Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 9.1883 (Teil 2)

DOI Artikel:
Genevay, Antoine: Prix de Sèvres: Joseph Chéret
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19295#0290

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
240

L'ART.

un grand meuble de la même époque dont il modela les bronzes
pour la maison Grohé, et une charmante serrure que les con-
naisseurs admirèrent dans l'exposition de M. Lubi.

Ces œuvres, d'un style très pur, achevèrent de faire con-
naître Chéret et, comme un bonheur ne vient jamais seul,
en 1868, il épousa une des filles de M. Carrier-Belleuse.

Un peu plus d'un an après, éclatait sur la France et sur le
jeune ménage le coup de tonnerre de cette guerre insensée qui
devait couvrir de tant de ruines notre malheureux pays.
M. Chéret, jetant crayons et ébauchoirs, saisit un fusil et fit
son devoir modestement, bravement. La tempête avait fondu
sur lui au moment où, à Anvers, il décorait l'hôtel de M. Pes-
cher dont le nom, dernièrement mêlé à un déplorable procès,
n'est jamais prononcé par l'artiste qu'avec une expression
d'affectueux respect. Dès que Paris eut succombé, que les
Prussiens eurent fait leur ridicule entrée dans les Champs-
Elysées, Chéret se hâta de retourner dans la ville de Rubens
pour achever l'œuvre décorative qui lui avait été confiée. De
graves soucis le préoccupaient alors. Nous l'avons dit, il s'était
établi à son propre compte, et son entreprise avait eu à lutter
contre des événements qui avaient fait sombrer des maisons
plus anciennes et plus solides que la sienne. Il fallut la fermer
et chercher des travaux promptement rémunérateurs qui per-
missent à Chéret de faire face aux arrangements pris par lui
avec ses créanciers. Ces travaux, il ne pouvait guère espérer
les trouver dans Paris bouleversé et incendié parla Commune;
il se préparait donc à se rendre en Angleterre où il comptait
des amis, lorsqu'un grand industriel de Cologne vint lui pro-
poser de le placer, pendant trois ans, à la tête de son impor-
tante maison d'ornementation et de décoration. M. Pallemberg
lui offrait vingt mille francs par an.

Aller dans l'Allemagne maudite, c'était dur! Malheureuse-
ment, M. Chéret avait son honneur commercial à sauver, il
accepta avec douleur, mais il eut bien soin de stipuler que
tout ce qui sortirait de ses mains serait signé de son nom,

voulant ainsi que toutes ses œuvres conservassent la marque
française. Ce fut dans ces conditions qu'il obtint une médaille
d'honneur à l'Exposition universelle devienne.

Depuis longtemps il avait reconnu combien était déplorable
la nécessité où il se trouvait d'avoir recours à des artistes
pour exécuter les figures qu'il faisait intervenir dans ses
ornementations. Les mains qu'il appelait ainsi à son aide
n'avaient point le même tempérament que les siennes, elles
traduisaient mal sa pensée ; de là, défaut d'unité dans l'ensemble,
souvent une sorte de gaucherie, une facture dont les lignes et
les reliefs ne se reliaient pas bien. Il résolut donc, pendant son
séjour à Cologne, de se débarrasser d'une servitude nuisible à
la perfection de ses œuvres. Il se mit, avec l'ardeur tenace qui
est le fond de son caractère, à dessiner le modèle vivant, à
étudier l'anatomie ; et, quand il revint à Paris, il se soumit,
pour achever en ce point son éducation artistique, à suivre les
cours du soir de M. Bonnat. Il lui fallut quelque courage pour
se mêler ainsi, à son âge, à une narquoise jeunesse; mais il
arriva promptement à son but, la figure lui est devenue fami-
lière et ses compositions ont notablement gagné en caractère
et en harmonie.

Voilà très simplement contée l'histoire d'un de ces artistes
dont la France ne possédera jamais un assez grand nombre; il
joint à un sentiment élevé de l'art, à un goût sûr,.une science
pratique du métier, qui lui permet de mener à bonne fin tous
les travaux qu'il entreprend. M. Chéret est plus qu'un ornema-
niste habile, plus qu'un décorateur plein d'imagination, c'est
un sculpteur dans toute l'étendue du mot; nous avons.vu de
lui, dans son atelier, des figures d'un réalisme humoristique
destinées à la cuisine de M. Godillot, qui eussent fait la joie
de Rabelais. Nous croyons que M. Chéret ne se trompe pas
sur sa valeur, mais, — nous le disons pour que ses confrères
l'imitent, — il étudie et travaille aujourd'hui, modestement,
sans bruit, comme s'il avait tout à apprendre.

A. Genevay.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.
 
Annotationen