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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Audebrand, Philibert: Petits mémoires du XIXé siècle: Prosper Mérimée & le Bacchus antique
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0196

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146 L'ART.

génie, il lui fallut battre en retraite et se retirer peu à peu en Auvergne, où il irait se retrancher
dans Gergovie. Toutefois il ne lâchait pas le terrain sans s'efforcer d'arrêter les victorieux et de
faire le désert autour de lui. Avant d'organiser le siège de Bourges, il avait, le même jour,
brûlé vingt villes; c'est Jules César lui-même qui nous le dit. Il y a lieu de croire que le mot
de villes est ici empreint d'une certaine exagération et que ces vingt cités gauloises n'étaient
probablement que des villages fortifiés, de petites places pourvues de postes armés, quelques
fantassins et quelques cavaliers, avec des groupes de laboureurs et de bûcherons, mais cet épisode
aide à faire voir qu'il n'y a décidément rien de neuf sous le soleil et que le terrible incendie de
Moscou, conçu par Rostopchin, n'a été qu'une prouesse empruntée à nos ancêtres.

Sur ce même sol, l'histoire a imprimé d'autres traces mémorables. Il faut remonter au début
du xve siècle, c'est-à-dire à l'époque lamentable, où, après nous avoir envahis, l'Anglais nous
serrait à la gorge. Henri V avait été proclamé roi à Paris avec Bedford comme gouverneur. De
la France il ne restait plus que le Berry et quelques provinces environnantes, le Bourbonnais et
l'Auvergne tout au plus; Charles VII n'était plus désigné dérisoirement que sous le titre de roi
de Bourges, où il était venu chercher un refuge avec sa cour. J'ai vu le palais où résidait cette
majesté errante et, par la suite des temps, cette demeure royale est devenue une prison. Triste
lieu d'asile, puisque, clans l'origine, c'était le château de la détresse, « sans pain ni pâte », à ce que
disent les chroniques du temps. Vous savez aussi sans doute ce curieux épisode : un cordonnier
de la ville refusant de faire au roi une paire de souliers à crédit.

Cependant nos Mémorialistes, toujours si charmants à lire, nous font voir aussi comment
cette dèche carabinée s'est tout à coup changée en splendeur. Autour de la personne du jeune
roi étaient accourus assez de vaillants hommes d'armes pour former le plus brillant des états-
majors. Là se trouvaient, entre autres, La Hire, La Trémouille, Xaintrailles et le bâtard Dunois,
le plus brave de tous ces braves. Bientôt il devait arriver de Lorraine une jeune fille des champs,
qui, fièrement armée d'une épée fleurdelisée, deviendrait Jeanne d'Arc, un grand capitaine et la
gloire immortelle de son sexe. Pour ne rien omettre, j'ajouterai que, tendre, chevaleresque et
galant, Charles VII avait en même temps auprès de lui une jeune, blonde et blanche Tourangelle,
une perle de beauté, Agnès Sorel, une reine sans couronne, mais une reine tout de même.

Je ne l'ignore pas : on a quelques reproches amers à faire à la maîtresse du roi. Par
exemple, elle a été injuste et même cruelle envers Jacques Cœur, un autre grand homme,
l'argentier, comme on l'appelait, qui, parallèlement à Jeanne d'Arc, a aidé à la résurrection de la
France. Elle l'a fait proscrire et elle a, finalement, causé sa mort, mais ces torts ne l'empêchent
pas d'être une curieuse et imposante figure de favorite. Qui ne connaît ce trait d'une allure si
française par lequel elle avait su réveiller l'ardeur belliqueuse de son royal amant? — Charles la
surprend en train de rassembler ses atours. « — Que faites-vous, Agnès ? —• Vous le voyez,
sire : mes paquets. Je pars. —■ Comment! vous partez! qu'est-ce que cela signifie? — Je vais
vous l'apprendre, sire. Étant enfant, un sorcier lut dans ma main que je serais, un jour, la bonne
amie du plus grand roi du monde. — Eh bien, Agnès? — Eh bien, sire, Henri V, d'Angleterre,
étant en ce moment roi de Paris est le plus grand prince du monde ; j'obéis à la prédiction en
l'allant trouver. » On sait comment finit cette scène. Le roi, piqué d'honneur, se jeta sur son
épée, et ses lieutenants et Jeanne d'Arc aidant, il courut au siège d'Orléans, reconquit la ville
et délivra le royaume.

Aux environs de Bourges, dans un paysage toujours vert, on aperçoit les ruines d'un petit
château qui porte la date de ces temps antiques. Ce petit manoir, c'est justement une des rési-
dences de la belle Agnès. Il y a là encore un petit bois et tout ce domaine se nomme le Bois-
sire-amé, dans les parchemins notariés d'alors, avec le latin du temps : Boscius senioris amati.
Il va sans dire que c'était un présent du prince. En ce lieu, il y avait des chênes et des trembles,
mais les arbustes qui y abondaient le plus étaient des rosiers, des lilas et des myrtes, encadrement
bien approprié à la plus belle des belles. Agnès Sorel a habité assez longtemps cette demeure
et il me reste à dire à ce sujet une chose assez touchante. Bâti sur une éminence, le petit château
de Bois-sire-amé faisait vis-à-vis à un autre manoir, à celui de Meung-sur-Yèvre, sis à six lieues
 
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