VANDALISME
LES MUSÉES LAPIDAIRES DU MIDI
Dans la préface de son excellent catalogue du Musée de Narbonne, Tournai écri-
vait : « La situation et les dispositions des salles du Musée ne permettant pas d'y
transporter les bas-reliefs et les inscriptions antiques, qui occupent un trop grand
espace et sont d'un très grand poids, ces restes de monuments furent disposés, il y a
longtemps, et se trouvent encore aujourd'hui dans le jardin de l'archevêché, où ils se
dégradent chaque jour avec une déplorable rapidité. Tout fait présumer néanmoins
que ce fâcheux état de choses aura bientôt un terme"1 ».
Voici près de trente ans que ce vœu timide a été formulé par l'un des hommes dont
Narbonne doit le plus s'enorgueillir, et le mal n'a fait qu'empirer. La mousse et les
lichens rongent les pierres sculptées, sous les platanes séculaires du jardin de l'arche-
vêché, et quant aux précieux marbres romains, bas-reliefs, inscriptions, cippes et sarco-
phages, au nombre d'un millier, découverts depuis dans les démolitions des anciens
remparts, ils n'ont été recueillis dans la vieille église gothique des bénédictins de
Lamourguier que pour empêcher de les voir et pour les y laisser abîmer. C'est le cri
de tous les touristes; la Commission archéologique de Narbonne, de son côté, se plaint
de ce que ce précieux dépôt est « transformé depuis trop longtemps déjà en latrines
publiques par les gamins qui font subir à ces restes vénérables toutes sortes de
mutilations 2 ». Cette simple constatation serait suffisante et rendrait, par sa précise
éloquence, toute considération inutile si le fait était isolé et si on ne pouvait le considérer
comme un phénomène symptomatique d'un mal commun à la plupart des administra-
teurs du Midi, le vandalisme, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Partout on rencontre
en effet des exemples d'incurie moins graves que celui de Narbonne, mais tout aussi
déplorables.
A Rodez, les tombeaux antiques, les bas-reliefs et les inscriptions sont dans un état
d'abandon et de délabrement désolants, entassés qu'ils sont à peu près au hasard dans
une vaste salle basse, qu'avec un peu d'ordre, un peu de respect pour les objetSj il
serait aisé de transformer en un local très passable.
A Montauban, les intéressantes collections de la belle salle du Prince Noir sont
exposées à l'action de l'humidité intense qui suinte des murs intérieurs dont elle com-
promet la solidité. Le salpêtre ronge une partie des briques du carrelage et jusqu'aux
intéressants carreaux émaillés provenant des abbayes de Grandselve et de Belleperche.
A Moissac, on organiserait facilement un Musée de sculpture romane digne de
rivaliser avec celui de Toulouse, mais, sauf quelques misérables débris conservés
dans le cloître, il n'y aurait rien si le R. P. Belvèse n'avait pris à tâche de recueillir,
avec une pieuse sollicitude, tous les précieux débris de l'illustre abbaye; il les arrache
aux décombres et les sauve de la destruction. Moissac est d'autant moins excusable
que son splendide cloître permet d'y disposer, sans frais et dans un cadre merveilleux,
les collections lapidaires les plus considérables.
A Cahors, pendant de longues années, malgré les courageux efforts de la Société des
Études du Lot, on n'a su rien conserver, et, à l'heure actuelle, les sculptures de
1. Page xn. • ■ •
2. Bulletin de la Commission archéologique de Navbonne, année 1892, 2" semestre, page xv.
Encadrement composé, ainsi que les deux suivants, pour les Componimenti Poetici per l'Ingresso Solenne alla Dignita di Procuratore di S, Marco
ver Merito di Sua Eccelleir^a II signor Gian-Francesco Pisani.
Tome LV. 34
LES MUSÉES LAPIDAIRES DU MIDI
Dans la préface de son excellent catalogue du Musée de Narbonne, Tournai écri-
vait : « La situation et les dispositions des salles du Musée ne permettant pas d'y
transporter les bas-reliefs et les inscriptions antiques, qui occupent un trop grand
espace et sont d'un très grand poids, ces restes de monuments furent disposés, il y a
longtemps, et se trouvent encore aujourd'hui dans le jardin de l'archevêché, où ils se
dégradent chaque jour avec une déplorable rapidité. Tout fait présumer néanmoins
que ce fâcheux état de choses aura bientôt un terme"1 ».
Voici près de trente ans que ce vœu timide a été formulé par l'un des hommes dont
Narbonne doit le plus s'enorgueillir, et le mal n'a fait qu'empirer. La mousse et les
lichens rongent les pierres sculptées, sous les platanes séculaires du jardin de l'arche-
vêché, et quant aux précieux marbres romains, bas-reliefs, inscriptions, cippes et sarco-
phages, au nombre d'un millier, découverts depuis dans les démolitions des anciens
remparts, ils n'ont été recueillis dans la vieille église gothique des bénédictins de
Lamourguier que pour empêcher de les voir et pour les y laisser abîmer. C'est le cri
de tous les touristes; la Commission archéologique de Narbonne, de son côté, se plaint
de ce que ce précieux dépôt est « transformé depuis trop longtemps déjà en latrines
publiques par les gamins qui font subir à ces restes vénérables toutes sortes de
mutilations 2 ». Cette simple constatation serait suffisante et rendrait, par sa précise
éloquence, toute considération inutile si le fait était isolé et si on ne pouvait le considérer
comme un phénomène symptomatique d'un mal commun à la plupart des administra-
teurs du Midi, le vandalisme, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Partout on rencontre
en effet des exemples d'incurie moins graves que celui de Narbonne, mais tout aussi
déplorables.
A Rodez, les tombeaux antiques, les bas-reliefs et les inscriptions sont dans un état
d'abandon et de délabrement désolants, entassés qu'ils sont à peu près au hasard dans
une vaste salle basse, qu'avec un peu d'ordre, un peu de respect pour les objetSj il
serait aisé de transformer en un local très passable.
A Montauban, les intéressantes collections de la belle salle du Prince Noir sont
exposées à l'action de l'humidité intense qui suinte des murs intérieurs dont elle com-
promet la solidité. Le salpêtre ronge une partie des briques du carrelage et jusqu'aux
intéressants carreaux émaillés provenant des abbayes de Grandselve et de Belleperche.
A Moissac, on organiserait facilement un Musée de sculpture romane digne de
rivaliser avec celui de Toulouse, mais, sauf quelques misérables débris conservés
dans le cloître, il n'y aurait rien si le R. P. Belvèse n'avait pris à tâche de recueillir,
avec une pieuse sollicitude, tous les précieux débris de l'illustre abbaye; il les arrache
aux décombres et les sauve de la destruction. Moissac est d'autant moins excusable
que son splendide cloître permet d'y disposer, sans frais et dans un cadre merveilleux,
les collections lapidaires les plus considérables.
A Cahors, pendant de longues années, malgré les courageux efforts de la Société des
Études du Lot, on n'a su rien conserver, et, à l'heure actuelle, les sculptures de
1. Page xn. • ■ •
2. Bulletin de la Commission archéologique de Navbonne, année 1892, 2" semestre, page xv.
Encadrement composé, ainsi que les deux suivants, pour les Componimenti Poetici per l'Ingresso Solenne alla Dignita di Procuratore di S, Marco
ver Merito di Sua Eccelleir^a II signor Gian-Francesco Pisani.
Tome LV. 34