Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 1)

DOI Artikel:
Genevay, Antoine: Le marquis de Marigny, [2]
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.25872#0320

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
L’ART.

264

M. de Marigny, quoiqu’il devint par elle l’unique héritier
de l’opulente marquise qui le pressait de se marier. Peu
de jeunes hiles lui eussent été refusées; il préféra rester
garçon; son heure n’était point encore venue. L’immense
fortune qu’il avait en perspective ne changea en rien ses
habitudes, il continua à vivre dans son hôtel de la place
des Victoires, en remplissant ses fonctions et se plaisant dans
un cercle d’amis: seulement, il allait un peu plus souvent
à Versailles depuis qu’il était entré dans les carrosses du roi.

La santé de sa sœur s’affaiblissait; elle sentait cruelle-
ment les injures de la haine publique, combattue vaine-
ment par des lettres de cachet. Peu à peu le mal empira.
Se trouvant à Choisy, elle se ht transporter à Versailles,
où elle s’éteignit le 14 avril 1764, ayant eu ainsi le privi-
lège réservé aux membres de la famille royale, de mourir
dans le château.

Devenu colossalement riche, propriétaire de la belle
terre de Ménars, sur les bords de la Loire, M. de Marigny,
qui se plut à l’embellir encore, en prit le titre. Toujours
poursuivi par la roture de son nom primitif, il trouvait
que Marigny le rappelait encore : « Marigny, disait-il,
marin, rivière, poisson. » Cependant, nous continuerons
à lui donner le seul nom sous lequel il soit connu dans les
arts. Il se maria selon son goût et dans des conditions
bien différentes de celles qu’avait rêvées pour lui la trop
célèbre marquise '. Il épousa, en 1767 la hile d’une dame
Filleul, amie du richissime Bouret, « la belle, la spiri-
tuelle Julie », comme l’appelle l’enthousiasme de Mar-
montel.

Cette union, quoiqu’elle ait eu lieu au château de
Ménars, a laissé une trace bien singulière, pour ne rien
dire de plus, sur le registre d’une des paroisses de Paris;
elle a été découverte par M. Jal qui a tant et si heureuse-
ment fouillé ce genre d’archives. La voici :

« L’an 1767, le vendredi 2 janvier, nous avons permis

1. « Elle (Mme de Pompadour) se leva, on lui apporta une lettre,
et me répondit avec un air cl^mpatience et d’humeur. Enfin, au
bout de quelque temps, elle s’ouvrit, ce qui ne lui arrivait que lors-
qu’elle était fort chagrine, et comme aucun des confidents n’était là,
elle me dit : « C’est de monsieur mon frère, qui n'aurait pas osé me
« dire cela, il me l’écrit. J’avais arrangé pour lui un mariage avec
« la fille d’un homme titré, il paraissait s’y prêter et je m’étais
« engagée. Aujourd’hui il me mande qu’il a pris des informations;
« que le père et la mère sont d’une hauteur insupportable ; que la
« fille est fort mal élevée et qu’il sait à n’en pas douter, qu’ayant eu
« quelque connaissance du mariage dont il est question, elle s’était
« exprimée avec le dernier mépris et qu’on m’a encore moins ménagée
« que lui; enfin, qu’il me prie de rompre le mariage. Mais il m’a
« laissé aller trop avant, et voilà des ennemis irréconciliables qu’il
« me fait. Ce sont quelques-uns de ses complaisants qui lui ont mis
« cela dans la tête, parce qu’ils ne voudraient pas qu’il changeât de
« vie et que la plupart ne seraient pas admis chez sa femme. » Je
tâchai d’adoucir madame, et je trouvai, sans le dire, que son frère
avait raison. Elle persista à dire que c’était des mensonges et traita,
le dimanche suivant, son frère très froidement. 11 ne me dit rien
alors et il m’aurait fort embarrassée. Madame raccommoda tout en
facilitant par des grâces le mariage de la demoiselle avec un homme
de la cour. La conduite qu’elle tint, deux mois après son mariage,
fit dire à madame que son frère avait bien raison. »

Mmo Du Hausset.

à h1 et pl seigneur Abel-Francois Poisson, marquis de
Marigny et de Ménars, denT rue Sc Honoré, paroisse
S1 Germ. l’Auxer. et à Delle Marie-Francoise-Julie-Con-
stance Filleul, d£ rue du Mail, de cette paroisse, d’aller
se marier au chateau de Ménars, diocèse de Blois. »

Après cette note on lit :

« On n’a pas voulu payer les droits : le curé perdit
donc son casuel. La note restera à la honte éternelle d’un
marquis riche qui a fait banqueroute à l’église et s’est
conduit comme un croquant. »

Le prêtre qui a écrit ces lignes où respire la joie d’une
vengeance si raffinée ne les a point signées; c’est fâcheux,
il eût attaché son nom à celui du « croquant » qu’il voulait
à jamais flétrir. Ce n’est point que nous approuvions la
conduite du marquis : il connaissait les habitudes de
l’église, il leur avait demandé un service, il devait le payer,
mais rien ne justihe et ne peut excuser les termes employés
par l’auteur de cette note.

Quoi qu’il en soit, le mariage de M. de Marigny ne
fut pas heureux; il devint jaloux, c’était une maladie qui
n’était guère de mode dans ce temps-là. Marmontel, ami
de la femme et du mari, prétend que ce dernier avait tort,
nous n’en savons rien, mais toujours est-il que le désaccord
fut complet dans le ménage. Julie aimait les plaisirs. Elle
voulait jouir de la position inespérée à laquelle elle était
parvenue, tandis que M. de Marigny ne rêvait qu’une
existence tranquille. Il avait pris de l’embonpoint; les
grâces qui paraient sa jeunesse, si bien accueillie à Ver-
sailles, s’étaient envolées.

La mort de Mme de Pompadour ne sembla pas d’abord
porter aucune atteinte à la faveur dont il jouissait auprès
du roi qui, en 1772, le nomma conseiller d’Etat d’épée.
Malheureusement l’abbé Terray, de triste mémoire, sur-
vint; il désira réunir à son ministère la Direction des
Bâtiments; en conséquence, pour arriver à ses fins, il
donna au marquis tous les dégoûts qu’il put. En 1773,
M. de Marigny, devenu immensément riche par l’héritage
de sa sœur, las des méchants procédés du ministre,
envoya sa démission. Louis XV refusa de l’accepter; ce ne
fut qu’après qu’il consentit, sur de nouvelles instances, à
rendre la liberté à M. de Marigny et à se séparer de celui
qu’il avait appelé « son petit beau-frère », et à qui il con-
serva tous les honneurs de son ancienne place.

Retiré dans la vie privée, toujours s’occupant des
beaux-arts qu’il aimait, des riches collections dont il s’était
entouré, d’amis qui l’estimaient, nous aimerions à croire
que M. de Marigny fut heureux, car c’était un parfait
galant homme. Si Mme de Pompadour n'eût jamais eu que
des protégés tels que lui, elle aurait pu s’éteindre la con-
science tranquille et la France n’eût pas tant souffert de
son règne.

M. de Marigny mourut à Paris, le 10 mai 1781.

A. Genevay.
 
Annotationen