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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Moureau, Adrien: La Société vénitienne au XVIIIe siècle, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0279

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la société vénitienne au xviiie siècle.

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les parages où la barque s'arrêtait et l'un d'eux porte I
encore aujourd'hui, avec une lampe entretenue par les
gondoliers, la petite chapelle qui recevait la suprême prière
du supplicié.

Au xvme siècle le triomphe de cette politique est défi-
nitif, l'histoire de Venise se trouve close, et la carrière est
à jamais fermée aux grands artistes comme aux grands
patriotes. En vain, Françesco Morosini1 vient de conqué-
rir, par ses prouesses en Morée et dans l'île de Candie, le
surnom de Péloponésiaque ; en vain le vieux maréchal de
Schulembourg, qui demeura pendant vingt-huit ans géné-
ralissime des armées de la République mérite, sur la place,
de Corfou, les honneurs d'une statue équestre; le lion de
Saint-Marc rentre ses griffes et la reine de l'Adriatique
s'assoupit dans une voluptueuse nonchalance dont les
grelots des mascarades pourront seuls la réveiller. Du reste,

la Seigneurie prend soin d'entretenir chez le peuple un
système d'amusement perpétuel; elle y voit une garantie
contre les intrigues, le moyen le plus sûr de détourner les
esprits des préoccupations inquiétantes. Pour ce peuple
naturellement porté au luxe et aux manifestations extérieu-
res, placé entre la liberté sans limite pour le plaisir et la
défense absolue de discuter les actes du pouvoir, les fêtes
continuelles, les joies les plus bruyantes sont devenues
une nécessité. En cette cour de Cythère qui n'a point eu
de Watteau, la gaieté surabonde et cette décadence de la
noble cité est du moins douce et brillante comme un soir
des lagunes.

Durant six mois le carnaval attire à Venise une affluence
d'étrangers atteignant le nombre de trente mille personnes.
Alors trêve aux affaires sérieuses, vive la liberté et la folie!
Alors manants ou patriciens semblent pris d'un même

m!.

Le Bucentaure devant le palais ducal.
Réduction de la gravure d'Antonio Visentini, d'après le tableau d'Antonio Canal, dit Canaletto.

vertige et l'on voit se succéder de tintamaresques défilés
de gens costumés en habits d'astrologues, de docteurs,
d'avocats et de gondoliers. Ici, parmi des pitres coiffés
d'un énorme chapeau conique, les plus lestes s'avancent
en marchant sur les mains, là des sauvages se trémoussent
en jouant de la vielle, et toutes ces bandes tourbillonnent
au son d'une musique entraînante. Le peuple suit chaque
groupe avec des apostrophes et des lazzis, des applaudis-
sements et des sifflets, libre de manifester bruyamment
son blâme ou son approbation. Sur la place Saint-Marc,
quartier général des masques, l'on piétine sans pouvoir
avancer. Ses sept théâtres ordinaires étant devenus insuffi-
sants, des arlequins exécutent en plein vent leurs pantalon-
nades, des improvisateurs comiques amusent les badauds

i. Françesco Morosini, après avoir éprouvé les effets de la jalouse
politique de Venise, fut nommé généralissime, gratifié en 1688 de
son glorieux surnom, puis élu doge.

Le pape lui envoya une épée et un casque, comme au défenseur
de la foi.

de leurs bouffonneries. Aux moindres carrefours s'organi-
sent des tours de force ou d'adresse ; à la fin du carnaval
l'on ne voit que gens armés de haches ou de coutelas pour
se défendre au besoin contre les taureaux qu'on promène
par les rues et qu'on fait combattre en divers endroits. Le
jeudi gras, jour de la fête des bouchers, il s'agit de déta-
cher d'un coup de sabre la tête d'un de ces animaux,
amusement barbare établi en commémoration d'une an-
cienne victoire sur le patriarche d'Aquilée. Ce dernier, en
effet, et douze chanoines pris en même temps, devaient
être décapités sur la place Saint-Marc, mais l'exécution
n'ayant pas eu lieu publiquement, l'on substitua aux con-
damnés, afin de dédommager le peuple, un taureau et
douze porcs. Ce même jour, se dresse sous les yeux du
doge une pyramide humaine ayant pour base les bras
entrelacés de huit hommes et terminée par un enfant ; on
appelait ce jeu les forces d'Hercule1. Tout à l'heure un
acrobate muni d'ailes va se laisser glisser le long d'une
1. Voir le tabieau de Guardi au Louvre.
 
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