L' art: revue hebdomadaire illustrée (14.1888 (Teil 1))

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L’ART.

Ces deux tableaux ont très certainement fait partie d’une
série représentant les principaux épisodes de Y Iliade et
destinée à servir de modèle à des tapisseries. L’encadre-
ment figuré sur chaque tableau en est la preuve; ce sont
des bordures de tentures. Remarquons aussi, ce qui n’est
pas sans importance, que les personnages représentés sont
inversés, c’est-à-dire que toutes les actions ordinairement
accomplies de la main droite le sont de la gauche, ce qui
s’explique par la nécessité oit se trouvait le tapissier de
tisser à l’envers sur son métier ce qui devait se trouver
reproduit à l’endroit. L’Histoire d’Achille fut traitée par
Rubens, en huit panneaux de dimensions peu importantes,
destinés à être reproduits en tapisserie pour Charles Ier'.
Cette tenture fut depuis reproduite, mais avec d’énormes
alourdissements de style, en six pièces, pour la famille

Taviel, de Lille, et en cinq pièces acquises, en 1875, par le
gouvernement belge ; M. Braquenié possède un double de
cette dernière suite, à cette différence près que la Colère
d’Achille est remplacée chez lui par Thétis demandant à
Vulcain des armes pour Achille.

Les cartons exécutés pour ces tapisseries, cartons qui
se trouvaient, en partie, en 1798, au palais Barberini, à
Rome, et, en 1848, à Paris, chez M. J. F. Collet, n’ont rien
de commun avec les petites peintures originales exécutées
par Rubens pour Charles Ier ; elles n'en sont, en réalité, que
la charge, et c’est, malgré certains mérites indiscutables, le
cas des deux tableaux dus à la munificence de Mme la
duchesse de Pastrana. Ceux-ci se trouvaient, de temps
immémorial, chez les ducs de l’Infantado, dont le feu
duc de Pastrana fut, avec les d’Ossuna, le dernier héritier.

Thétis recevant de Vulcain des armes pour Achille.
Croquis de Paul Lafond. d’après le tableau erronément attiibué à Rubens. (Musée de Pau.)

Ces nobles maisons se piquaient d’aimer les arts ; ne
trouvons-nous pas encore, à Madrid, dans le Palais de
Pastrana, la célèbre série représentant la fable de Méléagre,
également peinte par Rubens pour servir de modèles de
tapisserie, et aussi son merveilleux Jardin d’amour?'1 2

Notons, en passant, que ce serait une erreur de croire
que les peintres auxquels on commandait des modèles de

1. Ils sont décrits sous les nos 849 à 856 du tome II du Cata-
logue raisonné de Smith. (Note de la Rédaction.)

2. Ce tableau, qui était l’honneur du Palais Pastrana, à Madrid,
est le merveilleux original de la composition peinte par Rubens sous
le nom de Jardin d’Amour, et dont il existe plusieurs copies remar-
quables; il fait aujourd’hui partie de la précieuse collection de
M. le baron Edmond de Rothschild. C’est le n° 457 du tome II du
Catalogue raisonné de Smith. Voir aussi le n° 576 du même volume
de Smith.

(Note de la Rédaction.)

tapisserie s’astreignissent toujours à dessiner des cartons
proprement dits, dans les tons et les proportions delà ten-
ture destinée à être tissée ensuite, comme Raphaël le fit
dans les célèbres cartons autrefois au Palais de Hampton
Court, aujourd’hui au South Kensington Muséum. Sou-
vent, très souvent même, ils se contentaient de peindre des
tableaux de dimensions restreintes, ce que l’on appellerait
aujourd’hui des maquettes ou des projets, que des disciples
mettaient au carreau et que le tapissier restreignait aux
tons et nuances que la soie et la laine lui permettaient.
Nous en avons justement ici même la preuve, non seule-
ment par nos deux panneaux, mais encore par l’histoire
de Méléagre, dont nous venons de parler, et qui était,
comme nous le savons, destinée à servir également de
modèle à une suite de tapisseries.

Paul Lafond.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.