouillé de ses écailles qu'on pronostique des frondaisons merveilleuses ; même lorsque la fleur
est malingre, chlorotique, pour peu qu'elle offre quelque charme dans son étiolement on se la
dispute avec rage ; et tout cela est vain ! Les grandes sources sont-elles donc taries ? L'imagi-
nation nous a-t-elle lancé son dernier adieu? « La petitesse, la puérilité, l'incuriosité, le calme
plat de la fatuité », ont-ils pris définitivement la place de l'ardeur, de la noblesse, de l'exubérance
et de la grande turbulence artistique d'antan ? Serait-ce à tort que vous auriez caressé vos
artistes, que vous auriez gratté jusqu'au sang les fibres de leur amour-propre, que vous les auriez
couverts d'or ? Le jet continu de vos épithètes louangeuses n'aurait-il servi qu'à vous faire prendre
pour des niais par cette génération stupidement infatuée d'elle-même ; et ici je ne parle que
des peintres. Hélas ! je le crains bien.

« La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures clans un tableau : elle lui
donne de la force et du relief. » Ah! voilà la maxime qu'on devrait inscrire au fronton de l'École.
Mais on ne la lirait pas, ou l'on se gausserait de ce vieux rabâcheur de La Bruyère. On ne se
figure pas à quel point il est dur de gronder sans cesse, et combien l'éloge est de miel pour
celui qui l'écrit. Que faire cependant en présence d'une jeunesse outrecuidante et gâtée, sanctionnée
et chamarrée, sans élans, vieillotte, qui ne sait rien, qui n'étudie pas, qui n'écoute aucun conseil,
se croit la science infuse, peint le poing sur la hanche et, forte de sa petite dose de qualités
natives, sachant trousser une mauvaise toile en quelques heures, se complaît dans les à peu près
de couleur, se rit obstinément de l'austérité du dessin, passe la jambe à la composition et
finalement vous nargue parce qu'elle arrive à boucler son million en quelques années? Que faire,
sinon la traiter comme on traite les jeunes chats suivant une méthode bien connue ; à savoir
lui mettre incessamment le nez dans sa malpropreté, pour arriver si possible à la corriger de
 
Annotationen