SALON DE i883.
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sont saines, leur peinture propre, leur dessin correct. Et c'est bien quelque chose aujourd'hui
que la laideur et la platitude s'unissent en des noces triomphantes. On ne me reprochera pas
d'avoir été tendre pour M. Bouguereau. Je n'ai cessé de réagir contre l'envahissement de cet art
neutre, sans souffle, sans flamme, qui trace proprement son petit sillon, travaille à son heure,
coule placide et calme comme un fleuve en plaine, art somnolent et comateux qui ne provoque
ni admiration ni colère et conduit sûrement sans douleur, ainsi qu'un narcotique, jusqu'aux portes
du tombeau.
Étude de Jules Lefebvre
pour son tableau : Psyché. (Salon de iS83.)
Mais puisque d'un art nouveau il n'est plus question, puisque vous n'inventez rien, que vous
peignez mal et ne composez plus; puisque l'intelligence créatrice s'est envolée, il faut bien se
raccrocher à quelque chose. Or, je préfère M. Bouguereau à M. Blanchon et l'abbé Delille à
Zola. Aima parens, la Nuit sont des œuvres qui vous désarment, le Marché de la Villette est
un morceau qui vous irrite. J'aime mieux M. Dumaresq ou M. Castellani. Il est toujours drôle
de voir un général en lunettes se figer au sein d'une fournaise, et la lame d'un sabre français
pénétrer entre les côtes d'un prince de Prusse. Ces choses-là du moins me distraient ; elles ont
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sont saines, leur peinture propre, leur dessin correct. Et c'est bien quelque chose aujourd'hui
que la laideur et la platitude s'unissent en des noces triomphantes. On ne me reprochera pas
d'avoir été tendre pour M. Bouguereau. Je n'ai cessé de réagir contre l'envahissement de cet art
neutre, sans souffle, sans flamme, qui trace proprement son petit sillon, travaille à son heure,
coule placide et calme comme un fleuve en plaine, art somnolent et comateux qui ne provoque
ni admiration ni colère et conduit sûrement sans douleur, ainsi qu'un narcotique, jusqu'aux portes
du tombeau.
Étude de Jules Lefebvre
pour son tableau : Psyché. (Salon de iS83.)
Mais puisque d'un art nouveau il n'est plus question, puisque vous n'inventez rien, que vous
peignez mal et ne composez plus; puisque l'intelligence créatrice s'est envolée, il faut bien se
raccrocher à quelque chose. Or, je préfère M. Bouguereau à M. Blanchon et l'abbé Delille à
Zola. Aima parens, la Nuit sont des œuvres qui vous désarment, le Marché de la Villette est
un morceau qui vous irrite. J'aime mieux M. Dumaresq ou M. Castellani. Il est toujours drôle
de voir un général en lunettes se figer au sein d'une fournaise, et la lame d'un sabre français
pénétrer entre les côtes d'un prince de Prusse. Ces choses-là du moins me distraient ; elles ont