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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 1)

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Lefranc, F.: Nos auteurs dramatiques, [1]: M. Victorien Sardou
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https://doi.org/10.11588/diglit.25872#0044

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L’ART.

M. Sardou n'y a point pensé ; il est possible aussi qu'il ne l'ait pas voulu. Ce qui paraît, à
plusieurs, faiblesse et manque de courage, n'est parfois que sagesse et prudence. Il y a des gens
avisés qui, d'abord, connaissent leurs forces et n’essayent point de monter très haut. Ils se
tiennent à mi-côte et cheminent à pas comptés. Ceux-là ne font point de chute mortelle, mais
l’avenir, à défaut de la fortune, est aux audacieux qui escaladent les sommets. Cette entreprise
hardie n’a point tenté M. Sardou.

On ne s’avisait guère autrefois de cultiver en même temps tous les genres. Molière est
seulement un poète comique, Corneille et Racine n’ont, l’un et l’autre, déserté la tragédie qu’un
moment. Les talents d’aujourd’hui sont moins hauts, mais ils sont plus complexes. M. Sardou
est à la fois un auteur tragique et un auteur comique. Il a fait des comédies et des drames ; on
peut dire qu’il a mis du drame dans la comédie et de la comédie dans le drame. Je ne lui en
fais pas un reproche ; il s’est conformé à la poétique de son temps, et il n’a pas eu tort. Toute
poétique d’ailleurs ne vaut que par le talent des poètes. Shakespeare dédaignait, et peut-être igno-
rait les règles, et il a fait des chefs-d’œuvre ; Racine, qui les savait toutes et qui les appliquait, n’a
pas été moins heureux. M. Victorien Sardou, auteur comique, a eu la prétention très légitime de
peindre les mœurs de son temps. Tantôt, comme dans la Famille Benoiton, il a saisi les ridicules
les plus apparents de la société et il les a livrés à la risée du parterre ; tantôt, comme dans
Nos Intimes, il a essayé de peindre des travers ou des vices qui sont de toutes les époques.
Cette intention n’est pas moins manifeste dans Séraphine. Elle éclate ailleurs aussi, et il serait
peu à propos de multiplier les exemples. Les grands sujets sont peu nombreux, mais ils
rajeunissent sans cesse. La vanité, l’ingratitude, l’ambition, l’hypocrisie, étaient les vices d’autrefois
et sont les vices d’aujourd’hui. Ils prennent seulement d’autres habits et ils vont à leur but par
des voies différentes. Les ambitieux flattent le peuple comme ils flattaient jadis les rois ; l’hypo-
crisie religieuse est plus rare, mais l’hypocrisie politique court les rues et elle n’a pas plus de
scrupules que Tartuffe. L’écrivain qui saisit ces ridicules ou ces vices, et qui nous les montre,
sous les traits de personnages vêtus comme nous tous, vivant de notre vie, agités de soucis qui
sont les nôtres, imbus de nos préjugés, fait, à coup sûr, œuvre originale. S’il enfonce plus avant
•dans les caractères, s’il voit plus clair et s’il peint mieux, il efface ses devanciers. C’est lui qui
crée vraiment les types immortels, et c’est par ses yeux que verra l’avenir. Cette vérité n'a point
échappé à M. Sardou. Il a compris quelle est la matière de la vraie comédie, c’est sa force ;
mais il s’est montré impuissant à pétrir cette matière, et c’est sa faiblesse. Cet art suprême, qui
consiste à ne mettre dans une pièce que le moins d’incidents possible et à déduire toute l’action

de la lutte des caractères, M. Sardou ne l’a point, et je ne suis pas certain qu’il le recherche.

C'est l’art de Molière et c’est surtout l’art de Racine ; personne, avant ni après celui-ci, ne l'a
eu à un degré égal. L’action, dans les comédies de M. Sardou, n'est pas simple ; elle va par
des détours trop nombreux ; si elle ne lasse point le spectateur, il est du moins certain qu'elle
l’égare. L'auteur s’embarrasse dans les détails et il perd de vue l’ensemble. Le spectateur et
surtout le lecteur ne le suivent point sans peine. L’œuvre entière leur paraît confuse ; il ne s’en
dégage rien de précis. On est surpris plutôt que charmé. C’est l’effet que produit un salon
moderne avec ses meubles de tous les styles et ses bibelots de tous les pays. La vraie richesse
est plus simple ; elle n’étale aucune superfluité et elle laisse aux parvenus médiocres le clinquant
et les vaines parures. M. Sardou ne le sait point assez. L'abondance si vantée de ses moyens
scéniques n’est, au fond, que pure indigence. Elle dissimule aux yeux peu exercés l'insuffisance
des idées et de l'observation, mais elle ne trompe point les esprits qui vont au fond des choses.
Lisez Nos Intimes ; ce n’est pas la moindre des comédies de M. Sardou. Elle repose sur une
idée d’une vérité éternelle ; la leçon qui s'en dégage est assez nette, et c'est une preuve, après
tant d'autres, que si rien n’est plus commun que le nom d’ami, rien pourtant n’est plus rare

que la chose. Parmi tous ces intimes que Caussade introduit si facilement dans sa maison, il

n’en est pas un qui mérite cet accueil cordial. Ils sont tous envieux et lâches. Maurice, qu’il a
recueilli et soigné comme un fils, veut lui prendre sa femme; Marécat et Vigneux l’en avertissent,
non point par intérêt pour lui, mais pour ruiner son bonheur en lui enlevant d’un coup toutes
 
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