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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Moureau, Adrien: La société vénitienne au XVIIIé siècle, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0287

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LA SOCIETE VENITIENNE AU XVIIIe SIECLE. 23i

consommer la vente du palais. Lorsque l'aïeul mourut
après six années de discussions entre ses enfants, il fallut
emprunter pour lui faire des funérailles décentes. Chez
beaucoup l'incurie s'alliait à la légèreté : ceux-ci fuyaient
les affaires contentieuses en voyageant, ceux-là vivaient
sans la moindre vergogne aux dépens des cafetiers, d'autres
entièrement oisifs passaient au lit une bonne partie de
leur journée.

Il n'était point facile aux étrangers de franchir le seuil
des palais et d'être admis aux réceptions entre patriciens,
ces derniers craignant d'être gênés pour s'entretenir de leurs
cabales et de leurs brigues, tous sujets qu'ils prenaient
soin d'éviter devant un intrus. « Messieurs les nobles, nous
dit le conseiller, viennent le soir au café, où ils causent de
fort bonne amitié avec nous, mais pour nous introduire
dans leurs maisons, c'est une autre affaire. Avec cela il y

a ici fort peu de maisons où l'on tienne assemblée et ces
assemblées ne sont ni nombreuses ni amusantes pour les
étrangers; on n'y a même pas les ressources du jeu, car il
faudrait être sorcier pour connaître leurs cartes qui n'ont
ni le nom ni la figure des nôtres. Les Vénitiens, avec tout
leur faste et leurs palais, ne savent ce que c'est que de
donner un poulet à personne. J'ai été quelquefois à la
conversation chez la procuratesse Foscarini, maison d'une
richesse immense et femme très gracieuse d'ailleurs; pour
tout régal, vers les trois heures, c'est-à-dire à onze heures
du soir en France, vingt valets apportent dans un plat d'ar-
gent démesuré une grosse citrouille coupée en quartiers
que l'on qualifie de melon d'eau, mets détestable s'il en
fut jamais. Une pile d'assiettes d'argent l'accompagnent,
chacun se jette sur un quartier, prend par dessus une
petite tasse de café et s'en retourne à minuit souper chez

Vue de Santa Maria deli.a Salute a l'entrée du Grand Canal.
Gravure d'Antonio Visentini, d'après le tableau d'Antonio Canal, dit Canaletto.

soi, la tête libre et le ventre creux. » Ce sont cependant
ces Vénitiens que les habitants de Florence qualifient de
grossolani. Quant à notre voyageur, il apprécie d'autant
mieux les vins de Canarie et .de Bourgogne du vieux bon-
homme maréchal de Schulembourg et les festins dont les
les ambassadeurs le régalent, surtout celui de Naples, « un
ribaud des plus francs que l'on puisse voir, d'ailleurs fort
honnête homme, de bonne compagnie et sans façon ».
D'autre part, les membres du corps diplomatique étaient
fort aises de se divertir avec les étrangers, leurs fonctions
leur interdisant tout accès chez les patriciens.

Cependant, chez ce peuple dont les défauts et les bizarre-
ries décèlent l'amoindrissement, a survécu le goût des arts
et la curiosité des choses de l'esprit. Par un dernier privi-
lège, les races supérieures conservent jusque dans leur
agonie quelque reflet de leur brillante imagination, et cela
préserve au moins leur vicieuse décrépitude du ridicule et
de l'ignominie.

Le renom des critiques, des littérateurs et des poètes

vénitiens s'étendait fort loin au delà des lagunes. Plus
d'une fois la cour de Vienne chercha parmi eux son poeta
Cesareo; l'Université de Padoue avait-elle besoin d'une
refonte générale de ses constitutions et d'un nouveau plan
d'études, c'est à Gaspard Gozzi qu'elle s'adressait.

Sauf Métastase, considéré comme le plus grand lyrique
de son temps, tous les poètes dont s'enorgueillissait alors
l'Italie, Apostolo Zeno, Chiari, Goldoni, les deux Gozzi,
étaient sujets de Saint-Marc par naissance ou par
adoption. Aussi l'usage des vers était constant; point de
cérémonie publique ni d'événement dans une famille qui
ne fournit le prétexte de ces stanzes figurant en grand
nombre dans les oeuvres de tous ces auteurs.

Des réunions de beaux esprits s'étaient constituées
pour réformer le goût, maintenir la pureté du style ita-
lien, ou défendre l'esprit national. Telle cette Académie
degli Animosi établie en 1691, ayant pour fondateur
Apostolo Zeno1, non moins célèbre par ses œuvres drama-

1. Apostolo Zeno, né en 1668, n'était point noble, bien que
 
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