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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Moureau, Adrien: La société vénitienne au XVIIIé siècle, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0292

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avec une égale facilité l'archet et le pinceau. Plus tard,
quatre hospices où l'on recueille les petites filles aban-
données fournissent des cantatrices non seulement aux
scènes de Venise, mais aux théâtres de tous pays. Presque
chaque soir il y a sur les bords du canal Académie de
musique; le menu peuple se passionne non moins que les
'nobles pour ces concerts, et les deux rives sont couvertes
de monde accouru pour les écouter.

Veut-on savoir comment l'on charmait alors les lon-
gueurs d'un voyage? Goldoni va nous l'apprendre1.
Ayant à retourner de Pavie à Venise, il loue avec plusieurs
amis une grande barque abritée d'un vélum, décorée d'or-
nements peints et sculptés. Ils avancent à petite journée
sans autre régulateur que leur bon plaisir et font halte
chaque soir. Tous sont musiciens, l'un joue du violon-
celle, trois autres du violon, celui-ci de la guitare, cet
autre du cor de chasse. Goldoni recueille en un journal
rimé les moindres incidents de la route et chaque soir à la
fin du repas récite ses poésies. Ensuite l'orchestre impro-
visé s'installe sur le pont et les riverains applaudissent au
passage du bateau. A Crémone, l'on fait une ovation et
l'on offre un banquet à cette bande joyeuse; les artistes
ainsi fêtés recommencent leur concert avec l'aide d'autres
exécutants et l'on danse jusqu'au lendemain.

Cet exemple choisi entre mille n'indique-t-il point
combien ce peuple est avide de joie, combien il est porté
à prendre la vie par son côté le plus aimable, combien il
sait goûter toutes les jouissances et se montre intelligent
à en susciter les occasions? Cette ardeur au plaisir dissi-
mule encore quelque temps toute autre impression ; en
voyant, à certains jours, Venisê aussi bruyante, aussi

i. Mémoires de Goldoni. Première partie, chap. XII.

parée, qui soupçonnerait sa décadence ? Cependant la chute
irrémédiable s'accentue davantage dans la seconde moitié
du xvme siècle, aujourd'hui elle est absolue et la splendeur
des anciennes apothéoses rend plus frappant le contraste
entre la puissance passée et la misère actuelle. Venise ne
ressemble plus à cette reine triomphante que Véronèse a
peinte sous de pompeuses architectures, couronnée par
des génies, acclamée par de florissantes jeunes femmes et
des cavaliers splendides. N'est-ce point plutôt, comme
l'appelle Musset, la pauvre vieille du Lido?

Toute énergie y semble éteinte, une sorte de langueur
paralyse les efforts,, les palais silencieux se dégradent et
paraissent abandonnés. Les oisifs tendant la main forment
un tiers de la population ; au lieu d'abriter comme
autrefois des pavillons de tous pays, le canal de la Giudecca
demeure presque vide attendant des flottes qui ne revien-
dront plus; cependant dans les quartiers misérables on
trouve encore des façades décorées de colonnes, des coins
pittoresques à tenter les peintres, et Venise déchue de sa
suprématie demeure avec ses souvenirs la plus attrayante
cité. Quel enchantement le soir, alors que s'allument sous
les Procuraties des guirlandes de lumière, de repasser
toutes les visions de la journée; les bouquetières s'ap-
prochent et, sans troubler votre rêve, vous offrent silen-
cieusement des fleurs. Peu à peu la foule s'amasse, des
musiciens ambulants, tantôt chantent des airs de Bellini
et de Verdi, tantôt font un concert de violons et de harpes,
et là-bas, sur le ciel tout scintillant d'étoiles, Saint-Marc
détache sa masse sombre tandis que s'esquissent faible-
ment les voûtes sombres de ses porches à,peine éclairées
de quelques vacillantes lumières.

Adrien Moureau.
 
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